Joe Higgins, Irlande, GUE Martine Bouchet, CADE Catherine Grèze, ALE, co organisatrice de la réunion
Le 18 mai 2010 au parlement de Strasbourg
Mesdames et messieurs les députés,
Chers amis,
La Charte d'Hendaye est un texte qui a été conçu par un premier groupe d'associations en janvier 2010. Elle a été signée en quelques semaines à peine par de très nombreuses associations, ou mouvements des états italien, espagnol et français. Elle correspond en effet, sur chaque projet Ligne à Grande Vitesse (LGV) ou Ligne dédiée fret grande capacité, au même vécu des citoyens et des associations. Cette concordance de tant de points communs, sur des projets où chaque région pouvait croire qu'elle faisait face à un phénomène unique a créé une nouvelle dynamique entre les différentes régions touchées par des projets LGV. Comme il est donc dit en introduction de la Charte, notre opposition restera toujours locale, car c'est de là que vient sa légitimité, dans la représentation des citoyens concernés, mais elle prend une dimension plus globale. Notre présence à Strasbourg est pour nous une étape importante, pour nous permettre de dénoncer à la fois les projets eux-mêmes dont l'impact environnemental et socio-économique nous paraît désastreux, mais également les modes de décisions.
Nous vous remercions donc très chaleureusement d'être venus nous écouter, et nous espérons qu'à l'issue de cette réunion vous aurez à coeur de nous aider à sensibiliser l'ensemble de la société sur le sujet de la Très Grande Vitesse ferroviaire, afin de sortir des slogans simplistes que les décideurs ont tendance à utiliser.
Les projets LGV et fret grande capacité soulèvent donc de fortes protestations dans de nombreuses régions, et le risque est important que la frustration des populations ne se transforme en véritable colère.
Diapo 1
Rappelons en quelques chiffres, et de manière non exhaustive, l'ampleur de la protestation. Dans le Sud Ouest de la France où le projet LGV en est à sa phase de définition de fuseau, le 23 janvier 2010, jour de la signature de la Charte d'Hendaye, une manifestation a réuni plus de 15000 opposants dans les rues d'Hendaye et d'Irun. Dans le même temps se déroulait en Italie dans la vallée de Suse, une manifestation regroupant plus de 30000 personnes.
Dans le Var et les Bouches du Rhône, à la même étape du projet, de grosses manifestations ont eu lieu également.
Dans toutes ces manifestations, de nombreux élus locaux ont montré leur opposition au projet. En plus des manifestations, et de pétitions regroupant de nombreuses signatures, les associations ont organisé des référendums, notamment dans le Sud Ouest le même jour que des élections officielles, mais également dans l'Ain.
Diapo 2
Dans l'Ain, à Bény, un référendum prévu le même jour que les élections régionales de mars 2010 a été annulé à la dernière minute par le préfet, ce que nous dénonçons. Ce référendum interdit a été réorganisé rapidement, en dehors de toute autre élection officielle. Outre le très fort taux d'opposition à la LGV (plus de 98 %), il est tout à fait remarquable de constater que le taux de participation a été largement supérieur à celui des élections régionales (73 %).
Ce phénomène a également été constaté dans le Pays Basque, où dans certains villages le taux de participation du référendum a été supérieur à celui des élections régionales se déroulant le même jour.
Le « Non à la LGV » l'emporte au Pays Basque à plus de 90 % (référendums organisés dans des 13 villages, soit sur 35 845 votants). En Gironde, sur les 3 villages consultés, le « Non à la LGV » l'emporte à 92,5 %
A noter également que dans ces mêmes villages consultés, les listes affichant leur opposition à la LGV obtiennent des scores très largement supérieurs aux scores obtenus dans des zones où les associations opposées à la LGV n'ont pas pu faire connaître leurs arguments, et inversement pour les listes ouvertement pro LGV qui ont été largement sanctionnées.
Dans les mois à venir, la diffusion des nombreux arguments contre la LGV va se poursuivre, et nous pensons que le débat sur la LGV va prendre de plus en plus d'ampleur dans la vie publique. L'opposition dépasse en effet largement les personnes directement impactées par le tracé de la LGV. Les fuseaux annoncés par RFF ont été modifiés, mais les villages entiers, même dans des quartiers non concernés, continuent à se mobiliser de la même façon, ce qui est très visible à la lecture des résultats des référendums. Pourquoi ?
–L'exaspération vient du mode de décision : les chiffres annoncés pour justifier la ligne sont faux, les études le prouvent, mais le projet continue.
–Les dégâts environnementaux et socio-économiques sur toutes les régions sont énormes.
Les modes de décision
Je ne vais pas développer dans les détails tous les éléments qui alimentent notre opposition et notre colère, j'espère juste vous inciter à regarder le document que nous avons constitué , qui lui même est aussi un résumé, et que nous mettons en ligne avec d'autres compléments d'informations, et surtout à commencer à tisser des liens entre vous et nos associations pour que vous puissiez nous aider face à l'énormité de ces projets.
La première chose qui alimente la colère des citoyens, c'est le fait que RFF et les décideurs de projets utilisent des procédures qu'ils veulent faire croire de concertation, par exemple le débat public, mais en biaisant totalement les dossiers présentés au public.
Il est tout à fait évident que les décisions de construction sont déjà prises, avant le démarrage des débats publics, et que les données de base qui sont présentées sont en quelque sorte recalculées à l'envers pour faire croire que de nouvelles infrastructures sont nécessaires.
Je vais juste donner un exemple, mais avant cela, il faut que vous sachiez qu'il n'y a pas que les opposants qui le disent, il y a eu notamment le rapport de la Cour des comptes, publié en 2008, qui s'intitule « UN RÉSEAU INÉGALEMENT ENTRETENU ET DES INVESTISSEMENTS DISCUTABLES «.
Diapo 3
Je vous lis un des extraits :
« Le lancement de nombreux projets dont la rentabilité socioéconomique est insuffisante est d’autant plus inquiétant, même si ce constat n’est pas spécifique à la France, que les bilans a posteriori des lignes à grande vitesse mettent en évidence une rentabilité en général bien plus faible qu’espérée initialement en raison d’une sous-estimation des coûts et d’une surestimation du trafic assez systématiques. »
Par exemple, sur la LGV Bordeaux Hendaye, le trafic existant, que ce soit en voyageurs ou en fret, a tout simplement été doublé par rapport à la réalité, et les projections d'augmentation particulièrement optimistes, (ce que d'autres rapports ont souligné) et par ailleurs non cohérentes par rapport aux estimations annoncées sur d'autres projets de LGV.
En plus de cela, même avec toutes ses grossières manipulations, il est prouvé par des études indépendantes de RFF que le trafic même surestimé passe sans problème sur le réseau existant. Ce qui met en colère, outre ces justifications erronées qui permettent à un débat public de conclure à la nécessité de nouvelles infrastructures, c'est qu'après coup, les politiques décideurs, et même RFF reconnaissent que les estimations relèvent plus du pari que d'autre chose, mais le projet continue. C'est une véritable tromperie, mais une étape du processus a été franchie, et les décideurs s'appuient sur cette validation pour y puiser leur légitimité. On se sent impuissants face à cette situation, alors que nous cherchons à faire fonctionner des institutions démocratiques, notre déplacement ici en est une preuve supplémentaire.
Les citoyens sont bernés. Ils passent par plusieurs stades : l'étonnement, l'incrédulité, puis l'écoeurement et la colère. L'attitude de RFF et des décideurs des projets est perçue comme autiste, ou arrogante. C'est un véritable un détournement de démocratie.
Dans le document que nous vous avons remis, nous donnons d'autres exemples de dysfonctionnements que je vous invite à regarder : déplacement des fuseaux après débat public, incohérence technique entre des fuseaux pourtant contigus.
Il est important de souligner également que les prévisions de financement sont elles systématiquement bien en dessous de ce qu'il se passe après réellement, ce qui bien entendu incite les élus à donner leur accord, d'autant qu'ils ne mettent pas en doute lors du débat public les arguments présentés par RFF.
De ce point de vue, nous demandons l'application de la convention d'Aarhus, signée par l'Europe, et qui prévoit que sur les projets ayant un impact environnemental, les citoyens soient consultés lorsque toutes les options sont encore possibles. Cette convention n'est pas appliquée comme elle le doit. C'est un outil qui pourrait concrètement permettre de reprendre à zéro les projets.
Diapo 4
Les LGV et lignes de fret grande capacité nous sont nuisibles
La deuxième grande raison de la colère qui monte dans les régions, c'est la prise de conscience par les citoyens que les LGV pour les voyageurs, et les lignes de fret grande capacité pour le fret nous sont nuisibles. Elles sont inutiles, puisque partout le réseau existe et peut recevoir des augmentations de trafic importantes.
Mais bien plus que cela, elles nous sont nuisibles. Je ne développe même pas l'argument le plus simple, qui est de considérer que le financement mis dans ces projets est forcement fait au détriment d'autres projets dont l'utilité publique est certainement meilleure.
Nous sommes d'ailleurs surpris que l'état des finances et le niveau de la dette publique ne soient pas plus pris en compte par l'Europe dans sa décision de rendre possible la construction de ces lignes par son apport financier, alors que l'entretien et la régénération des voies existantes correspondent aux préconisations du rapport public annuel 2010 de la Cour des Comptes
Elles sont nuisibles. Sur le plan environnemental, bien sûr, car ce sont des trouées qui sont faites dans des espaces naturels encore intacts, et qui détruisent et cloisonnent des habitats de faune sauvage. On ne peut pas se dire défenseur de la nature, et accepter la construction de telles infrastructures ferroviaires. Les lignes traditionnelles ne sont pas infranchissables. Ce n'est pas le cas des LGV.
L'argument asséné par les pro LGV concerne le bilan en CO2. L'argument simple, mais faux est : la LGV permet de réduire l'émission de gaz à effet de serre. Ceci est vrai pour le train, mais ce n'est pas vrai pour la grande vitesse, ne serait ce qu'à cause de la quantité de CO2 dégagée pour le chantier lui même. Vous trouverez sur le site référencé en début de page un document faisant le point des études à ce sujet.
Plusieurs experts recommandent aux environnementalistes de reconsidérer l'opinion positive qu'ils ont pu avoir sur les LGV, à cause de leur mauvais bilan CO2.
En plus de cela, le gain de CO2 qui est annoncé par nos décideurs l'est toujours par rapport à la route. L'honnêteté intellectuelle veut qu'on compare les LGV par rapport aux trains circulant sur les voies existantes à des vitesses raisonnables. ! Et ce n'est pas du tout pareil. Les pro LGV assimilent ferroviaire et LGV, mais à l'intérieur du ferroviaire, la LGV ce n'est pas du tout la même chose qu'un train classique. C'est là encore un détournement de la sensibilité et la culture écologiques qui sont en train de se développer chez les citoyens,. Pour ceux qui creusent un peu le dossier, c' est insupportable.
Diapo 5
Dans la catégorie des dégâts, il y n'y a pas que les dégâts environnementaux, mais également les dégâts d'ordre socioéconomiques, qui rendent les LGV et les lignes fret grande capacité nuisibles. Le nombre de gares sur les nouvelles infrastructures de LGV est très limité, alors que les voies existantes permettent à certains trains d'aller de bout en bout sans arrêt, donc de manière rapide, mais elles permettent également à des trains intercités de circuler. Pour capter le maximum de voyageurs sur les trains circulant sur les nouvelles voies, les trains intercités sont supprimés, obligeant les voyageurs à se rabattre sur les LGV. Les nouvelles voies excluent du transport
ferroviaire un très grand nombre de citoyens, de par le prix des billets qui transforme le train en transport de luxe, et de par sa conception même qui n'assure par le drainage du territoire. Et tout ceci pour un gain de temps relativement faible par rapport à la circulation des trains sur des voies entretenues, et à un coût colossal.
Un des effets pervers est donc l'assèchement des liaisons intercités, qui relient actuellement les villes dites moyennes entre elles. Pour illustrer ce phénomène ,nous avons le triste exemple de la mise en fonction de la LGV entre Paris et Strasbourg . Le politiquement correct, c'est de dire « c'est formidable, Paris à deux heures de Strasbourg ». La réalité, c'est que ce temps est volé aux habitants situés en milieu de parcours. Plusieurs sous préfectures (Commercy, Toul, Longwy,Verdun, Neufchâteau) ont perdu leur liaison directe avec la capitale. Ils doivent aller en voiture, ou en Ter quand c'est possible, rejoindre une gare sur le tracé de la LGV. Le temps gagné par quelques uns est en fait volé à d'autres.
Vous verrez également dans le document comment le tronçon Tours Bordeaux, dont la concession est promise à Vinci, vole des passagers à la ligne historique entre Paris et Toulouse, en créant 2 tronçons transversaux (Poitiers-Limoges et Bordeaux-Toulouse), pour demander des financements aux régions de Limoges et Toulouse pour le Tours Bordeaux.
Voilà quelques uns des effets pervers de la Grande Vitesse que nous dénonçons.
Conclusion
Comme dit le slogan de nos amis italiens « A sara dura », c'est à dire ça va être dur ! Nous le savons, car nous savons que la prise de conscience de nombreux élus doit se faire contre la ligne politique de nombreux partis. Nous avons conscience que les intérêts de lobbys très forts qui espèrent capter les marchés de construction, et de vente de matériel roulant spécifique à la Grande Vitesse sont colossaux. Tous les manifestants, les citoyens qui ont signé nos pétitions, et qui ont voté le savent aussi . Ca va être dur, mais notre détermination est profonde. Elle est profonde car nous sommes attachés à nos territoires et à la vie dans nos régions, qui ont besoin d'un service de transport adapté à des distances courtes entre nos villes moyennes et nos métropoles régionales.
Nous sommes attachés à nos territoires et à la préservation de la nature et de notre environnement. Notre détermination est profonde, car c'est également la vie de nos enfants, et de nos petits enfants qui va se dégrader, et c'est eux qui vont devoir payer la dette publique que nous laissons et qui ne va faire que s'aggraver en finançant des travaux pharaoniques.
Ca va être dur, mais nous sommes là, et nous espérons que vous nous aiderez.
Ca va être dur, mais nous ne lâcherons pas !
La contribution de la délégation française
Les documents de la délégation italienne sont sur le site : www.notav-valsangone.eu
Les documents de la délégation du Pays basque Sud sont sur leurs sites : www.ahtgelditu.org ou www.sindominio.net/ahtez