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12 février 2011 6 12 /02 /février /2011 07:33

 

 

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Mercredi 9 février 2011 3 09 /02 /Fév /2011 16:07

    

Bien que la critique du TGV, dans son principe même (et non la seule contestation du tracé de ses lignes), ait été le fait de trop peu de citoyens, elle a passé la rampe en surfant sur le mouvement social de l'hiver 1995 (voir Silence n°201, février 1996, page 27). Alors, une commission de réflexion sur le devenir de la SNCF a dû reconnaître les coûts exorbitants de l'installation du TGV par rapport à ceux de la mise en service de trains pendulaires (Pendolino italien, X-2000 helvético-suédois, Talgo pendular espagnol, train canadien Bombardier).

 

Au plus bas, le prix de construction de la ligne TGV est en effet de 35 millions de francs par kilomètre. Il s'est élevé à une moyenne de 51 millions de francs pour le TGV Nord. 60 millions de francs par kilomètre sont envisagés pour un éventuel TGV Est (30 milliards pour le devis actuel). C'est un réseau d'autant plus coûteux qu'il accueille moins de voyageurs et que seuls les TGV peuvent y circuler : même la nuit, quand les voies sont libres, les trains de marchandises ne peuvent les  emprunter.

 

L'adaptation du réseau existant aux trains pendulaires, elle, ne coûte environ qu'un million de francs par kilomètre pour une ligne en bon état ; ce qui ferait environ un demi-milliard de francs pour les quelques 500 kilomètres entre Strasbourg et Paris, soit la bagatelle de soixante fois moins que le coût du TGV !

 

Il est assez logique qu'un moyen de transport conçu pour, au sol, concurrencer l'avion coûte très cher. Il requiert évidemment une infrastructure des plus lourdes pour gommer les reliefs et trancher à vif dans tous les tissus complexes de la Vie ; une infrastructure et une rigité d'usage dont l'impact écologique et social pèse bien plus lourd que ne le révèlent les calculs technocratiques.

 

C'est là un choix qui, entre autres, résulte de la concurrence plus que contre-productive entre des entreprises (SNCF, Air Inter...) nourries par l'énergie des contribuables-citoyens et qui, donc, devraient viser à offrir des services complémentaires. Mais la notion de "service public", ou de bien communautaire, s'est déjà perdue, noyée sous les stratégies de l'argent et de son détournement. Car ce qui importe le plus pour des "décideurs" qui ont à peine conscience qu'il y a de la vie autour d'eux, ce n'est pas de faire quelque chose de logique et d'efficace, c'est de cultiver des prétextes au détournement le plus massif possible de l'argent public. Ce qui, ensuite, constituera la dette publique au nom de laquelle seront imposées les politiques de rigueur payées par... toujours les mêmes.

 

Si la logique et l'efficacité étaient de mode, nous ne nous emcombrerions pas de tous ces personnages uniquement soucieux de schématisations déconnectées du réel ou de voler le bien commun, ni de tunnels sous des mers où voguent des bateaux et sous des cieux où volent des aéronefs, ni d'autoroutes bondées par les flux tendus de véhicules très chers et très polluants. Nous aurions peut-être aussi songé à libérer la peau de la Terre et à soulager l'atmosphère - et nos porte-monnaie - en laissant enfin décoller les beaux, souples, plus sûrs que l'avion et très économiques dirigeables actuels (1).

 

Si la logique et l'efficacité étaient de mode, la SNCF n'aurait pas abandonné l'étude et les premières applications de la technologie pendulaire dont elle était si fière dans les années 1960. Mais voilà, piqués au vif par les prouesses de l'Aérotrain de la société Bertin, les technocrates ont choisi – seuls pour tous et pour l'avenir – d'enterrer la pendulation et les améliorations conjointes pour mobiliser l'énergie de l'Etat sur la réalisation d'un bolide au ras des pâquerettes (2).

 

Arrêtons-nous un instant sur cette technologie dédaignée par les élites françaises. Donc, les trains pendulaires se penchent dans les courbes pour compenser la force centrifuge (jusqu'à 8 degrés d'inclinaison), mais ce n'est pas là la seule caractéristique. Dans les trains classiques et le TGV, la rigidité des boggies (3) interdit aux roues de suivre fidèlement les courbes. Alors, les roues n'étant plus parallèles aux rails – tangentielles à la courbe – elles frottent contre ceux-ci, entraînant une importante perte d'énergie et la création du risque de déraillement. C'est à ce phénomène que les utilisateurs du métro parisien doivent les insupportables bruits de laminage dans les virages serrés. Avec les pendulaires dotés de boggies souples (à "contrôle radial"), les roues suivent le mouvement des rails, d'où d'appréciables économies d'énergie et de matériels, la réduction du risque de déraillement et un gain de 40% de vitesse dans les courbes.

 

La souplesse des trains pendulaires permet leur adaptation à tous les réseaux existants. A l'opposé du TGV qui n'est autre qu'un outil technocratique, produit rigide d'une pensée rigide, au service de la politique de déstructuration d'un authentique bien communautaire, comme il nous en a été arraché tant, les pendulaires peuvent s'adapter aux paysages et à tous ceux qui les habitent, aux implantations humaines, à la vie des utilisateurs du train et à la santé des bubgets publics.

 

Reprise dans les cercles technocratiques soudain touchés par la grâce, illustrée par l'alliance de GEC-Alsthom avec Bombardier, détenteur de la technologie pendulaire, pour conquérir les Etats-Unis ("Déficits", TGV et spoliation", Silence n°204, mai 1996, page 15), la critique confidentielle du TGV a triomphé avec l'annonce par Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat aux transports, de la refonte des programmes TGV au profit des trains pendulaires ("Le TGV va-t-il devenir intelligent ?" Silence n°210, novembre 1996, page 18).

 

La réaction des amateurs d'anticipation simplistes, comme il s'en faisait tant au début des années soixante, et de ceux qui engloutissent de colossaux profits au détriment de tout le monde en recouvrant de béton les paysages et la Vie n'a guère tardé. C'est le Ministre de l'Equipement (sic), Bernard Pons et également – c'est plus inattendu, vu ses choix éclairés pour la circulation urbaine – Catherine Trautman, maire de Strasbourg, bientôt suivis par le Premier Ministre, qui ont mené la contre-offensive. A l'heure où les mêmes prétendent justifier la fermeture de 6000 kilomètres de lignes sous prétexte qu'elles sont un peu "déficitaires" (4), voici qu'ils remettent en selle le projet de TGV Est dont les 30 milliards de francs, au minimum, ne devraient connaître qu'un taux de rentabilité de 3% (15% pour Paris-Lyon, 10% pour le TGV-Atlantique, ce qui est déjà insuffisant bien qu'il s'agisse des maximums obtenus en forçant les voyageurs à prendre le TGV). Et dans la foulée on nous annonce un nouveau TGV entre La Défense, Rouen et Caen !

 

Stimulant la pression pour un transport élitaire destructeur de paysages et de vie sociale, des élus alsaciens et autres osent encore vanter la concurrence que ferait le TGV à l'avion et à l'automobile. Duplicité ? Réelle incompétence ? Voilà belle lurette que le système TGV, du fait des prix, d'un inconfort internationalement remarqué et des contraintes invraisemblables qu'il crée pour des parcours hier faciles, pousse des fidèles du train vers la voiture individuelle et le co-voiturage. Quant à la concurrence faite à l'avion... Après les prix cassés sur les lignes régulières qui, déjà, rendaient le transport le plus énergivore attrayant par rapport au train, voici l'heure des navette aériennes accessibles toutes les demi-heures sans réservation et à des prix plus qu'intéressants par rapport à ceux du TGV. Gageons qu'avec une navette aérienne Paris-Strasbourg (avion et, mieux encore, dirigeable) le taux de rentabilité de la ligne TGV projetée tombera à moins que rien.

 

Mais, au fait, pourquoi ces élus pourquoi si soucieux de concurrencer l'avion et l'autoroute tolèrent-ils et, même, votent-ils la transfusion permanente de l'argent public à l'automobile, au transport routier et aux autoroutes, c'est à dire aux industriels et aux financiers les plus nuisibles (5) ? Et pourquoi ces élus du peuple se soucient-ils tant des grands pôles de la technocratie et de la spéculation, et des liaisons entre eux ? Ne devraient-ils pas plutôt lutter contre la déstructuration générale provoquée par ce modèle macroéconomique de "développement" qui ignore les hommes et leurs écosystèmes ?

 

Par dessus tout, songeons que, particulièrement sur les longues distances, si l'on veut économiser du temps actifs, aucun bolide ne rivalisera jamais avec un confortable train de nuit. Et souvenons-nous de la réflexion d'Ivan Illich dans "Energie et équité" :

"L'utilité marginale d'une augmentation de vitesse, accessible à un petit nombre de gens, a pour prix la croissante désutilité de la vitesse pour la majorité (...) Il se crée une hiérarchie des destinations accessibles selon la vitesse qu'on est succeptible d'atteindre et chaque catégorie de destination définit une classe correspondante d'usagers (...) En outre, chaque nouveau réseau a pour effet la dégradation des réseaux de moindre vitesse" et "chaque dépassement d'un seuil de vitesse augmente d'autant la fraction du temps social dévolue au déplacement".

 

Ce sont les piétons, les chevaux montés ou attelés, les cyclistes, les tramways chassés par l'automobile de la majeure partie des espaces communautaires. Ce sont les petits trains, pourtant bien pratiques, puis les lignes secondaires sacrifiés pour les bolides étrangers aux vies et aux biotopes dont les premiers étaient familiers. Ce sont les dirigeables et les péniches sabotés par les camions amis des bétonneurs, pour des gouffres à kérosène plus lourds que l'air, mais aussi plus lourds que la résistance des finances publiques et celle de la santé de la planète. C'est le voyage et la rupture avec l'ordinaire, c'est la découverte, la rencontre qui nous changent, supprimés par l'idéologie du "déplacement".

 

Fragilisés par la révélation de leur incompétence et de leurs turpitudes, technocrates et politiciens voient s'affaisser le piédestal qui les rendait inaccessibles. Du coup, certains semblent moins inaccessibles à la critique et à ce qui se passe dans le monde des vivants. Comme d'autres exemples récents, le début de la remise en cause du TGV en témoigne. Sachons faire monter la pression de l'action citoyenne.

 

 

ACG

Silence n° 215 – mars 1997

 

 

(1)   C'était au début des années 1980. Sous peu - 1987 au plus tard – devait être créée une ligne régulière de dirigeables, probablement lenticulaires, entre Londres et Paris. Il y avait encore d'autres projets, bientôt réalisés disait-on. Puis le projet napoléonien de tunnel sous la Manche a été exhumé, puis les premiers TGV ont commencé à rouler... et on n'a plus jamais entendu parler de dirigeables en Europe.


(2)   "Les coulisses du TGV : l'aérotrain" par Julien Blain, Connaissance du rail n°132, 133, 134, février, mars et avril 1992. L'aérotrain dont, soit dit en passant, la réalisation serait bien moins onéreuse et bien moins traumatisante pour les écosystèmes et les communautés sociales que les lignes TGV puisqu'il est porté par un rail suspendu comme on le voit encore au nord d'Orléans.


(3)   Les roues sont fixes sur des axes parallèles.


(4)   En l'occurence, le "déficit" est de 1,3 milliard de francs pour l'ensemble des lignes régionales ; ce qui doit être relativisé au service indispensable rendu aux individus, aux familles, aux entreprises et aux collectivités – tous et toutes contribuables -, et non être considéré du seul point de vue du bilan interne de la SNCF (voir Alternatives Economiques n°133, janvier 1996). Comment ne pas rapprocher aussi ces 30 milliards qu'il semble si important de jeter dans la poche des bétonneurs et le passif de moitié inférieur qui justifierait le don pur et simple de tout le potentiel de Thomson à un spéculateur mondialiste, assorti d'une enveloppe de 11 milliards ?


(5)   Coût de la bagnole : au moins six fois supérieur à ce que paie son propriétaire... et encore, sans compter les inestimables coûts dus à la déstructuration de l'habitat et à l'augmentation des distances physiques et relationnelles entraînée par l'usage de l'automobile. Estimation officielle française du seul coût des pollutions dues à la route : 20 milliards de francs par an.

 

   

2010

Aujourd'hui, c'est sous le label "Grenelle de l'environnement" que l'on nous présente

de nouveaux projets TGV.

Nous sommes en plein progrès.


 

Source : http://claac-pyrenees-atlantiques.over-blog.com/article-la-fin-de-l-aberration-tgv-66792566.html

 

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