La construction du TAV en Euskal Herria est devenue une priorité pour Madrid. Le gouvernement du PP, harcelé par la pression des marchés, n’est pas disposé à arrêter la construction d'un réseau ferroviaire qui vise à atteindre une longueur de 3 453 km dans l'État espagnol.
Ion SALGADO
Le gouvernement espagnol, celui-là même qui est champion des taux de chômage de l'Union européenne et qui se voit assailli par la pression des marchés, ne veut pas céder sa place sur le podium mondial de la grande vitesse. Malgré les menaces de sauvetage qui plane sur son économie, le gouvernement de Mariano Rajoy, soutenu par différents gouvernements autonomes, lutte pour maintenir le développement d'un réseau de lignes ferroviaires qui vise à atteindre 3 453 kilomètres de long dans les années à venir. Un projet pharaonique pour un État dont la solvabilité est remise en question par les grandes économies de la zone euro.
Selon les données publiées dans le dernier rapport de l'Union Internationale des Chemins de fer (UIC), en date de novembre 2011, l’État espagnol dispose maintenant d'un vaste réseau (1 285 kilomètres) à grande vitesse le long de la Castilla-La Mancha, l’Andalousie, Madrid, l’Aragon, la Catalogne, le Pays Valencien, la Galice et la Castille-et-Léon. Une vaste infrastructure qui dépassera les 2.000 kilomètres une fois terminés les tronçons en cours de construction (1,104 kilomètres) et qui doublera sa dimension dans les prochaines décennies, à condition que soient exécutés les 1.064 kilomètres déjà prévus par l’Adif [Administrador de Infraestructuras Ferroviarias, équivalent espagnol de RFF].
Ces attentes pourront compter cette année sur 5,843 milliards d’euros de la part du budget générale de l'Etat (PGE) décidé par le PP. Ainsi, le gouvernement espagnol renforce sa deuxième position dans le classement international de la grande vitesse, en battant tous les États occidentaux et se plaçant juste derrière la grande puissance orientale, la Chine, qui occupe la première place et vise à couvrir son vaste territoire de plus 8.000 kilomètres de lignes à grande vitesse.
Mais est-il possible de consolider la deuxième place dans le contexte actuel de crise économique ? Du gouvernement de Lakua [près de Vitoria-Gasteiz, siège du gouvernement de la Communauté autonome basque], le ministre du Logement, des Travaux Publics et des Transports, Iñaki Arriola, apporte une réponse claire: « Oui ». S'adressant à GARA, le responsable de la gestion de la construction du TAV, de passage en Gipuzkoa, défend la mise en œuvre de l'infrastructure ferroviaire et signale que les «projets stratégiques ne peuvent pas être conditionnés par la conjoncture économique.»
Pour le secrétaire général du PSE [Parti socialiste d’Euskadi] en Gipuzkoa, la grande vitesse est un projet «stratégique» qui figure dans les agendas de Lakua, de Madrid et de Bruxelles. En outre, il souligne que, dans quatre ans, quand sera terminée la première partie du Couloir Atlantique [censé relier la France et le Portugal via le Pays basque, Burgos, Valladolid, Salamanca], le TAV sera une pièce de grande importance pour la mobilité des citoyens. «Je n'ai aucun doute que le réseau à grande vitesse sera utilisé régulièrement par des milliers de personnes, autant pour leurs déplacements internes que pour leurs voyages à travers l'Espagne et l'Europe», a-t-il déclaré.
Dans le cas concret du ‟Y basque”, Iñaki Arriola soutient qu’«il serait irresponsable d'arrêter ou de ralentir les travaux» et souligne que la mise en œuvre de la ligne à grande vitesse dans la CAV [Communauté Autonome Basque] est encore «un grand facteur dynamisant de l’économie du point de vue de la création de richesses et de postes de travail». Pour justifier ses réflexions, le ministre sort un rapport et rappelle que, selon une étude réalisée par l'UPV-EHU [Université du Pays basque], la mise en œuvre actuelle de TAV en Araba, Bizkaia et Gipuzkoa «est capable de générer annuellement 7.000 emplois directs, indirects et induits»
Selon ce qu’explique le ministre des Transports du gouvernement de Patxi Lopez, des 5,9 milliards d'euros destinés à la construction du TAV dans les trois provinces dépendantes de Lakua [la CAV], 2,65 milliards vont directement pour l’augmentation des revenus familiaux, «aussi bien des travailleurs du chantier que les travailleurs des sous-traitants et des fournisseurs». «Et à mesure que le rythme des travaux s’accélère, ajoute-t-il, plus d’emplois sont créés directement et indirectement.»
Ces paroles sont contestées par les membres du groupe AHT Gelditu! Elkarlana. Son porte-parole, Mila Elorza, questionne les avantages économiques défendus par Arriola et avertit que les emplois créés par la construction de la ligne de chemin de fer sont marqués par la «précarité». «Quels emplois sont créés ? Dans quelles conditions ? Quelles sont les personnes qui travaillent sur ces chantiers du TAV ? Je ne sais pas ce qu’attendent les syndicats pour dénoncer la situation de l’emploi dans laquelle se trouvent les travailleurs du ‟Y basque”».
Quoi qu'il en soit, le principal problème économique auquel doit faire face le développement de la grande vitesse, tant en Euskal Herria que dans l'Etat espagnol n’est pas lié à la création d'emplois, mais à l'équilibre budgétaire. Ces derniers mois, l’actualité des informations a été marquée par les réductions décrétées par les différentes administrations. Des coups de ciseaux qui ont mis en question le développement des grands projets ferroviaires et ont suspendu l’avenir de certaines branches projetées, marquées par une faible demande et le manque de densité de population.
Des lignes à destination de nulle part
Un exemple de cette situation peut s’observer en Estrémadure, où le gouvernement de Mariano Rajoy a décidé de continuer à construire une ligne à grande vitesse qui, dans le meilleur des cas, une fois terminée servira à un peu plus de 250.000 personnes. Plus de 400 kilomètres de voies ferrées entre Madrid et Badajoz, qui ne relieront pas la capitale espagnole à Lisbonne, comme prévu initialement, parce que le gouvernement conservateur de Pedro Passos Coelho, étranglé par les dettes et surveillé de près par la Banque centrale européenne (BCE), a décidé de classer le projet ferroviaire controversé.
L'Asamblea estremeña Contra el AVE confirment que le refus du Portugal menace la poursuite des projets de lignes à grande vitesse dans la région. En outre, comme ils l’expliquent, «l'intensité des travaux du TAV a diminué ces dernières semaines et il semble qu’ils vont ralentir l’autorisation de nouveaux tronçons» «Suite au refus de Lisbonne, la politique du PP, timidement, vise à renouveler le réseau des trains régionaux, laissant de côté la construction de l'AVE», indique la plate-forme.
Cependant, le changement d'attitude du gouvernement d'Estrémadure, aux mains du PP depuis les élections du mois de mai l'an dernier, est arrivé trop tard selon l'opinion des activistes estremeños, qui voient comment les travaux furent achevés de Cáceres à Aldea del Carmen et de La Garrovilla à Montijo. Deux tronçons de voies à grande vitesse sans connexion avec les deux villes de référence pour l'Estrémadure, Madrid et Lisbonne. À cet égard, un représentant de l'Assemblée estremeña rappelle que le TAV est une infrastructure conçue par les grandes puissances de l'Union européenne avec un objectif clair: «Connecter les grandes villes du Vieux Continent. » « Le réseau ferroviaire à grande vitesse oublie une grande partie de la population vivant dans les villes moyennes et petites,» conclut-il.
En revenant en Euskal Herria, quelque chose de semblable se passe en Navarre, où le gouvernement de Yolanda Barcina (UPN-PSN) a décidé de financer avec 134 millions d’euros la construction du TAV et où cette année il ne recevra que 2,95 millions d'euros de la part du ministère espagnol du développement. Une très petite somme pour financer les 82,3 kilomètres entre Castejón et Saragosse, un lien vital pour une ligne à laquelle, à l'heure actuelle, il manque une jonction définie avec le réseau estatal (de l’Etat espagnol) de la grande vitesse.
Pour Julio Villanueva, membre de Mugitu! Mugimendua, «cela n’a aucun sens» que le gouvernement de Iruñea (Navarre) finance de manière unilatérale les travaux d’un tronçon qui semble n’avoir aucune garantie d’être raccordé avec le ‟Y basque” ou avec la ligne reliant Saragosse à Madrid et Barcelone. En outre, en tenant compte du nombre d'habitants de la Navarre, le porte-parole de la plate-forme s’alarme du coût que représentera pour les Navarrais la mise en œuvre d’une infrastructure irréalisable économiquement. «En Espagne, il n’existe pas un seul kilomètre rentable, pas même la ligne Madrid-Barcelone qui est en déficit. Il est clair que quelque chose de semblable se produira en Navarre», a-t-il souligné
Manque de financement
Un autre problème économique attaché à la construction du TAV se situe dans les conflits entre les communautés autonomes dépendantes des budgets de l’État. Ces dernières semaines, le débat sur les fonds destinés à la construction de nouvelles lignes à grande vitesse a opposé le maire de Barcelone, Xavier Trias (CiU) et celui de Vigo (Galice), Abel Caballero (PSdG-PSOE), qui revendique la jonction du TAV de la Galice avec Madrid. Cette nouvelle ligne radiale compte, actuellement, sur une participation budgétaire de plus d'un milliard d'euros.
Le maire de Barcelone a considéré comme «inacceptable et injuste» que soit destiné un tel montant pour un investissement de «douteuse utilité». Au lieu de cela, Trias a bombé le torse pour défendre ses intérêts et exige que la priorité soit donnée à la mise en œuvre du Couloir Méditerranéen, une ligne alternative pour relier Algésiras avec l'Etat français par la partie orientale des Pyrénées. Le chantier de cette ligne, la première non-radiale (qui ne passe pas par Madrid) prévue dans l'État espagnol, recevra 1,3 milliard d'euros de la part du gouvernement de Rajoy au cours des prochains mois.
A l'extrémité opposée se trouve son homologue de Vigo qui, cette semaine, a critiqué durement les déclarations de Trias, auquel il a lâché que «maintenant c'est au tour de la Galice». Abel Caballero a insisté sur le fait que les institutions galiciennes n'ont pas protesté quand le gouvernement espagnol a décidé de relier Barcelone à Madrid avec une ligne à grande vitesse. «Elle a seulement dit qu’elle voulait aussi la sienne, mais qu’elle était solidaire avec la Catalogne», a-t-il dit.
Cette dispute pour les fonds entre les différentes administrations, ainsi que les coûts supplémentaires du projet et les craintes d'une grande partie de la société, qui rejette aussi la construction du TAV pour les conséquences des travaux sur l'environnement, remettent en question la viabilité d'une infrastructure trop chère pour un Etat étroitement surveillé par les institutions financières internationales, qui se méfient de la prochaine destination du train de l'économie espagnole.
Gara, 15 avril 2012