13/02/2013 Giuliano CAVATERRA
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, un des leviers est le report modal des marchandises vers la route et la mer. Dans ce cadre, l’Europe finance des programmes via les régions. La région Aquitaine et la Communauté autonome basque font partie du groupe transports de la commission Arc atlantique, qui veut mettre en œuvre un important programme de report modal par le biais du programme corridor fret atlantique. Le but étant d’arriver à enlever 10 % des 10 millions de tonnes de marchandises qui passent actuellement sur la route tous les ans.
Au Pays Basque Nord, deux plates-formes de report modal, le port de Bayonne et le Centre européen de fret (CEF) de Mouguerre, espèrent pouvoir profiter de ce report de flux de marchandises, bien que, pour des raisons techniques et malgré leur emplacement, ils ne pourront faire partie des principaux bénéficiaires. Bien au contraire. En attendant, elles comptent profiter du quasi-abandon par la SNCF de la technique dite du wagon isolé pour lancer une activité privée de fret ferroviaire de proximité. La chambre de commerce et d’industrie (CCI) et la Mivacef, qui gèrent ces équipements, travaillent actuellement à l’installation d’un opérateur ferroviaire de proximité (OFP).
Le projet de création d’un OFP avance à grands pas. La CCI et la Mivacef ont lancé des études de marché sur l’hinterland (arrière-pays) du port de Bayonne, soit la zone sud de l’Aquitaine. Dès l’année prochaine, le projet devrait rentrer dans sa phase opérationnelle pour une mise en route effective deux ou trois ans plus tard.
Pour Michel Vovard, directeur du CEF, il s’agit de regrouper des clients potentiels qui n’ont pas besoin de convois massifs, mais qui peuvent avoir intérêt à transporter du fret par le fer plutôt que par la route. Selon lui, l’appel à un opérateur privé se justifie par le fait que “la SNCF a des difficultés à apporter des réponses à la carte, elle manque de souplesse”. “La SNCF est performante sur le trafic voyageurs, elle a beaucoup développé le modèle LGV, mais, en revanche, elle n’a pas su construire un modèle de fret performant”, explique M. Vovard qui ajoute qu’“en plus, avec les travaux sur le réseau, neufs trains sur dix sont ‘désheurés’”.
Il faut dire que la SNCF a abandonné il y a quelques années la technique du wagon isolé. Au grand dam de ses clients. Notamment celui de l’industrie chimique pour qui, pour des raisons de sécurité, le transport routier n’est pas approprié, pas plus que le transport par train massif. Au Pays Basque ou dans le sud des Landes “la scierie d’Ossès, Guyenne et Gascogne à Labenne et Adour Boisson à Biarritz ont été privées d’un service qui leur convenait”, rappelle Victor Pachon du Cade. Celui-ci ajoute qu’“Adour Boisson avait même investi de grosses sommes dans un système d’aiguillage”.
À la place du wagon isolé, la SNCF a mis en place le système MLMC (multilots/multiclients). Mais ce système est très contraignant. Il faut, pour les entreprises, annoncer deux mois à l’avance le besoin de transport (trois lors de la mise en place du service) et payer une amende en cas de dédit. Des opérateurs privés se sont donc engouffrés dans la brèche, comme celui qui va voir le jour au Pays Basque. Pour le plus grand malheur des syndicalistes de la SNCF.
Ainsi, Peio Dufau, de la CGT cheminots, regrette la disparition du wagon isolé. En revanche, il réfute totalement l’argument selon lequel les opérateurs privés seraient plus performants. “Beaucoup d’entreprises qui s’étaient tournées vers des OFP privés reviennent vers la SNCF. Car si les trains de la SNCF peuvent avoir du retard, ceux des opérateurs privés en ont encore plus. Si la locomotive tombe en panne, ils sont plus longs que nous à la remplacer car ils ne disposent pas du matériel suffisant.” De plus, selon lui, ce qui fait que l’OFP est censé être plus rentable que la compagnie hexagonale est qu’il “perçoit des subventions”.
Plus globalement, le syndicaliste dénonce les choix stratégiques de fret SNCF. “Il y a une dizaine d’années, le fret SNCF a été déficitaire sur un exercice d’une cinquantaine de millions d’euros. Prétextant que l’activité du wagon isolé n’était pas rentable, on a supprimé des gares de triage, des emplois, etc. Dix ans après, le déficit de fret SNCF a été multiplié par dix. En fait, on a limité des dépenses à la marge, mais dans le même temps, en se coupant de nombreux clients, on a tari les sources de recettes. Quant à la rentabilité, il faut prendre le problème dans sa globalité. Ainsi, pour le transport routier, on ne compte pas combien il coûte en terme de pollution, d’engorgements ou d’usure des routes.”
Un discours qui fait écho chez les défenseurs de l’environnement du Cade. Son porte-parole, Victor Pachon, juge qu’il ne faut pas raisonner en terme de rentabilité financière immédiate. Pour lui, le wagon isolé permet aussi de “maintenir du tissu social” sans compter les emplois qu’il génère.
Le Centre européen de Fret
Le Centre européen de fret (CEF) s’étend sur 100 hectares entre Mouguerre et Lahonce. Il est composé, d’une part, d’une zone logistique dédiée, entre autres, au report intermodal rail/route, et d’autre part, du parc d’activités de Lahonce. Son atout principal est d’être proche des autoroutes et relié au réseau ferré. L’essentiel de son activité intermodale provient du fait que l’écartement des rails n’est pas le même dans les États français et espagnol. Il s’agit donc de transférer de la marchandise qui arrive par fer sur des camions pour l’acheminer de l’autre côté des Pyrénées et vice versa. D’ici quelques années, l’écartement du rail sur les voies existantes devrait arriver jusqu’à Astigarraga, au Pays Basque Sud. Cela signera l’arrêt de la plate-forme de report modal de Hendaye, mais en ce qui concerne Mouguerre, son directeur, Michel Vovard, n’est pas inquiet, et indique que le CEF aura toujours un volume d’activité suffisant. Quant aux difficultés qu’a connues Novatrans, l’une des principales entreprises du site, le directeur considère que l’effet est contenu puisque le repreneur de Novatrans maintient jusqu’à nouvel ordre la ligne régulière Mouguerre-Dourges. Il s’agit de train régulier de fret conventionnel. Le CEF est adapté à toutes les techniques de transport combiné, que ce soit le transport de caisses mobiles ou containers ou le conventionnel (qui ne peut-être mis en containers, comme le bois par exemple). Quant à l’“autoroute ferroviaire”, c’est finalement Tarnos qui a été préféré à Mouguerre, mais M. Vovard indique que “le CEF est prêt” au cas où une opportunité se présenterait.
Sortir les camions de la route
Le transport de marchandises est l’un des rares secteurs, voire le seul, qui a vu augmenter ses émissions de CO2 en Europe. Il faut dire que pour les entreprises, le transport routier est le plus pratique et le plus performant. Il permet plus de souplesse et un transport “door to door” (porte-à-porte) sans rupture de charge. Pourtant, depuis des années, on préconise des solutions : autoroutes de la mer, autoroutes ferroviaires, etc. Et de nombreux programmes d’incitation financière existent pour amener les transporteurs à utiliser le plus possible d’autres modes de transport, plus écologiques.
Dans le même temps, les politiques publiques se contredisent. Les poids lourds sont désormais autorisés à porter une charge maximum de 44 tonnes contre 40 auparavant. D’un autre côté, certaines régions proposent des allégements de la taxe poids lourds. C’est le cas en Aquitaine, qui promeut, avec la Communauté autonome basque, la création d’autoroutes ferroviaires entre l’État espagnol et le nord de l’Europe. C’est d’ailleurs l’un des principaux arguments de la construction de nouvelles lignes LGV. Celles-ci permettraient de dégager des voies pour le fret.
Les autoroutes ferroviaires
Il s’agit en fait de ferroutage, c’est-à-dire de mettre des camions entiers sur des trains. Il y a deux méthodes : soit on met seulement la remorque, soit on met la remorque avec son tracteur (et son chauffeur). La deuxième méthode, qui revient très cher, a été épinglée récemment dans l’Hexagone par la Cour des comptes. Elle ne subsiste que parce qu’elle est largement subventionnée. Le matériel ferroviaire est en effet très onéreux (des wagons “dix fois plus chers” que pour du fret classique, selon P. Dufau de la CGT). Selon Victor Pachon, du Cade, “si le prix réel était répercuté sur les clients, ils ne seraient plus intéressés. On fait donc du dumping pour les attirer”.
Si une autoroute ferroviaire était lancée localement, ce serait l’autre méthode qui serait utilisée, selon Michel Vovard, du CEF. “Pour les transporteurs, cela évite de payer un chauffeur pour rien et ça limite les ruptures de charge” puisqu’une fois arrivé à destination, il suffit d’arrimer la remorque à un tracteur sans avoir à transborder la marchandise. Quoi qu’il en soit, les associations de défense de l’environnement locales, réunies au sein du Cade, s’opposent à cette méthode. Ce qui semble paradoxal puisque l’idée est de diminuer les émissions de gaz à effet de serre.
Transports indécents
Victor Pachon explique que cela ne jouera qu’à la marge. “Même RFF ne croit pas à ses prévisions les plus optimistes”, affirme-t-il. “En ce qui nous concerne, nous sommes pour que l’on reprenne la technique du wagon isolé et d’autre part nous sommes favorables à du transport combiné par caisse. Mais il faudrait normaliser les containers afin qu’ils soient adaptés à la fois au rail, à la route et à la mer.” Le transport combiné par caisse est aussi très pratique pour les plates-formes de report modal tel que le CEF. Mais, au-delà, les associations de défense de l’environnement proposent des changements radicaux. “Il faut relocaliser l’économie et arrêter les transports indécents”, indique Victor Pachon. “Les transports indécents, ce sont par exemple ces crevettes pêchées au Canada qu’on envoie décortiquer au Maroc pour qu’elles soient ensuite renvoyées et il y a beaucoup d’autres exemples.” Par exemple, l’actualité nous a montré que de la viande censée être de bœuf qui vient de Roumanie et transite par le Tarn va être conditionnée au Luxembourg pour être consommée en Grande-Bretagne.
Et la mer ?
L’idée un temps caressée de créer des autoroutes de la mer qui transporteraient rien de moins que 100 000 poids lourds par an semble avoir été abandonnée. Par contre, l’idée de créer de nouvelles lignes régulières fait son chemin, notamment à Bayonne. Mais au-delà du problème de profondeur (cf. Le JPB d’hier) qui devrait être réglé, il faut aussi, selon A. Garetta de la CCI, améliorer l’accessibilité du port aux camions.