A propos du projet de ligne LGV Bordeaux/Toulouse
Comme pour le projet de grand contournement autoroutier de l’agglomération bordelaise, une procédure administrative de débat public est actuellement engagée concernant la future ligne à grande vitesse Paris/Toulouse en passant par Bordeaux alors que ce projet a été déjà approuvé en décembre 2004 par le CIAT. Dans le dossier présenté au public, sans qu’une fois de plus ne soit discutée l’opportunité du projet, il a été choisi de faire passer cette ligne par le Sud Gironde qui jusqu’à présent avait été peu touché par l’expansion des infrastructures de transport en tout genre. Un miracle environnemental après quarante ans de croissance économique insoutenable ! Or depuis le début de ce siècle, cette partie du département, frappée par la déprise agricole est l’objet de toutes les attentions des aménageurs au nom de l’intérêt national. Il y a eu d’abord la voie à grand gabarit pour faire passer les morceaux du « Titanic des Airs » (A380) au terme d’une procédure d’expropriation d’extrême urgence sans aucun débat public, puis il y a aujourd’hui le projet d’autoroute Langon/Pau dont on attend l’enquête publique sans qu’il y ait eu ici encore un débat public. Enfin, cerise sur le gâteau, c’est maintenant le projet de LGV Bordeaux/Toulouse. Il paraît que grâce à ces multiples infrastructures de transport, accompagnées, bien sûr « d’aménagements paysagers », le Sud Gironde va enfin sortir de son arriération pour emprunter la voie royale du « progrès » grâce à son « désenclavement » ! On entend donc une fois de plus de la part des fanatiques du « progrès » la même ritournelle depuis quarante ans qui vise à occulter non seulement tous les impacts environnementaux entraînés par ce projet mais aussi les bouleversements du cadre de vie des populations expropriés. Des secteurs très habités et consacrés à une viticulture de qualité comme la région des Graves vont inévitablement être affectés par ce projet sans en retirer aucun avantage. Rappelons à ce propos que toutes ces grandes infrastructures n’ont jamais été conçues pour le développement local mais d’abord pour desservir des grandes métropoles.
Sans envisager le débat que l’on veut nous imposer sur les itinéraires possibles à emprunter par cette voie, ce projet correspond-t-il à un intérêt public manifeste ? Observons tout d’abord que pour aller en train de Paris à Toulouse, passer par Bordeaux n’est pas le plus court chemin. Un moment, il avait été question de moderniser la voie ferrée passant par Vierzon et Limoges pour y faire passer des TGV pendulaires, mais ce projet parfaitement rationnel a été abandonné au nom de la religion de la vitesse. Pourtant il faut savoir que par définition les gains de temps entraînés par l'amélioration de la vitesse des trains ne peuvent aller qu'en décroissant au regard des inconvénients de tous ordres qui eux ne peuvent qu’aller croissants, telle est la loi d'airain du progrès technique dont nous n'avons pas encore réalisé la portée. Le principe de réalité que l’imaginaire technicien prométhéen ignore nous rattrapera un jour violemment.
En second lieu, il faut noter que ce projet s'inscrit dans un système économique de concurrence entre les divers moyens de transport qui est tout à fait contradictoire avec la rhétorique officielle sur la complémentarité, compte tenu qu' aucune priorité politique n' a jamais été établie entre le rail , la route et la voie aérienne . Concurrence et complémentarité sont des termes antinomiques qui conduisent inévitablement au gaspillage de deniers publics comme d'espaces naturels. Notons à ce propos que l’explosion actuelle des prix du pétrole devrait rapidement rendre les transports aériens inabordables, ce qui obligera les cadres pressés à prendre le train.
Quant à l’argument selon lequel la LGV libèrerait la voie actuelle, par ailleurs aujourd’hui peu encombrée par le trafic ferroviaire, pour le transport de marchandise, rappelons que le fret est actuellement en voie d’abandon total au profit de la route sans que le gouvernement ne prenne aucune mesure de réorientation de la politique des transports dans ce domaine. De ce point de vue, les arguments développés par RFF dans sa plaquette auraient mérité plus de crédibilité.
Enfin, même si l’on accepte cette logique du toujours plus vite qui est la religion secrète de notre société, comme il semble difficile de tout faire à la fois, il paraît évident que la réalisation de la LGV Bordeaux/Espagne - qui pourrait tout à fait emprunter la voie existante où a été battu le record de vitesse en 1955 - est autrement urgente et rentable que cette bifurcation vers Toulouse qui ne présente aucun intérêt pour la Gironde et en particulier pour la région des Graves et du bazadais. Compte tenu de l’importance de l’investissement projeté, on aurait aimé qu’une partie modeste de cette masse financière soit plutôt consacrée à aider les agriculteurs et les PME en difficulté économique dans cette dernière région.
Simon CHARBONNEAU Université de Bordeaux I