Barnabé Binctin (Reporterre) Rosia Montana (Roumanie), reportage
mardi 13 mai 2014
Le quatrième forum européen contre les grands projets inutiles et imposés s’est achevé dimanche soir en Roumanie. Venus de tous les pays, les activistes ont élargi leur engagement, des infrastructures au gaz de schiste et à l’extraction minière.
Près de cent cinquante militants ont participé de jeudi à dimanche au quatrième Forum européen contre les grands projets inutiles et imposés, le FAUIMP 4, en Roumanie, dans un site menacé par un projet de mine d’or. Pendant quatre jours, ils ont échangé récits des luttes sur le terrain, réflexions sur la situation et les choix stratégiques, analyses de sujets techniques comme le partenariat public-privé, la compensation pour perte de biodiversité ou l’accaparement des terres.
Le Forum est né de la rencontre de grands mouvements d’opposition à des projets d’infrastructures, tels que la LGV Lyon-Turin, l’aéroport Notre Dame des Landes ou la gare de Stuttgart. Et ces trois mouvements formaient à eux trois une part substantielle du contingent présent. Ils ont indiqué où ils en étaient.
En Italie, la lutte ne faiblit pas : une manifestation samedi dernier à Turin a ainsi précédé de nouvelles révélations sur la réduction du financement européen – un des enjeux principaux du dossier – attendues en milieu de semaine. A Nantes, le contexte a changé dans le bon sens avec le départ de Jean-Marc Ayrault de son poste de Premier ministre et la procédure d’infraction engagée il y a trois semaines par la Commission européenne contre la France au sujet des études d’impact environnemental. Mais l’opposition maintient un niveau d’alerte important et prépare activement son prochain rassemblement des 5 et 6 juillet. En revanche, à Stuttgart, l’ambiance semble la moins optimiste : Elsbeth, membre de l’alliance Stuttgart 21, reconnaît une certaine « lassitude » : malgré des manifestations qui réunissent chaque lundi près de 2000 personnes, les travaux ont bel et bien commencé.
Autour de ces étendards de la lutte contre les grands projets d’infrastructures, le Forum en a mis d’autres en lumière. C’est le cas du projet de liaison LGV entre Tanger et Casablanca, au Maroc, ou bien du troisième pont sur le Bosphore, en Turquie : à Istanbul, un nouveau pont relié à un projet autoroutier est censé désengorger la ville, pour un coût dépassant deux milliards d’euros. Bulent Muftuoglu insiste, avec la Northern Forest Resistance of Istanbul, sur le déboisement et la destruction d’une forêt protégée. Muftuoglu représentait aussi la Gezi Park Association, qui lutte contre le projet de rénovation urbaine de la place Taksim qui détruirait le jardin de cette place, lutte à l’origine du mouvement de protestation y a un an en Turquie
Des infrastructures à l’extractivisme
Les projets miniers, au premier rang desquels celui de Rosia Montana, ont aussi pris une place importante dans les débats. S’il aura été beaucoup question du projet local de mine d’or appelé à détruire les montagnes environnantes en utilisant du cyanure, la plénière consacrée à la question aura mis en évidence un autre projet, en France, avec le permis de recherches de Villeranges (Creuse) octroyé à la société Cominor.
Le gaz de schiste et la fracturation hydraulique ont aussi fait une entrée remarquée dans le Forum. L’enjeu est crucial en Roumanie, où le premier puits d’exploration est imminent dans le village de Pungesti auquel s’intéresse Chevron depuis la fin de l’année 2012. Malgré d’importantes manifestations animées notamment par l’association Vira, les explorations se développent dans l’ensemble du pays. Une autre association, R9TM, s’est ainsi inquiétée des intérêts supposés de Gazprom dans la région de Timisoara. La lutte contre le gaz de schiste se poursuit aussi en Grande-Bretagne, comme l’a raconté l’association Platform.
C’est un enseignement important de ce Forum : la lutte contre les GPII ne concerne plus que les infrastructures, mais s’élargit à l’extractivisme.
Car les activistes européens poursuivent un travail de définition des GPII. Pour Paolo Prieri, une réussite du mouvement est d’avoir nommé son objet à travers le concept de Grand projet inutile et imposé. Tout en réaffirmant les principes de la Charte de Tunis, le Forum a avancé en élargissant le cadre de définition :
Le souci des alternatives : La lutte contre les GPII ne se réduit pas à une opposition de principe. A l’image des opposants au projet de grande ligne HS2, en Angleterre, qui promeuvent en remplacement un système régionalisé, il s’agit de montrer que l’on peut faire autrement – bien souvent, en renouvelant l’existant.
Le GPII est un avatar du néolibéralisme : en démontrant que les grands projets incarnent une vision capitaliste des solutions économiques à la sortie de crise, avec la foi dans un retour à la croissance adossé à l’argument de la création d’emploi, le Forum s’inscrit dans la lutte contre les plans d’austérité.
La solidarité dans un contexte de criminalisation : répression policière et poursuites juridiques deviennent des préoccupations de plus en plus importantes pour les mouvements sociaux. Le Forum a déclaré son soutien aux quatre activistes italiens emprisonnés depuis plusieurs mois pour avoir détruit un compresseur d’air – ce qui leur vaut d’être accusés de terrorisme.
L’échelon européen comme levier d’action/réaction : à deux semaines des élections européennes, il aura été beaucoup question d’Europe, tant il apparaît que l’Union européenne devient un acteur des politiques de grands projets – un atelier présentait notamment les « project bonds », ces nouveaux mécanismes de financement européen – tout autant qu’il peut être un facteur d’opposition, notamment sur les bases du droit communautaire.
Plusieurs idées ont aussi émergé à Rosia Montana. Le mouvement Utopia a notamment proposé de lancer une Initiative citoyenne européenne (ICE) autour des grands projets inutiles et imposés. L’idée soulève néanmoins des questions difficiles : faut-il se reconnaître comme une entité à part entière, condition pour porter ce type d’initiatives ? Doit-il se structurer officiellement, afin de se donner une existence en tant que telle et s’exprimer d’une seule voix, reconnue par tous ? L’assemblée n’a pas formulé de réponse à ces questions, qui se cristallisent en fait sur un point d’achoppement : quel rapport du mouvement au politique ?
En tout cas, le Forum a confirmé la dynamique en mobilisant une nouvelle fois les grands mouvements d’opposition nationaux. Convoquer une telle assemblée pour la quatrième année consécutive, en y intégrant de nouveaux acteurs, atteste de la force de convergence de ce réseau à l’échelle européenne. « Continuité et élargissement », résume Geneviève Coiffard-Grosdoy, qui avait fait le déplacement au nom de la coordination des opposants à Notre Dame des Landes. Le Forum pourrait s’ouvrir aux pays méditerranéens, comme il a été proposé. Et des coopérations sont engagées, par exemple entre le collectif des naturalistes en lutte de Notre Dame des Landes et le mouvement Salvati Rosia Montana, pour apporter de l’expertise sur les inventaires de biodiversité.
A court-terme, l’avenir du mouvement passe par la création d’un site web commun, prenant pour base celui créé pour l’occasion, décliné en six langues malgré des moyens très restreints.
Rendez-vous est pris pour l’année prochaine. Le lieu reste incertain : Istanbul, en raison de la vigueur des mobilisations populaires, ou le pays Basque, où la focale sur les lignes à grande vitesse permettrait peut-être d’ouvrir à la question plus globale du transport. D’ici là, le paysan roumain qui accueillait le forum a défini le programme : « La lutte, la lutte, la lutte ! »
Source : http://www.reporterre.net/spip.php?article5848