Par Pierre RECARTE / Vice-président de Nivelle Bidassoa et du Cade
L'opinion - Tribune Libre 30/07/2013
RFF a mis en ligne, au mois de juin, sur le site Internet des GPSO, un document élaboré par la commission départementale de consommation des espaces agricoles pour les Pyrénées-Atlantiques. Curieusement, on ne peut plus télécharger cette étude. Elle recèle pourtant des informations intéressantes sur les exploitations agricoles que le projet de LGV Bordeaux-Espagne s’apprête à saccager.
Une emprise de 19 Stades de France !
Sur un linéaire de 35,7 km, l’emprise du projet serait de 316,9 ha, soit 19 fois la superficie totale du Stade de France ! Quinze communes sont concernées, de Lahonce à Biriatou. Une emprise consommant 67,4 ha de terres à Saint-Pée-sur-Nivelle, 63,6 ha à Arcangues, 32 ha à Lahonce, 25 ha à Mouguerre, 29 à Urrugne…
Sur l’ensemble des communes traversées, on recense 478 exploitations agricoles pour 7 081 ha de surfaces agricoles utiles (SAU). Soixante-cinq exploitations, plus de 13 %, sont incluses dans la bande associée au projet proposé à l’enquête publique, ainsi que les estives appartenant à la commune d’Urrugne et à la commune de Saint-Pée-sur-Nivelle. Il s’agit des exploitations agricoles présentant au moins des parcelles, parfois également des bâtiments agricoles et/ou des sièges d’exploitation. Cela représente 142,5 ha de SAU, soit une disparition de 2 % des terres.
Huit exploitations, une à Mouguerre, une à Lahonce, trois à Arcangues, et trois à Ahetze, Urrugne et Ustaritz verraient un prélèvement d’emprise supérieur à 10 % de leur SAU totale. Six autres seraient concernées à hauteur de 8 à 10 % de leur SAU (deux à Arcangues, deux à Urrugne, deux à Saint-Jean-de-Luz et Saint-Pée-sur-Nivelle). Dix exploitations seraient impliquées à hauteur de 4 à 8 %, sur les communes de Saint-Jean-de-Luz, Saint-Pée-sur-Nivelle, Ahetze, Arcangues, Ciboure et Urrugne.
On voudrait signer l’arrêt de mort de l’agriculture dans les zones périurbaines de la côte basque qu’on ne s’y prendrait pas mieux !
Pour 54 exploitations, un impact brut modéré à très fort
Selon une grille multicritères, il est attribué des points pour apprécier l’impact sur les exploitations. Cette échelle va d’un “impact très fort à un impact modéré ou nul”.
Sur les 65 exploitations touchées, 54 (83 %) présentent un impact brut modéré à très fort.
Les emprises concerneraient essentiellement des parcelles de terres labourables dédiées aux cultures annuelles. La polyculture, les vergers et prairies représentent respectivement 30,2 %, 0,5 % et 34,3 % des terres agricoles situées dans l’emprise.
L’emprise du projet concernerait ainsi près de 50 ha de prairies et environ 10 ha d’estives, support d’une activité d’élevage dominante sur le territoire. Ce prélèvement de surfaces en prairie pourra entraîner une diminution du cheptel, mais aussi des pertes de primes. Ces effets d’emprise peuvent se traduire par une multiplication du nombre d’îlots d’exploitation, la création de parcelles irrégulières ou l’enclavement de parcelles.
Une partie des estives communales de Saint-Pée-sur-Nivelle et d’Urrugne, bénéficiant à plusieurs exploitants, est située dans les emprises du projet. Il s’agit d’espaces communaux qui ont une grande importance économique dans le fonctionnement des exploitations.
Des effets de coupure…
La LGV déstructure les exploitations. À Urrugne, deux exploitations verraient leur parcellaire réparti pour 1/3 d’un côté de l’emprise et pour les 2/3 restants, de l’autre côté de l’emprise.
Le parcellaire de huit autres exploitations serait réparti à hauteur de 1/4-3/4. Des parcelles seront morcelées ou peu accessibles, des délaissés ne manqueront pas de se créer. Ces terrains deviendront alors difficilement exploitables. Peu de cheminements agricoles seront coupés. Ils devraient “pour la plupart” être rétablis… selon RFF !
Une galère pendant les travaux
La phase de travaux est prévue pour durer au moins cinq ans. Les emprises durant les travaux sont plus importantes que les emprises définitives.
Cette occupation temporaire priverait le propriétaire ou l’exploitant de la jouissance de ce terrain et la circulation des engins en modifiera bien sûr l’état. Quand ces occupations ne sont pas illégales, comme ce fut le cas récemment avec l’occupation par les ASF de 3 000 m2 de la propriété de B. Exposito à Urrugne. Il a dû faire appel à la justice pour que ses droits soient reconnus !
“À la fin des travaux, les parcelles seront remises en état et restituées à leurs exploitants de façon à ce qu’elles puissent de nouveau être exploitées. Les exploitants concernés percevront une indemnisation pour l’occupation temporaire de leurs parcelles.” L’expérience prouve que les terres restituées sont devenues stériles.
Les activités agricoles particulièrement sensibles au moment des travaux à l’émission de poussières sont les cultures de type viticulture, arboriculture, maraîchage ainsi que les zones de pâturages.
“L’ensemble des terrains agricoles concernés par les travaux sera exposé, durant les phases de dégagement des emprises et durant les phases de génie civil aux risques d’effets directs et temporaires”. Et de façon assez cynique sont énumérés : “Déboisement des accès ; sorties possibles des emprises sur des terres agricoles par les engins de chantier ; divagation du bétail suite à la destruction de clôtures ; interruption d’accès aux parcelles agricoles et interruptions provisoires des cheminements agricoles ; mise en place de dépôts provisoires sur des terres exploitées ; risques de pollution des eaux souterraines ou superficielles exploitées pour l’irrigation ou l’abreuvage du bétail ; risques de pollution de l’air avec émissions de poussières pouvant avoir une incidence sur les cultures et leur rendement.”
Sans oublier l’utilisation d’explosifs qui, pendant la phase de terrassement, peut également perturber les élevages.
Des mesures soi-disant compensatoires
Les propriétaires et les exploitants des surfaces incluses dans les emprises du projet seraient indemnisés. “Sous réserve qu’ils répondent aux critères de grave déséquilibre fixés par le Code de l’expropriation, ils auront la possibilité de demander l’acquisition de la totalité de leur exploitation.”
Quant aux exploitants des propriétés mutilées, l’indemnisation leur permettra de payer le déménagement !
“Un aménagement foncier agricole et forestier (Afaf) pourra être mis en œuvre si les commissions communales ou intercommunales d’aménagement foncier – mises en place par le conseil général dans le cadre du programme du GPSO – le décident.” La constitution de la Safer constituerait des réserves foncières et vendrait ces parcelles aux propriétaires et exploitants une fois qu’ils auront été indemnisés pour les emprises du programme du GPSO.
Comme il n’y a plus de réserve disponible autour des exploitations, où seront les terres proposées à la vente ?
Les auteurs de ce rapport reconnaissent que “la chambre d’agriculture a localement rencontré des difficultés pour mener ses travaux d’enquêtes agricoles. Dans un contexte de rejet du projet et de refus de certains agriculteurs de travailler avec l’organisme consulaire”.
Faut-il s’en étonner ? S’étonnera-t-on si, exaspérés, ils prenaient le chemin d’une révolte violente contre un projet inutile et imposé ?