© mcsdwarken Les 1.212 communes littorales concentrent 12% des constructions annuelles sur 4% du territoire national.
Un rapport du Sénat appelle à revenir à l'esprit d'origine de la loi Littoral devenue qu'une loi de protection de l'environnement sans vision de développement équilibré des territoires. Il pointe une application excessive du principe de précaution.
Amenagement | 30 janvier 2014 | Actu-Environnement.com Rachida Boughriet
Si la loi Littoral, adoptée en 1986, a permis de freiner "le bétonnage des côtes", elle connaît encore des difficultés de mise en œuvre pour les élus locaux, critique un rapport d'information du Sénat présenté le 29 janvier à la presse.
La loi Littoral compte quarante-deux articles pour aménager et protéger le littoral. Elle doit permettre d'assurer un équilibre entre la protection des rives et le développement des communes. La loi s'applique aux abords des mers et des lacs situés en zone de montagne dont la superficie dépasse 1.000 hectares. Elle concerne 1.212 communes considérées comme littorales, c'est-à-dire de catégorie "riveraines des mers et océans" ou "estuaires" définies par les articles L. 146-1 du code de l'urbanisme et L. 321-2 du code de l'environnement. Parmi ses dispositions, cette loi interdit de construire dans la bande littorale dite des 100 mètres excepté dans les espaces déjà urbanisés ou dans le cadre d'activités économiques "exigeant la proximité immédiate de l'eau".
Mais cette mesure "d'inconstructibilité", sa délimitation et ses dérogations figure parmi les dispositions de la loi encore "mal comprises et appliquées" dans quelques départements comme la Manche, le Var, les Côtes d'Armor, la Charente Maritime ou la Savoie, soulignent les deux rapporteurs, Jean Bizet, sénateur UMP de La Manche, et Odette Herviaux, sénatrice PS du Morbihan. Trente ans après son entrée en vigueur, les élus des territoires concernés se plaignent de "l'imprécision" et de "l'hétérogénéité" des dispositions visées par cette loi. Ce "grief d'hétérogénéité est alimenté par l'absence de vision et de pilotage par l'Etat de l'aménagement littoral" ou encore "l'insuffisante prise en compte de la loi dans les documents d'urbanisme", indiquent les parlementaires.
Contraintes environnementales
Les élus dénoncent également "l'iniquité" que la loi engendre entre les communes les plus urbanisées et celles "vertueuses qui ont cherché à préserver le patrimoine naturel", a expliqué Jean Bizet. Est également pointée l'articulation du texte avec d'autres lois. "Le littoral est saturé de normes et réglementations protectrices dont l'accumulation est problématique : sites inscrits et classés, arrêtés préfectoraux de biotope, zones humides…", a ajouté Odette Herviaux.
La loi Littoral est "devenue une loi de protection de l'environnement et non d'aménagement". Ce qui a entraîné une multiplication des contentieux contre des permis de construire accordés ou pour qu'un terrain soit classé en zone constructible, a-t-elle souligné. "Les crispations locales ont mené à des recours abusifs. Nous avons constaté une application parfois excessive du principe de précaution dans la loi littoral", a déploré M. Bizet.
Or, l'opposabilité "directe" de la loi Littoral à tout acte individuel "alimente structurellement l'insécurité juridique" autour de ces contentieux, estiment les rapporteurs. Le juge administratif a imposé "sa propre lecture" de la loi "faisant prévaloir la dimension environnementale" sur le développement "équilibré" des territoires. Le juge "est devenu le législateur des lacunes de la loi littoral", a fustigé M. Bizet.
La loi Littoral "n'est pas une loi de protection de l'environnement", réaffirment les sénateurs. Elle "est avant tout une loi transversale d'aménagement et de mise en valeur des activités qui prévient les excès d'urbanisme et prend en compte la qualité des eaux littorales", expliquent-ils.
Des chartes régionales pour appliquer la loi
L' "incohérence" des politiques publiques qui se mêlent à cette loi demeure "l'une des difficultés" de sa mise en œuvre. De même, la "résistance des administrations," quant à la décentralisation des compétences en urbanisme reste "un obstacle", a ajouté Jean Bizet. Il n'est pas question de "remettre en cause" la loi Littoral, a réitéré Odette Herviaux. Les rapporteurs souhaitent "revenir à l'origine" de cette loi et "confier son interprétation" aux élus locaux. Pour ce faire, douze recommandations sont formulées.
"Nous proposons pour cela la mise en place de chartes régionales d'aménagement du littoral optionnelles", a indiqué Mme Herviaux. Ces chartes - mesure phare - seront rédigées par les élus locaux et "devront être en compatibilité avec la loi". Elles déclineront l'interprétation des dispositions particulières au littoral du code de l'urbanisme. Les régions auront trois ans pour élaborer cette charte "juridiquement opposable", a ajouté M. Bizet, et ce pour éviter les interprétations différentes des juges. Chaque charte, qui reste optionnelle, serait adoptée après avis conforme du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML), "garde-fou impartial". Via cette charte, les rapporteurs veulent combler les lacunes des schémas de cohérence territoriale (Scots) qui accusent du retard. Ils veulent rendre obligatoire l'inscription de l'ensemble des dispositions particulières au littoral dans les Scots littoraux et la délimitation de ces espaces dans les plans locaux d'urbanisme. Seuls 546 Scots ont été adoptés sur les 1.212 communes littorales.
En matière d'urbanisme, les rapporteurs demandent également d'autoriser une densification des hameaux existants par comblement des "dents creuses", espaces non construits entourés de parcelles bâties. Pour éviter "le bétonnage", ils proposent également de durcir la loi, en augmentant les zones de ruptures d'urbanisation et d'ajouter comme motif d'extension de la bande littorale "les risques naturels liés aux submersions marines".
Des amendements prévus
Les sénateurs appellent aussi à introduire plus de "solidarité financière" entre les communes littorales "en intégrant un indicateur d'artificialisation des sols dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement". La loi Littoral est "accusée de pénaliser" les communes les "plus vertueuses. Seul un mécanisme de péréquation pourrait permettre de compenser cet effet pervers", a souligné Jean Bizet.
Les rapporteurs ont "tenté de retranscrire leurs recommandations" dans le projet de loi sur l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) en cours de débats au Sénat. "La ministre de l'Egalité des territoires et du Logement a répondu qu'une circulaire est en préparation mais nous sommes sceptiques", a indiqué Odette Herviaux. Leurs amendements seront de nouveau présentés au cours de l'examen de l'Acte III sur la décentralisation. L'un relatif aux "dents creuses" sera proposé en avril aux sénateurs qui débattront du projet de loi d'avenir agricole.