Les travaux de la LGV pour le franchissement de la Dordogne à Saint-André-de-Cubzac (33) cet été. © Photo Laurent Theillet/« Sud Ouest »
Publié le 24/10/2014 à 06h00 , modifié le 24/10/2014 à 09h17 par Jean-Denis Renard
Un rapport de la Cour des comptes décortique la genèse de la ligne Sud-Europe-Atlantique en construction.
Depuis les fuites survenues la semaine dernière, on savait que le rapport de la Cour des comptes consacré à la grande vitesse ferroviaire allait être pimenté. Rendu public jeudi matin, le texte ne déjoue pas les pronostics. Il pointe du doigt des dérives graves : des constructions de lignes nouvelles sans réel souci de rationalité socio-économique, un troc permanent entre l'État et les collectivités locales qui perd en route l'intérêt général, et des projets permanents d'extension du réseau sans un sou vaillant pour les réaliser.
Les magistrats datent le début des problèmes à la mise en service de Paris-Tours, en septembre 1990. Une frénésie de lignes nouvelles s'empare alors des décideurs, jusqu'à la réalisation du réseau actuel, long de 2 000 kilomètres. Quatre projets en cours allongeront le réseau LGV (ligne à grande vitesse) d'à peu près 700 kilomètres à l'horizon 2018. Dont Tours-Bordeaux, le chantier le plus important.
Le TGV est devenu un modèle d'autant plus dominant qu'il ne se contente pas de rouler sur des lignes dédiées. 40 % du temps d'utilisation d'une rame se fait sur le réseau classique, le grand sacrifié, à une vitesse inférieure à 220 km/h. Les TGV desservent pléthore de destinations (plus de 230 au total). Avec un impact sur les taux de remplissage et la vitesse moyenne.
La Cour des comptes cite l'exemple édifiant de la liaison entre Quimper et Rennes, sur laquelle le TGV met plus de temps que les TER (transport express régional)… Or le modèle privilégié pour la rentabilité des investissements repose sur des rames « roulant à 320 km/h sur des voies qui leur sont exclusivement affectées », relève la Cour.
Tours-Bordeaux à la loupe
Celle-ci décortique ensuite les processus de décision liés à la construction de lignes nouvelles, en particulier Tours-Bordeaux, la double voie de 300 km dont la mise en service est programmée pour 2017. Les magistrats jugent sévèrement la « politique des petits pas » adoptée par l'État en l'espèce : des annonces politiques, des comptes-rendus partiaux des débats préliminaires, des études cofinancées par les collectivités territoriales et, in fine, un processus parvenu trop loin pour renoncer.
Signée en deux étapes, 2006 et 2009, la déclaration d'utilité publique est intervenue sans la moindre esquisse de financement. L'État étant impécunieux, il a sollicité 58 collectivités territoriales, petites ou grandes, qui ont exigé des contreparties lors d'un troc d'une effarante complexité : des arrêts supplémentaires et des prolongements de ligne vers Toulouse et Hendaye notamment.
Ainsi naît Bordeaux-Toulouse
« Voilà comment on est passé d'un projet prioritaire de 300 km et 5,6 milliards d'euros (valeur 2006) réalisable d'ici 2015, à un ensemble de LGV de plus de 850 km et 14 milliards d'euros (valeur 2006) », écrit la Cour des comptes. Pour les magistrats, c'est le risque de retrait des collectivités de Midi-Pyrénées dans le financement de la ligne Tours-Bordeaux qui a conduit l'État à « repêcher » la ligne nouvelle Bordeaux-Toulouse pour une réalisation avant 2030, nullement sa rentabilité attendue.
« Dans la pratique, le processus décisionnel ne répond que très peu à une rationalité économique », indique la Cour, qui relève que « tous les efforts tendent vers la justification de la construction des lignes ». Des conclusions en or pour les opposants aux prolongements de Tours-Bordeaux vers Toulouse et vers l'Espagne.
Destinataire du rapport en tant que président de l'Association des Régions de France, l'Aquitain Alain Rousset partage l'analyse de la Cour sur la déshérence du réseau classique. « Les citoyens et les élus constatent qu'en dehors du TGV il n'existe aucun service ferroviaire longue distance de qualité. Cela les oblige à s'inscrire dans le modèle du tout TGV et vouloir pour eux aussi la réalisation d'une LGV, aujourd'hui seule à même de garantir un service ferroviaire grandes lignes rapide et attractif », déplore-t-il dans sa réponse annexée au rapport. Mais il recommande aussi de ne pas condamner le TGV au seul motif des impératifs de rentabilité.