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6 février 2014 4 06 /02 /février /2014 11:03

 

 

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Marie Astier (Reporterre)

Mardi 4 février 2014


Le 2 février était la Journée mondiale des zones humides. Un événement passé sous silence, alors que, de l’aéroport de Notre Dame des Landes à l’autoroute A 831 en marais poitevin, la machine à détruire continue son avancée. Pourtant, des solutions existent pour assurer la pérennité agricole de ces écosystèmes essentiels à la santé de la biosphère.


Nous les imaginons comme des lieux hostiles, dans lesquels moustiques et crapaux pullulent dans une eau saumâtre et stagnante... Ce sont les marais, les landes, les tourbières, les mares, les abords de fleuves, ou encore les marais salants.


Pourtant, les scientifiques ont montré que les zones humides sont parmi les lieux les plus riches en biodiversité de la planète. Elles servent de lieu de reproduction pour de nombreux poissons et pour la totalité des batraciens et elles abritent de nombreuses espèces d’oiseaux. Elles filtrent l’eau, l’absorbent en cas de grosses pluies, la relâchent en cas de sécheresse.


Difficile d’avoir des chiffres précis, mais en France métropolitaine les zones humides représentent 3 à 4% du territoire. Une bonne partie est utilisée par l’agriculture et surtout par les éleveurs qui y cultivent du fourrage et y font paître le bétail.


Déjà au XVIIe siècle, un ingénieur de Louis XIII avait observé que l’herbe est plus verte dans les prairies humides, rappelle Frédéric Signoret, éleveur de vaches en Vendée : "Claude Masse avait remarqué que dans nos zones humides, on avait une densité de population agricole importante et que c’était là que les animaux étaient les plus gros. Parce que c’est dans les zones humides que la production primaire est la plus forte dans nos écosystèmes."


Des paysages "standardisés" 

Ce n’est pas pour autant qu’on a su les préserver. En 1994, un rapport établissait que 67 % - soit les deux tiers - des zones humides ont disparu en un siècle. Plus récemment, une étude menée sur les années 2000-2010 indique que 40 % des prairies humides se dégradent : leur surface diminue, leurs fonctions régulatrices sont moins bien assurées. En somme, les zones humides régressent et parmi elles, les prairies humides, donc celles ayant un usage agricole, font partie des plus touchées.


"On remplace les gens par des tracteurs de plus en plus gros et on aménage les parcelles pour laisser passer les machines. On draine les zones humides, on transforme le paysage pour qu’il s’adapte à des procédés standardisés et que l’on puisse utiliser les mêmes techniques que partout ailleurs en France", dénonce Frédéric Signoret. "Alors qu’en fait, si on veut produire pour de nombreuses personnes en préservant l’environnement, on a tout ce qu’il faut... Mais on a perdu le savoir-faire."


L’éleveur critique aussi les aides de la politique agricole commune, qui encouragent la culture des céréales plutôt que l’élevage. Le sort de ces prairies humides est lié à celui des éleveurs, qui les entretiennent mais sont de moins en moins nombreux.


"C’est une tendance sociologique de fond, les agriculteurs abandonnent l’élevage au profit des cultures en raison des conditions de travail : une vache, il faut s’en occuper tous les jours alors qu’un champ de maïs on ne s’en occupe que trois mois par an. Donc quand c’est un peu humide mais pas trop, les agriculteurs vont mettre du maïs à la place de la prairie" explique Xavier Poux, consultant-chercheur à l’AScA, un bureau d’études en agriculture et environnement.


"En plus depuis 2008 le prix des céréales est très porteur. Cela va profiter aux céréaliers, mais cela représente des charges supplémentaires pour les éleveurs : ils sont obligés d’acheter les céréales plus cher pour nourrir leurs bêtes. La production de céréales dans le contexte actuel est donc plus simple et plus rémunératrice", poursuit-il.


M. Poux cite les revenus des agriculteurs par activité en 2013 : côté élevage, le revenu sur l’année est en moyenne de 25.100 euros pour une exploitation laitière, moins de 20.000 euros pour la viande bovine, à peine 17.600 euros pour les élevages de chèvres et de moutons. Côté céréales, le revenu se situe à 31.500 euros pour 2013, et il dépassait les 55.000 euros par an depuis 2010.


Une disparition silencieuse 

D’ailleurs, les régions les plus touchées par la disparition des prairies humides sont celles dites "intermédiaires", précise l’ingénieur agronome, "là où vous avez un équilibre entre les cultures et l’élevage herbagé." Il cite la Normandie, ainsi que toutes les régions périphériques des grands bassins céréaliers : l’est de la Lorraine, la région Centre, la Dordogne, le Gers... "Du point de vue environnemental, perdre les quelques prairies humides qui restent dans ces régions, c’est dramatique."


Une disparition silencieuse, car souvent c’est un fossé ou une mare que l’on comble, un bout de champ que l’on draîne. De petites opérations qui ne se remarquent pas mais qui peu à peu font disparaître la fine trame de zones humides qui parcourt le territoire, le "chevelu", comme l’appelle Xavier Poux : "Elle est capitale, mais comme les parcelles sont trop petites, elle échappe aux statistiques, aux programmes de protection et au zonage."


De petites zones humides qui sont englouties au même rythme que les terres agricoles, ajoute Francis Muller, directeur du Pôle-relais tourbières : "L’extension des villes et des zones industrielles et commerciales se fait au détriment des terres agricoles en général et des terres de zones humides en particulier."


Autre risque : quand elles sont trop humides pour être cultivées en céréales, ces terres sont parfois tout simplement abandonnées. Non entretenues, elles perdent leurs vertues écologiques. Sans compter qu’une zone humide est aussi un réservoir de carbone : c’est autant de gaz à effet de serre qu’elle relâche dans l’atmosphère pendant plusieurs années quand elle est détruite.


Des contrats pour les prairies humides 

Patrick Robin, éleveur de vaches laitières en Loire Atlantique, reconnaît qu’entretenir des prairies humides est plus une contrainte qu’un avantage. Son troupeau est nourri à l’herbe et en bio. La moitié de ses terres sont en zone humide. Autrefois, dans le département, ces prairies étaient considérées comme les plus productives pour l’élevage. Conséquence, "la location de ces terres est encore beaucoup plus chère que dans le reste du département, presque deux fois plus élevée", déplore l’éleveur.


Premier handicap, auquel s’ajoute un second : "En ce moment, par exemple, j’ai de l’eau sur les terrains, du fait de la pluviométrie. Sur l’année, la production fourragère est deux fois moins importante qu’ailleurs."


Sans l’action volontaire de l’Etat et des collectivités, il estime que dans son département la plupart des prairies humides seraient en friche. Pourtant elles représentent 10% des terres agricoles de ce territoire. Des terres aujourd’hui préservées grâce à la mise en place, depuis déjà une vingtaine d’années, des "contrats agri-environnementaux".


"C’est basé sur le volontariat, explique ce paysan. On signe pour cinq ans et on s’engage à respecter un certain nombre de mesures pour maintenir la faune et la flore : avec des dates pour faucher le foin, faire paître les animaux, etc." En échange, il reçoit une indemnisation : sept à huit mille euros par an, pour quarante hectares de prairies humides.


En Vendée, Patrick Robin a de son côté bénéficié d’une aide européenne : ses terres humides sont répertoriées dans le réseau Natura 2000. Au niveau international, la convention Ramsar permet de répertorier et protéger les zones humides d’intérêt international. C’est ce réseau qui organise chaque année la journée internationale des zones humides.


"Maintenir les agriculteurs" 

"Ces mesures ont permis de maintenir l’agriculture dans des zones très fragiles", témoigne Chantal Deniaud, directrice technique à la chambre d’agriculture du département de Loire-Atlantique. Pour elle, mobiliser des aides publiques à cette fin est parfaitement normal : "S’il n’y a plus d’agriculture, plus d’entretien, le milieu va se fermer et ne jouera plus son rôle. Or si c’est la collectivité qui prend en charge l’entretien de ces zones dont on a besoin, cela coûtera beaucoup plus cher que de maintenir des agriculteurs."


Mais "on voit bien que les agriculteurs sur ces zones là sont avant tout des passionnés. Ils ont un intérêt qui dépasse l’intérêt économique", observe Chantal Deniaud. Les agriculteurs interrogés par Reporterre confirment.


Frédéric Signoret est un ardent protecteur de la nature, président de la Ligue de Protection des Oiseaux de Vendée et pour lui, son rôle social d’agriculteur est plus important que son revenu. "Etre éleveur d’un troupeau sur une zone humide, entretenir un paysage riche en biodiversité et préserver la qualité de l’eau, ça a un sens", s’enthousiasme-t-il.


Il imagine même un modèle économique qui permettrait d’allier tourisme et élevage en zones humides : "On a de la chance car ce sont aussi des lieux touristiques. Quand on élève des vaches à l’herbe, elles produisent le maximum de leur lait et de leur viande en été, au moment où la saison est généreuse en soleil et température. Du coup si on voulait reterritorialiser l’élevage en zones humides, on aurait toute la clientèle nécessaire pour écouler la production !"


Patrick Robin parle quant à lui d’un "patrimoine" qu’il tient à préserver. "Je suis né ici, cela fait partie de nos paysages, et j’ai une fibre environnementale."


Dans ce contexte, l’enjeu est de transmettre à des jeunes le goût de ces territoires, et les connaissances nécessaires pour les entretenir. "Comme on est dans des milieux particuliers, on est sur des savoir-faire particuliers que l’on n’apprend pas dans les écoles d’agriculture par exemple. La transmission était orale, de père en fils. Or aujourd’hui, la moitié des jeunes qui arrivent sur une exploitation ne sont plus issus du milieu agricole. Sans doute la transmission se fera-t-elle par du parrainage, mais cela reste à l’organiser", explique Chantal Deniaud.


Enfin, pour l’éleveur Patrick Robin, l’avenir de ces zones humides agricoles dépendra des choix politiques : "On n’arrivera pas à convaincre les agriculteurs d’entretenir ces zones avec des mesures contraignantes. Il faut rester sur le principe des incitations, comme avec les contrats. Jusqu’ici l’Etat a utilisé à la fois la carotte et le bâton. Je pense que la carotte est plus efficace."


Les zones humides privées d’avantage fiscal 

C’est une niche fiscale qui avait été « obtenue de haute lutte », rappelle le WWF France. Depuis 2005, les zones humides d’usage agricole sont exonérées de la taxe foncière sur le non bâti. Un avantage « très peu utilisé » selon le député PS Christian Eckert, rapporteur du budget : selon lui seulement 850.000 euros d’exonérations fiscales ont été accordées à ce titre en 2008. La suppression de cette mesure a donc été actée en moins de deux minutes de débat et un petit amendement à l’article 17 de la loi de finance pour 2014.


Les propriétaires de terrains agricoles en zones humides devront donc à nouveau payer la taxe foncière sur le non bâti. Une incitation de plus à ne pas les conserver, selon le WWF qui dénonce une décision qui « risque d’avoir des effets catastrophiques pour la biodiversité nationale en conduisant à la disparition de petits écosystèmes humides vitaux ».


Lire aussi : Les zones humides ont été réduites de moitié en un siècle


 

 

Source : http://www.reporterre.net/spip.php?article5359

 

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