dimanche 2 mars 2014
Par Nastia Houdiakova
« Tout le monde bouge son boule » ordonne la chanson qui accompagne les étranges manifestants. Une trentaine de vaches tachetées chante et se trémousse sur le rythme disco de leur tube entraînant (clip ci-dessous). Les passants du Salon de l’Agriculture s’arrêtent, étonnés, et regardent défiler ce groupe de vaches masquées. Elles deviennent le centre de l’attention du hall dans lequel elles défilent, fières, la truffe en l’air.
Le « collectif des mille vaches » gambadait hier, mardi, au salon agricole afin de sensibiliser visiteurs et politiques sur le projet de la ferme « usine » mené par l’entrepreneur Michel Ramery, dans la Somme. L’idée de l’industriel est de concentrer un millier de vaches dans un même local pour rentabiliser au mieux la production. Le lisier de ce bataillon laitier serait lui-même récupéré et « méthanisé » afin de générer du gaz, par la suite commercialisé. « Quoi qu’est-ce j’entends ? Tu veux que je vive en usine ? Mais moi j’suis une vache, j’suis pas une machine ! », meugle en cadence le chœur bovin. L’orchestre produit un effet bœuf. Une maman, poussette et enfants à la main, s’est jointe au cortège débridé. « C’est vraiment très sympathique ! Même si je ne sais pas vraiment de quoi ils parlent ». Les citoyens ne connaissent pas tous le plan industriel de la Somme. Mais les réactions ne manquent pas : « Mille vaches ? Mais c’est beaucoup trop ! Ils sont fous ! ».
Le ton léger de la revendication bovine, chapeauté par la Confédération Paysanne, amuse autant le public que ses acteurs qui se sont aussi souvent mobilisés contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Certains ont même gardé leur pin’s sous leur pelage noir. « C’est gentil et ludique ici, ça nous change des barricades de Nantes » souffle une vache nommée Pierre-Alain, aux beaux pis roses. Certains groupes présents sont en effet des abonnés de la contestation passive et citoyenne. Outre Novissen et L214, le Collectif des Désobéissants milite contre le nucléaire et soutient la cause palestinienne. « Et maintenant les vaches ! » rigole Rémi, représentant des Désobéissants. « Nous nous décrivons comme des clowns activistes ». Le ton est décidément posé. L’ancien directeur du site d’exposition de la porte de Versailles est ravi : « Vous dansez ? », conclut-il. Dans le hall 7, tous ne broutent pas de cette herbe-là. La jeunesse agricole laisse entendre un autre son de cloche : « C’est le système qui veut ça, on est bien obligé de le suivre » explique Anthony, éleveur d’une vingtaine d’années en Rhônes-Alpes, depuis son stand du CNJA. « Si les pays de l’Est le font et pas nous, c’est la mort de l’agriculture française », renchérit son collègue d’Isère, Emmanuel.
Un peu plus loin, les étudiants d’Agro Paris-tech, souhaitent avoir le choix : « On n’a pas le droit d’interdire à des gens qui veulent produire plus de le faire. Chacun choisit son modèle. » « Trop de formations agricoles font la promotion de l’agro-business » précise, comme en réponse, le porte-parole de la Confédération Paysanne, Laurent Pinatel. « On n’apprend pas aux jeunes à cultiver autrement. Il faut changer de moule ! » Les paroles de la chanson du jour reviennent en écho : « un truc sympa, un truc agricole, qui pourrait faire école ». Le troupeau animé, sous ses airs forains, interpelle les politiques sur le projet. « L’ancien ministre de l’agriculture, Bruno Le Maire, s’est prononcé contre. Hollande a confirmé que la ferme litigieuse s’apparentait à une usine, mais après ? », questionne Laurent Pinatel, dépité. « Si on gagne le procès mené contre eux, ce ne sera que grâce à des vices de procédure ». Et pour cause, en ce jour, aucune loi ne limite la production laitière à grande échelle.
Tour de piste final, les manifestants ruminent leur aigreur et reprennent le refrain, une dernière fois, hauts les cœurs : « Mais c’est quoi ce boordel ? C’est juste industriel. Tu veux m’méthaniser, et donc me faire chiiier ».
Source : causeur.fr