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28 mars 2014 5 28 /03 /mars /2014 16:34

 

 

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Andrea Barolini (Reporterre)


mercredi 26 mars 2014


Les défenseurs du Lyon-Turin le parent d’un vernis écolo en le présentant comme une alternative au fret routier. Mais un train reste-t-il écolo quand il perce une montagne en détruisant les sources d’eau, quand le chantier de la ligne a un mauvais bilan carbone et quand il fore des zones pleines d’uranium et d’amiante ?


Sur le papier, rien de plus écolo : l’utilisation du train pourrait réduire les nuisances, le gaspillage d’essence et de gazole et les émissions de CO2, en captant une part importante du trafic lié au fret routier, aux automobiles et aux services aériens. Mais les choses ne sont pas si simples.


La construction de la ligne Lyon-Turin se trouve en effet depuis longtemps dans le collimateur des environnementalistes italiens : sous la montagne dans laquelle est censée passer la ligne ferroviaire - selon le projet né en 1991 et relancé par les Etats français et italien en accord avec l’Union européenne en 2001 -, des chercheurs indépendants ont trouvé des matériaux fortement dangereux pour la santé publique, tels que l’amiante et l’uranium.


Un tunnel qui creusera dans… l’uranium et dans l’amiante 

Cela n’est pas une surprise ! Le Val de Suse, qui traverse le Piémont du tunnel de Frejus jusqu’à Turin, est connu en Italie comme la « mine uranifère d’Europe ». Et ce n’est pas le mouvement populaire « No-TAV », qui depuis longtemps s’oppose au projet, qui le dit, mais la compagnie pétrolière italienne Agip : elle a confirmé la présence de matériel radioactif dans les années 1970, quand l’entreprise publique a creusé des tunnels exploratoires dans les montagnes situées entre les municipalités de Giaglione et de Venaus.


Les techniciens de l’Agip s’étaient lancés à la recherche de pechblenda, le constituant principal des minéraux d’uranium pour l’industrie nucléaire car, à l’époque, avant les référendums de 1987 qui ont imposé en Italie l’abandon de l’atome, le pays voulait se doter d’un parc nucléaire.


Cela a été aussi confirmé en 2012 par Massimo Zucchetti, professeur du Politecnico de Turin, qui est allé personnellement à côté des sites où ont commencé les premiers travaux pour la réalisation des tunnels : « Avec un compteur Geiger, a-t-il expliqué à Reporterre, j’ai relevé des taux de radioactivité jusqu’à mille fois plus élevés que la radiation naturelle. Il y a vingt-huit endroits dans le Val de Suse où l’uranium émerge de la surface du sol, y compris sur un des sites où sera creusée une partie du tunnel. Ce matériau est présent dans la montagne depuis des milliers d’années. C’est pourquoi, s’il faut la creuser, il serait intelligent de ne pas le faire ici... ».


Zucchetti a en fait relevé les donnés (le quotidien italien Il Fatto Quotidiano a diffusé la video de la visite près du chantier) juste à quelques centaines de mètres de Maddalena di Chiomonte, le lieu choisi pour le chantier par la société Lyon Turin Ferroviaire (LTF, filiale de Réseau Ferré de France et de Rete Ferroviaria Italiana), qui est le promoteur de la section transfrontalière entre Saint-Jean-de Maurienne, en Savoie, et Bussoleno, en Piémont.


« On n’a trouvé ni amiante, ni uranium », a répondu Marco Rettighieri, directeur général de la société franco-italienne, à l’agence de presse Ansa, début juin 2013. Mais dans les documents de planification initiale du projet, les techniciens du LTF n’avaient même pas envisagé l’hypothèse de trouver de l’uranium.


« Donc nous ne savons pas s’ils étaient équipés d’appareils pour détecter la radioactivité, ni de protections contre celle-ci. Maintenant, ils parlent dans le projet définitif de l’éventualité de trouver de l’uranium. Mais ils ne spécifient pas l’éventuelle destination de tels déchets spéciaux, qui bien évidemment ne pourraient pas être utilisés, par exemple, pour des œuvres civiles », poursuit Zucchetti.


L’affaire connait aussi un précédent. A Venaus, village où est censée passer la LGV Lyon-Turin, une centrale hydroélectrique était entrée en service en 1967, les matériaux extraits avaient été utilisés pour un terrain de football à Giaglione : « On y relève aujourd’hui un taux de radioactivité double par rapport à la normale. Il ne s’agit pas d’un risque pour la population, mais d’un signal qui confirme la présence d’éléments dangereux », observe le professeur.


Mais l’uranium n’est pas le seul souci sur le tracé du Lyon-Turin. Dans les terres situées sous le Val de Suse, on trouve un autre matériau fortement nuisible pour la santé publique : l’amiante. Dans ce cas, la présence en a été confirmée par les projets officiels eux-mêmes. « Mais, on ne sait pas pourquoi, le projet suppose de trouver de l’amiante seulement dans les 500 premiers mètres des tunnels. En réalité, on pourrait en rencontrer sur l’ensemble du chantier, c’est-à-dire sur les 104 km de tunnels », explique Zucchetti.


Donc, les roches extraites devraient être traitées de la même façon que des déchets potentiellement dangereux, ce qui entrainerait une forte augmentation des coûts. Comme le projet prévoit la construction d’une ligne ferrée de 200 km, comprenant huit tunnels, cinq viaducs et cinquante-neuf ouvrages d’art, on mesure l’importance de l’enjeu. Aussi du point-de-vue de la sécurité des centaines, voire milliers, d’ouvriers qui seront chargés des travaux.


Le risque géologique 

« Mais les problèmes sont liés aussi à la géologie, explique Nicoletta Dosio, enseignante retraitée qui lutte depuis vingt ans contre la LGV. Le chantier est juste à la base d’un vieux éboulement de la montagne qui est soumis régulièrement à un monitorage par la société qui gère l’autoroute qui passe juste à coté. Et ces analyses ont confirmé que, tôt ou tard, des écroulements se produiront ».


De plus, la montagne est très riche en eau : « Certains villages resteront sans approvisionnement. Et savez-vous ce qu’ils ont répondu ? Qu’ils délivreront l’eau avec des citernes ! », a ajouté à Reporterre Doriana Tassotti, activiste du mouvement No TAV, qui regroupe les opposants italiens au projet de ligne à grande vitesse (LGV) entre Lyon et Turin.


La présence de l’eau, en effet, est bien connue même par la société chargée des travaux, qui a dû perforer un tunnel supplémentaire (240 mètres de longueur et 70 centimètres de largeur) pour la canaliser. Les No TAV ont déposé à ce propos une plainte auprès du parquet de Turin.


Un bilan carbone très incertain 

En tout cas, diront les promoteurs de la LGV, tout le monde doit reconnaître qu’un train est bien plus écologique que les autres moyens de transport. A priori, la réponse est prévisible. Mais ce qui est vrai pour les trains « normaux », n’est pas nécessairement vrai quand on parle de lignes à grand vitesse.


Une analyse de plusieurs experts et professeurs universitaires, parue sur le quotidien italien Il Manifesto, explique que « c’est certainement vrai que le transport ferroviaire est plus propre, mais il faut considérer aussi les émissions liées à la construction et aux infrastructures nécessaires pour le fonctionnement, ainsi que l’entretien régulier et extraordinaire. Surtout, il faut tenir compte du fait que l’énergie électrique qu’il faudra utiliser est produite, en Italie, principalement grâce aux combustibles fossiles ».


Et puis, la physique complique les choses : « L’augmentation de la consommation d’énergie, poursuivent les professeurs, n’est pas linéaire pour un véhicule en mouvement : elle s’accroît de 3 ou 4 fois quand on accélère de 100 à 300 km/h, par rapport aux accélérations entre vitesses inférieures, à cause de la perte d’énergie cinétique et de la résistance aérodynamique à l’avancement ».


Le résultat, selon les experts, est que « compte tenu des infrastructures dédiées, les émission de CO2 par kilomètre peuvent être 30 % plus élevées que celles des trains InterCity ».

 


Source : Andrea Barolini pour Reporterre

Photos :
. Chapô : France3 Alpes (Mars 2002, les ministres du Transport français et italien donnent le premier coup de marteau-piqueur dans la roche à Modane, chantier du futur tunnel du Lyon-Turin.)
. Compteur geiger : Il fatto quotidiano
. Massimo Zucchetti : collection particulière.


Lire aussi : L’incroyable gaspillage du projet ferroviaire Lyon-Turin.

 


 

Source : http://www.reporterre.net/spip.php?article5606

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