Publié le 23 octobre 2013
Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 16 octobre 2013
Le Conseil constitutionnel valide la loi sur l’interdiction de la fracturation hydraulique. Derrière cette « victoire » à la Pyrrhus, tout est prêt, chez les socialos comme à droite, pour le grand voyage vers l’Eldorado.
Vendredi passé, le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État après d’une plainte de l’industriel américain Schuepbach, a validé toute la loi de 2011 sur l’interdiction des gaz de schiste. C’est donc fini, et les cocoricos n’ont pas manqué de s’élever dans le ciel tricolore, de José Bové au ministre de l’Écologie, Philippe Martin. Encore une victoire française !
La décision du Conseil, heureuse à n’en pas douter, cache au passage son lot de très mauvaises surprises. Rappelons pour commencer le contexte du vote de la loi de 2011. À l’extrême fin de l’année 2010, le mouvement contre les gaz de schiste commence ses manifestations, qui font rapidement craindre une jacquerie générale dans les régions les plus concernées, de l’Ardèche à l’Aveyron, en passant par les Cévennes. Le printemps 2011 fait flipper tous les politiques, qui comptabilisent les centaines d’élus locaux, maires en tête, qui montent au front. Sarkozy, déjà lancé dans la campagne de 2012, ne veut pas de bordel dans ses meetings électoraux, et décide de calmer le jeu. De leur côté, les socialos de Hollande pensent tenir un levier supplémentaire en surfant sur la colère du sud de la France.
La loi de 2011 sera votée pratiquement à l’unanimité, mais sur la base d’une incompréhension totale des enjeux de l’affaire. Car le sous-sol français fait maladivement saliver les transnationales du pétrole et de la chimie. Pour la raison simple que les estimations des réserves de gaz et de pétrole de schiste – il y a les deux – sont franchement foldingues, même si elles ont souvent été faites au doigt mouillé. L’Institut français du pétrole, public, parlait en 2011 d’un Eldorado de pétrole de schiste sous le Bassin parisien : de quoi assurer entre 70 et 120 années de production d’un pays comme le Koweït.
La droite, qui s’est ressaisie, cassera à coup sûr la loi en cas de retour au pouvoir. Mais la gauche, pour le moment coincée par ses engagements solennels, attend le moment favorable pour ouvrir les vannes. Ce qui dépendra de l’état des lieux mondial et notamment des prix du pétrole et du gaz. Il se murmure raisonnablement fort que le sujet est suivi par Hollande, qui a une ligne directe avec le patron de Total, Christophe de Margerie, via son cousin par alliance Jean-Pierre Jouyet, très vieux pote de notre président et patron de la surpuissante Caisse des dépôts et consignations.
Comme le note Sylvain Lapoix sur le site Reporterre, l’industrie française est prête à bondir sur la moindre occase. Et elle a d’ailleurs commencé. Total a injecté la bagatelle de 2,32 milliards de dollars dans l’entreprise Chesapeake, deuxième producteur américain de gaz de schiste. Vallourec, notre « leader mondial des solutions tubulaires » fournit outre-Atlantique une part croissante des tuyaux nécessaires à la fracturation, et vient d’ouvrir sur place une usine à plus de 1 milliard de dollars. Lafarge, qui refile plein de fric au WWF, fournit une partie du ciment destiné au bétonnage des puits de forage.
Question formatage des esprits, tout se met également en place. Anne Lauvergeon, socialo-compatible virée d’Areva, s’occupe pour le compte de Hollande d’une pittoresque Commission pour l’innovation. Il fallait l’entendre sur France-Info, le 11 octobre, insistant sur l’importance des recherches et explorations du gaz de schiste, pour mieux comprendre ce qui se profile. Jetons ensemble un œil sur une photo officielle publiée en avril par notre beau gouvernement. On y voit de gauche à droite, annonçant du haut d’une tribune la création de la Commission, Fleur Pellerin, Geneviève Fioraso, Jean-Marc Ayrault, Anne Lauvergeon et Arnaud Montebourg. Une brochette de scientistes militants, sertie d’au moins un(e) complet(e) nigaud(e). Saurez-vous le (la) reconnaître ?
Montebourg a réclamé sans rire une « exploitation écologique » des gaz de schiste. Pellerin a défendu à mort les ondes électromagnétiques des portables, tumeurs comprises. Fioraso est une croisée des nanotechnologies et même de la biologie de synthèse. Lauvergeon a dirigé le nucléaire français. Et Ayrault est Ayrault. On ira. On y va.
Source : http://fabrice-nicolino.com/index.php/