© Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet Manifestation du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet à Albi le 18 octobre dernier
Alertée par une eurodéputée française, la Commission européenne est en train de vérifier si le projet de retenue d'eau de Sivens répond à la directive cadre sur l'eau. Plusieurs éléments pourraient la contraindre à lancer une procédure d'infraction.
Eau | 20 novembre 2014 | Actu-Environnement.com Florence Roussel
"La Commission enquête sur ce dossier. L'éventualité d'une procédure ne peut donc être exclue à ce stade". C'est en ces termes que la Commission européenne a confirmé l'information selon laquelle elle s'intéresserait au projet de barrage de Sivens dans le Tarn. Dans le cadre de ses prérogatives, l'institution peut en effet vérifier le respect de la réglementation européenne par les Etats membres.
Dans le cas du barrage controversé du Tarn, c'est une alerte lancée à plusieurs reprises par l'eurodéputée EELV Catherine Grèze (Sud-Ouest) dans le cadre des questions parlementaires qui a poussé la Commission à s'auto-saisir du sujet. L'enquête est en cours depuis novembre 2013. Elle s'inscrit dans la procédure pré-contentieuse EU Pilot et porte plus particulièrement sur le respect de la directive cadre sur l'eau (DCE) selon l'eurodéputée EELV.
La procédure EU PilotL vise à apporter des réponses plus rapides aux problèmes apparaissant dans l'application du droit de l'UE - notamment à ceux soulevés par les citoyens et les entreprises - et requérant une confirmation de la situation de droit et de fait dans un État membre.
EU Pilot est utilisé avant que la Commission lance la première étape d'une procédure d'infraction envers un Etat membre. Elle examine la plainte et entre en relation avec l'Etat membre concerné.
C'est par cette voie que la Commission européenne a été amenée à s'intéresser au projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes suite au dépôt de trois pétitions auprès de la Commission des Pétitions du Parlement européen.
La France a été invitée à fournir des éléments en mars dernier selon le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. L'association estime que l'enquête devrait se terminer d'ici peu - la date du 26 novembre prochain est évoquée - même si la Commission précise "que le collège ne se prononcera qu'à la lumière de tous les éléments résultant de ces investigations. Aucune date ne peut être avancée".
Non détérioration des masses d'eau
La directive cadre sur l'eau a plusieurs objectifs et notamment la non détérioration de la qualité des masses d'eau. Pour que la création d'une retenue d'eau sur un cours d'eau, comme c'est le cas au Testet, soit admissible, l'étude d'impact doit établir soit qu'il n'y a pas de détérioration prévisible des masses d'eau, soit que l'impact ne conduise pas la masse d'eau à changer de catégorie (mauvais, bon ou très bon état).
Dans le cadre du montage du projet, sa compatibilité avec la législation a été vérifiée notamment via l'enquête publique (étude d'impact) et par l'autorité environnementale. Les deux enquêtes ont conclu à un avis favorable assorti de préconisations supplémentaires en matière de compensation.
En effet, l'impact majeur de la retenue d'eau réside dans la submersion de 12 ha de zones humides et dans le risque de disparition de 5 ha de zones humides à l'aval de la retenue. Dans un rapport de fin 2011 cosigné par les Conseil général de l'Environnement et du Développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l'Alimentation, de l'Agriculture et des Espaces ruraux (CGAAE), les ministères de l'Ecologie et de l'Agriculture ont eux-aussi estimé que "la réalisation ne modifiera pas (ou que très peu) l'état des masses d'eau". Mais dans son plus récent rapport d'expertise (cette fois-ci non co-écrit avec le ministère de l'Agriculture) rendu public en octobre 2014, le CGEDD qualifie de "médiocre" l'étude d'impact effectuée.
L'impact de l'ouvrage sur la qualité de la masse d'eau a-t-il été suffisamment étudié ? La question est loin d'être neutre sachant que le CGEDD et le CGAAE pointaient en 2011 des problèmes de méthodologie et d'interprétation de la notion de "dégradation des masses d'eau". La mission appelait notamment à la réalisation d'une synthèse de travaux scientifiques sur les impacts des barrages en cohérence avec les paramètres suivis dans le cadre de la DCE. Par ailleurs, "il conviendra de chercher à qualifier, en droit interne, le concept de détérioration des masses d'eau prévu dans la directive. A défaut la jurisprudence tranchera", soulignait la mission.
La participation financière des agriculteurs en question
La directive cadre sur l'eau pose un autre principe moins connu : celui de la récupération des coûts. Il convient ainsi que "la politique de tarification de l'eau incite les usagers à utiliser les ressources de façon efficace et contribue ainsi à la réalisation des objectifs environnementaux". Autrement dit "aucun projet de retenue d'eau ne saurait être élaboré sans participation financière des bénéficiaires, ne serait-ce qu'au titre des coûts d'entretien, de sécurité et de renouvellement nécessaires à la pérennisation de l'ouvrage", prévient le CGEDD et CGAAE. Or, les deux administrations ministérielles s'inquiétaient en 2011 pour le projet de Sivens : "le dossier ne dit rien sur l'assiette de ces frais (tous les usagers du bassin du Tescou ? Ceux de l'axe Tescou uniquement ? Ceux situés sur le département du Tarn ?)". Selon le récent rapport du CGEDD, cette question n'a toujours pas été tranchée : le dossier de déclaration d'intérêt général énonce bien le principe d'une tarification du coût de fonctionnement de la retenue aux irrigants, mais les services du conseil général du Tarn étudient encore la mise au point de cette tarification.
Le financement du projet en péril ?
Au regard des premiers éléments présentés ci-dessus, plusieurs points sont susceptibles de déplaire à la Commission européenne. Si l'enquête concluait à un non-respect de la DCE, le financement d'une partie du projet de retenue d'eau de Sivens, via le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) serait impossible. Sur les 8,4 millions d'euros que le Conseil Général du Tarn doit débourser, plus de 2 millions d'euros sont sollicités sur les fonds FEADER. Déjà pointée du doigt par les experts du CGEDD dans leur récent rapport, la question du financement reste donc bien fragile. D'autant plus que la Commission pourrait également se pencher sur la compatibilité des mesures de compensation prévues pour la destruction des zones humides avec la directive Habitat.