Une évaluation toujours en mal d'indépendance?
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Le 17 septembre 2014 par Romain Loury
Les études universitaires indépendantes sont-elles délibérément laissées de côté lors de l’évaluation des risques des pesticides? C’est ce qu’affirment Générations futures et le Pesticide Action Network dans un rapport publié mardi 16 septembre. La faute aux «bonnes pratiques de laboratoire» (BPL), qui font la part belle aux études de l’industrie, biaisées en faveur des produits.
«Il faut que tout change pour que rien ne change», disait Tancredi dans le roman «Le Guépard». A la lecture du rapport publié mardi par les deux associations, on pourrait penser que la sentence s’applique également à l’évaluation des pesticides. Car malgré la volonté d’intégrer les études indépendantes, dans les faits on n’y est toujours pas.
Résumons: jusqu’en 2009, l’évaluation des risques ne reposait que sur des études de toxicité produites par l’industrie, sans aucun égard pour la recherche universitaire. Une situation à laquelle a mis fin le règlement européen n°1107/2009 sur les pesticides, qui oblige les fabricants à examiner la littérature scientifique évaluée par les pairs.
Tout va donc mieux… du moins théoriquement. Car selon des recommandations publiées en 2011 par l’autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) afin de fixer les règles à respecter dans l’analyse de ces travaux universitaires, ceux-ci doivent obéir aux protocoles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en particulier aux bonnes pratiques de laboratoire (BPL).
«Cependant, [ces lignes directrices] sont rejetées par des scientifiques indépendants comme étant restrictives de leur liberté de chercher et ils ne les utilisent pas. Il en résulte que les études de ces chercheurs universitaires indépendants ne sont pas prises en compte dans l’évaluation du risque», affirment Générations futures et PAN dans leur rapport.
Aucune étude indépendante dans la DJA
Corollaire: seules les études de l’industrie continuent à être intégrées dans les rapports d’évaluation des risques. Les deux associations ont mené le test sur 7 pesticides: parmi les 434 études qu’elles ont recensées dans la littérature scientifique, seules 99 (23%) ont été citées par l’industrie dans ses rapports d’évaluation.
Au final, aucune de ces 99 études n’a servi à calculer la dose journalière admissible (DJA) du produit. Elles ont été rejetées «sans la moindre justification scientifique», «généralement parce qu'elles n'avaient pas été effectuées conformément aux protocoles de l'OCDE, notamment les bonnes pratiques de laboratoire», observent les deux associations.
Une fois rédigés par l’entreprise, ces rapports d’évaluation sont soumis à l’examen d’un Etat membre rapporteur. Or ces pays sont assez bienveillants à leur égard, s’assurant rarement que le pétitionnaire a rempli ses obligations quant à l’analyse de la littérature. Rapporteur sur le dossier de l’herbicide aminotriazole, la France a même «produit un contrôle de conformité du RER sur une revue de la littérature qui n’existait pas» [1].
La classification de Klimisch comme boussole
Pour les associations, c’est donc là un effet pervers des recommandations de l’Efsa, qui permet que des études soient jugées non pas en fonction de leur qualité intrinsèque, mais de leur score dans la classification de Klimisch. Celle-ci, qui mesure la fiabilité des études de toxicologie, assigne les meilleures notes aux études répondant aux BPL… donc à celles issues de l’industrie.
Selon les associations, l’examen de la littérature scientifique doit non seulement s’affranchir de cette classification, mais tout simplement être remis à des experts indépendants, – à qui devrait être également confiée la conduite des tests de toxicité lors de nouvelles autorisations de produits.
Et les résultats seraient tout autres, si l’on en croit les études évoquées par les associations: dans les études universitaires, les doses sans effet toxique observable (NOAEL) chez l’animal étaient jusqu’à 1.500 fois inférieures aux valeurs officielles, celles qui reposent sur les tests de toxicologie de l’industrie.
Fréquemment accusée de liens trop étroits avec l’industrie, l’Efsa soumet actuellement sa stratégie «Open Efsa» à consultation publique. L’initiative «vise, au cours des prochaines années, à accroître la participation de la société civile dans les travaux de l'Efsa», notamment en matière d’accès aux données et de «participation accrue des citoyens». Bref, «tout changer»… pour de bon ou «pour que rien ne change»?
[1] Ce qui n’a pas empêché le pays de s’opposer au renouvellement d’autorisation