Lundi 20 mai 2013
Par Fabrice Nicolino
L’huile de palme est désormais dans tout ce qu’on bouffe, car elle est la moins chère de toutes les huiles végétales. Dans le Nutella, par exemple. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Rien.
Nutella, roi de l’huile de palme, en contient 30 %. À l’automne 2012, un faux débat sur la malbouffe est lancé par le Sénat, qui vote un amendement instituant une taxe sur les huiles de palme, de palmiste et de coprah dans l’alimentation humaine. Ferrero, proprio de Nutella, lancé en 1964, mobilise tous ses circuits d’influence, se paie des articles plein les journaux, et le miracle se produit. Le 21 novembre, l’Assemblée envoie se faire voir l’amendement et l’enterre dans une commission.
Huile de palme, le retour, sauf que cette saloperie n’a jamais quitté la piste. Tirée du palmier à huile, elle est de loin la plus utilisée dans le monde des huiles végétales : elle pourrait occuper jusqu’à 25 % du marché. Et le bonheur, pour les marchands, c’est qu’elle est fabuleusement productive : son rendement à l’hectare serait dix fois plus élevé que celui du soja. En France, on en importe la bagatelle de deux kilos par habitant et par an, soit 126 000 tonnes, ce qui n’est encore rien au regard des 20 millions de tonnes produites dans le monde en 2010. Cet Himalaya pourrait atteindre 40 millions de tonnes en 2020.
Grosso modo, elle est dans tous les produits de l’industrie alimentaire : dans les soupes, les chips, les biscuits, le lait pour bébé, le chocolat, les glaces, les sauces, le bouillon de poulet et même les sardines en boîte, les bonbons, les herbes aromatiques et les… raisins secs. Mais comme souvent, il est intéressant de soulever le couvercle de la tambouille. Jetons un œil sur les grandes régions productrices que sont la Malaisie, l’Indonésie, Bornéo, qui abritent ce qu’il reste des plus belles forêts pluviales de la planète. En un siècle et demi, 90 % des forêts tropicales dites primaires – jamais exploitées – ont disparu, et le grand massacre continue.
Le palmier à huile n’est pas le premier à traîner derrière lui des armées de tronçonneuses, mais son expansion actuelle suit toujours le même principe : un corrompu de Djakarta ou de Kuala Lumpur achète sur carte une forêt de 100 000 hectares – par exemple – et se fait appuyer sur le terrain par des sbires de la police ou de l’armée, qui virent les paysans habitant la zone. Les bulls arrivent dans la foulée, dessouchent les arbres de la forêt, font cramer le tout, et plantent des palmiers à huile qui ne donneront beaucoup de fruits que pendant les dix premières années. Ensuite, on passe à une autre zone. Pour les orangs-outans qui vivaient là, c’est la mort garantie.
Pour les consommateurs, c’est pas loin d’être la même chose. Aucune obligation n’est faite d’étiqueter les produits contenant de l’huile de palme, et personne ne se soucie de savoir ce qu’un pékin moyen ingurgite chaque année. Pourtant, les études scientifiques s’accumulent, qui mettent en cause l’huile de palme dans les maladies cardio-vasculaires, le diabète et l’augmentation du cholestérol dans le sang. Et plus la peine d’alerter les bébés, ils sont déjà au jus : on trouve de l’huile de palme dans les laits infantiles, les « gâteaux de croissance », dans les farines des bouillies.
Fabrice Nicolino In hors-série de Charlie Hebdo « Bon appétit ! »