Publié le 17-12-2012 Béatrice Héraud | |
La réduction des émissions de GES et de la pollution grâce au fret Pour les promoteurs du Lyon-Turin comme la FNAUT (fédération nationale des usagers des transports) le projet répond à une « triple nécessité » : baisser les nuisances routières dans les zones les plus sensibles, alléger la dépendance pétrolière et lutter contre les émissions de GES. Des arguments également évoqués par le Comité pour la liaison transalpine Lyon Turin , une association d’acteurs économiques et politiques favorable au projet, présidée par le Pdg de Danone Franck Riboud. « Aller contre le Lyon Turin aujourd’hui, c’est faire le choix de la route et du lobby routier », a pour sa part déclaré Jean-Jacques Queyranne, le président PS de la région Rhône-Alpes dans les colonnes du quotidien local Le Progrès… L’un des grands objectifs affichés par le projet est en effet de transférer le trafic routier vers le rail, notamment pour le fret, qui consomme 5 fois moins d’énergie et émet moins de CO2. Ainsi selon la société Lyon-Turin ferroviaire , la joint-venture de RFF et RFI (1) : « avec la réalisation du Lyon-Turin, on pourrait à l'horizon 2035 transférer plus de 700 000 poids lourds par an » vers le rail . Alors que 85% des échanges entre la France et l’Italie se font aujourd’hui par route, la liaison Lyon-Turin les ramènerait à 45% en 2035. Cependant pour Michel Dubromel, de FNE (au départ favorable au projet), ce chiffre est inenvisageable « tant que la France n’aura pas de politique cohérente de transport modal », or les annonces du gouvernement comme la généralisation des poids lourds de 44 tonnes (au lieu de 40 tonnes actuellement) ou l’ouverture d’une deuxième voie à la circulation dans le tunnel de Fréjus, vont à contre-sens selon ce spécialiste des transports. Par ailleurs, le gain estimé par les promoteurs du projet de la réduction des émissions de CO2 grâce au transfert de camions de la route au rail est chiffré à 3 millions de tonnes/an pour l’ensemble du projet. Pour l’Autorité environnementale (Ae) pourtant « il n’apporte, comme la plupart des grands projets d’infrastructures que l’Ae a examiné depuis 2009, qu’une contribution faiblement positive à l’égard du « facteur 4 » en 2050 ». Brieuc Bougnoux, directeur du cabinet grenoblois Reverdy, spécialisé dans les politiques publiques, l’énergie et les transports, va même plus loin : « Si relance keynésienne il devait y avoir, il serait plus intéressant de mettre l'argent du Lyon-Turin dans la rénovation thermique des logements. On pourrait rénover 7 millions de logement, ce qui permettrait d’économiser une quantité de CO2 bien plus considérable, et de réduire le budget chauffage des ménages ! Le bénéfice social et environnemental de cette mesure semble bien plus grand ». L’impact sur l’espace et la biodiversité Selon le rapport de l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) publié en décembre 2011, l’étude d’impact environnementale « n’a pas le niveau de précision, de complétude et de prise en compte des spécificités locales qu’elle considère comme normalement attachée à des projets de moindre ampleur ». Elle identifie notamment des risques sur la biodiversité ordinaire, peu prise en compte par RFF (réseau ferré de France), sur les zones Natura 2000, des menaces de pollution de l’eau, d’inondation mais aussi des problèmes de préservation et de compensation des zones humides détruites (94,7 ha) compte tenu de l’exiguïté des territoires concernés. Les risques naturels L’Autorité environnementale estime que les risques concernant les canalisations de produits chimiques ainsi que les limites des anciennes concessions minières et les plans de prévention des risques naturels n’ont pas été assez bien identifiés. Les données sur le risque sismique doivent aussi être réactualisées, de même que l’analyse des risques technologiques. Exemple : pour le tunnel de Belledonne, la sortie prévue pour faire stationner un train en feu en cas d’accident est situé en limite d’un périmètre SEVESO… Les retombées économiques Pour les acteurs favorables au projet, le Lyon-Turin va permettre de soutenir la croissance. « Les retombées économiques immédiates, c'est-à-dire dans les 10-15 ans qui viennent pour la région Rhône-Alpes, représentent près de 8 000 emplois directs dans la construction. Au-delà de l'emploi, c'est un projet majeur de développement économique global pour la région Rhône-Alpes », estime ainsi Bernard Gaud, Président du Medef Rhône-Alpes. Oui mais après ? s’interroge Brieuc Bougnoux. Pour l’économiste, la technique des grandes infrastructures pour relancer l’emploi est un leurre : « il s’agit d’emplois de chantiers temporaires, cela n’aura pas d’effets structurels sur l’économie. Regardons l’Espagne dont l'économie était basée sur la construction. Quand tous les chantiers ont été arrêtés, le taux de chômage est remonté de 9% à 25%. La vraie stratégie consiste à investir dans les pôles de compétitivité, c'est l'industrie qui est susceptible de créer de l'emploi durable sur les territoires. On pourrait notamment aider la Maurienne à consolider son industrie électrométallurgique sur laquelle pèse de grandes incertitudes ». Par ailleurs comme le mentionne l’Autorité environnementale, il est probable que des zones d’activité économiques, industrielles ou commerciales s’implanteront à proximité du tracé, « conduisant à d’importantes modifications dans l’affectation des sols et à des impacts sur l’environnement ». Le monde agricole (FDSEA, les jeunes agriculteurs et Confédération paysanne) fait d’ailleurs front commun contre le projet qui doit fortement l’impacter, pense-t-il. Là encore les chiffres concernant l’emprise du Lyon-Turin varient fortement selon les sources, en fonction aussi des éléments pris en compte comme les déblais générés par le creusement des tunnels (environ 9,4 millions de m3 non réutilisés), selon l’Ae. Pour la Confédération paysanne, une bonne partie ira s’échouer sur les terres agricoles actuelles, conduisant à « la dévastation de 1500 hectares sur l’ensemble d’un tracé ». Selon Gérard Sodino, agriculteur de la Confédération « une dizaine d’exploitations pourraient devoir mettre la clé sous la porte ». Les alternatives Peu d’alternatives ont été étudiées. En voici pourtant 3 qui ont été mises sur le tapis. D’abord, celle du merroutage, avancée par la FDSEA Savoie qui plaide pour un renforcement de la liaison maritime Espagne-Italie « qui aurait l'avantage d'éliminer 2 000 camions par jour dans les Alpes ». Pour Brieuc Bougnoux, il pourrait également être judicieux d’étudier de près l’électrification de l’autoroute de la Maurienne sur le mode de ce qui est déjà réalisé en Allemagne par Siemens. . Il s’agit d’une sorte de mix entre la route et le rail, les camions étant tirés par des caténaires. Une solution qui permettrait un ratio €/tonne de Co2 évitée bien supérieur au projet Lyon-Turin. La Cour des comptes recommande de « ne pas fermer trop rapidement l’alternative consistant à améliorer la ligne existante ». Le système « R-shift-R » développé par Alain Margery pourrait être cette alternative. Il est soutenu par l’Ademe et certains opposants au Lyon-Turin. Selon le Comité pour la Transalpine, la ligne existante est peu compétitive par rapport à la route en raison de sa pente de 3,3% (trois fois supérieure au seuil de référence pour les trains lourds de marchandises) qui demande 2 ou 3 locomotives pour tirer 20 wagons environ quand 1 suffit à en tirer 40 d’ordinaire. Mais le « R-shift-R », pourrait remédier au problème pour un coût 20 fois moins cher que le tunnel transalpin : avec 7 gares, une voie équipée en R-shift-R (qui utilise la charge de chaque wagon pour créer de l’adhérence) pourrait ainsi traiter 134 400 contenants/jour, ce qui lui « permettrait sans difficulté d’absorber la demande », estime l’ingénieur. Pourtant, le projet, qui devrait passer à une phase d’expérimentation, est actuellement bloqué. (1) Réseau ferré de France (RFF) et Rete Ferroviaria italiana (RFI) | |
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