L'opinion - Tribune Libre
07/12/2012
Pierre Recarte / Nivelle Bidassoa, membre du CADE
Le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin, discuté depuis plus de vingt ans, a été au coeur du sommet franco-italien, le 3 décembre à Lyon.
Une obstination coupable
François Hollande, et Mario Monti, ont signé un accord pour réaliser cette liaison censée développer le fret ferroviaire de part et d’autre des Alpes, de diminuer de moitié la durée du trajet Lyon-Turin et de mettre Paris à un peu plus de 4 heures de Milan contre 7 actuellement. Ce projet vise à construire une “autoroute ferroviaire”, afin de transférer près d’un million de poids lourds par an de la route vers le rail alors qu’aujourd’hui, seulement 10% des marchandises empruntent le rail. L’argument serait recevable si la SNCF s’était engagée fermement en faveur du fret. Or actuellement il est en voie d’abandon au profit de la route, sans que le gouvernement ne prenne aucune mesure crédible de réorientation de la politique des transports dans ce domaine. L’expérience le montre : partout où les lignes anciennes ont été libérées par la construction de LGV, aucun progrès dans le transport de marchandises n’a été noté.
Les opposants estiment que le tunnel du Mont-Cenis permet déjà d’assurer un report du fret routier vers le rail et qu’un nouveau tunnel ne se justifie pas tant que le trafic ferroviaire n’augmente pas. “Commençons par saturer l’infrastructure existante” disent-ils. La ligne actuelle ne voit en effet transiter que 4 millions de tonnes de fret par an pour une capacité de 15 millions.
La Cour des comptes, dans un référé rendu public début novembre, pointe le “pilotage insuffisant” du projet, son financement “non défini”, son coût “en forte augmentation” (de 12 milliards d’euros en 2002 à 26,1 milliards aujourd’hui) et sa “faible rentabilité socio-économique”. Au vu de ces critiques, elle demande au gouvernement de “ne pas fermer trop rapidement l’alternative consistant à améliorer la ligne existante”.
Une vision passéiste
L’Etat sourd à toutes les injonctions reste persuadé que les transports de personnes et de marchandises continueront à croître en suivant les mêmes tendances que lors des 30 dernières années. Il continue à investir dans des projets pharaoniques, comme la LGV Lyon-Turin ou l’aéroport N.D. des Landes, alors qu’aujourd’hui nous avons la dette sans la croissance. Les programmes actuels de grandes infrastructures de transport parient sur un futur qui est derrière nous. Les projets rentables d’autoroute, de LGV et d’aéroport ont tous déjà été construits.
Comme l’écrit Julien Milanesi* : “Ces acrobaties prévisionnelles témoignent d’un déni de réalité. Nous sommes à satiété, et ces projets fondés sur le pari que la mobilité est sans limites sont autant de ferments pour les crises de demain.”
Aujourd’hui toutes les zones habitées de notre territoire sont accessibles et ces nouveaux équipements ne génèrent pas de croissance supplémentaire. Ils ne reposent plus que sur la seule volonté d’augmenter la vitesse de déplacement au service des “élites mobiles”.
Une inertie devant les défis
L’Etat, s’il perçoit les enjeux du futur est incapable de mettre en place les politiques capables de répondre aux défis de demain.
Un monde s’éteint, une ère nouvelle s’ouvre, celle de l’énergie chère, du pétrole rare. Le temps de la croissance sans fin s’achève, la mondialisation reposant sur des transports bon marché sera bientôt révolue.
Notre société fondée sur l’abondance énergétique découvrira bientôt la restriction. Le changement climatique, par la transformation rapide de la biosphère, déstabilisera notre système économique. Le modèle sociétal des lobbies, fondé sur des mégalopoles bétonnées, interconnectées et un saccage de l’espace naturel réduit à un enfouissement de déchets, est en voie de disparition du fait de leur empreinte environnementale catastrophique et de leur caractère inhumain.
Il va falloir inventer d’autres modèles de société, repenser notre développement, nos échanges, modifier nos modes de vie, nos déplacements, nos villes, limiter l’étalement urbain, réorganiser les territoires…
Il va falloir relocaliser l’économie, développer une agriculture de proximité, rapprocher les lieux de production des citoyens. La pénurie des énergies fossiles doit nous inviter dès maintenant à développer les énergies renouvelables.
Messieurs les décideurs, la transition énergétique c’est maintenant !
Le gouvernement en parle mais est-ce une figure imposée par ses alliés écologistes ou une réelle volonté politique ?
S’engager de façon irréversible pour trouver une issue à la pénurie des énergies fossiles et ne pas laisser ce champ à l’abandon devrait être l’objectif de la décennie à venir. Où sont les programmes de centrales solaires, de parcs d’éoliennes ? Où sont les mesures encourageant la “sobriété énergétique”, la limitation de l’étalement urbain ? Il est grand temps de mettre en place une réelle politique des transports collectifs dans nos cités et nos territoires en développant les transports de proximité et du quotidien. Comment lutterons nous contre le changement climatique, quelles séries d’initiatives seront prises ?
Le gouvernement ne semble pas appréhender ces mutations et leur incidence sur notre vie quotidienne et notre avenir. L’Etat se trompe dans ses choix et ne prend pas à bras le corps les défis du futur.
Programmer la construction de LGV d’aéroports, de grandes infrastructures n’est plus de mise aujourd’hui.
Refuser de voir l’avenir tel qu’il se profile, continuer la politique du passé est une attitude coupable et irresponsable vis à vis des générations futures.
*Julien Milanesi est économiste, associé au CERTOP (Centre d’Etude et de Recherche Travail Organisation Pouvoir).