19/09/2010 19:30
Alors que le chantier du deuxième tronçon vient de démarrer, le TGV Est rencontre un véritable succès commercial trois ans après son lancement. Mais il attire peu de nouvelles entreprises
« Tout le monde a cru que le TGV allait tout apporter avec lui. Mais une gare seule n’a jamais amené du développement ! », s’exclame Nicolas Poirier. Responsable de l’accueil des entreprises pour la communauté de communes du Vernois, sur laquelle est implantée la gare Lorraine TGV, au milieu des champs entre Nancy et Metz (certaines rames arrivent aussi directement au cœur de ces villes), il constate que l’arrivée du TGV Est n’a eu aucun impact depuis trois ans.
« Ceux qui viennent dans le secteur, c’est pour l’autoroute, pas pour le TGV, et ce sont des boîtes locales, car nous n’avons pas les épaules pour jouer sur les terrains internationaux. Pour cela, il faudrait que tous les acteurs concernés définissent une stratégie ! », poursuit le technicien avec franc-parler.
En amont sur la ligne, même constat autour de la gare Meuse TGV, en pleine campagne elle aussi. « Il n’y a eu aucune retombée. Le conseil général a acheté 30 hectares puis 100 aux alentours pour des projets de développement, a payé des consultants pour avoir des idées, mais les études sont venues s’empiler dans les placards et les quelques contacts pris avec des investisseurs intéressés ont abouti à des loupés et rien ne voit le jour », constate amèrement Michel Jubert, président de la chambre de commerce et d’industrie de la Meuse.
«Il n’y a pas d’explosion des indicateurs»
Certes, reconnaît-il, « il a fallu dix ans pour créer une activité autour de la gare de Péronne, en Picardie, sauf que là, en plus, nous sommes dans une mauvaise période ».
Il est vrai que, depuis la mise en service du TGV Est, en juin 2007, la crise financière a frappé. Les retombées économiques tant attendues, et qui étaient un argument majeur du financement très important apporté par les collectivités locales, sont loin des espoirs parfois démesurément émis à l’époque. Bien sûr, les plus optimistes expliquent que ces retombées sont très difficiles à quantifier (une étude est cependant en cours) et que le facteur TGV est délicat à isoler. Quelle part occupe-t-il, par exemple, dans le succès actuel du Centre Pompidou-Metz ?
Mais de l’avis général, « il n’y a pas d’explosion des indicateurs », reconnaît Gilbert Krausener, au Conseil économique et social de Lorraine. Il constate que « ce sont davantage les facteurs endogènes qui favorisent le développement économique ».
«Aujourd’hui, vous arrivez à convaincre que Metz est vivable»
Interrogées en juin par l’Observatoire régional du TGV Est, les collectivitéss ne notaient d’ailleurs pas d’embellie significative hormis un frémissement sur le plan touristique pour des villes comme Metz et Nancy, avec une part croissante de Franciliens.
Tout au plus Michel Jubert salue-t-il le fait que cet équipement nouveau a permis de limiter la casse industrielle. « Nous avons ici des unités de production de grandes sociétés qui auraient pu partir ailleurs, mais qui ont été confortées grâce à la facilité d’accès depuis leur siège social, souvent en région parisienne. En fait, le TGV est un argument pour conserver le tissu existant », note-t-il.
Même son de cloche à Metz, où Thierry Jean, adjoint au maire et président de l’agence de développement de l’agglomération, n’a noté aucune variation forte de la demande de bureaux et d’implantation d’entreprises depuis l’arrivée de la ligne à grande vitesse. Selon lui, le TGV ne doit pas être considéré comme un plus, mais comme un outil indispensable pour ne pas prendre un retard irrattrapable. « Aujourd’hui, vous arrivez à convaincre des gens que Metz est vivable », se félicite-t-il sans rire.
Les chiffres de fréquentation dépassent toutes les prévisions
À une centaine de kilomètres de là, dans la petite ville de Lunéville, le maire, Jacques Lamblin, adopte la même posture : « On ne constate pas d’effet TGV direct ; mais il est clair que cela fait remonter la cote de la ville. Dire à nos interlocuteurs que nous sommes une étape TGV change tout de suite leur regard.
André Rossinot, maire de Nancy, se veut plus positif, en rappelant le déménagement dans le quartier de la gare, qui a été refait à neuf, de sociétés telles que Fortis ou Transalliance, avec à chaque fois des effectifs en croissance. Pour lui, l’effet TGV ne sera réellement mesurable que dans cinq ou dix ans. Et il rappelle, agacé, que le succès public, sa première raison d’être, est, quant à lui, bien réel et quantifiable.
Les chiffres de fréquentation dépassent, en effet, toutes les prévisions, et ne cessent de progresser. Pour les habitants de Lorraine mais aussi de Champagne-Ardennes, l’horizon s’est largement ouvert. Paris n’est plus qu’à 1h20 de Metz par exemple, et la gare lorraine se retrouve, sans changement, à 4 heures de celle de Rennes.
La clientèle d’affaires serait en régression.
Si l’arrivée de nouvelles entreprises n’a pas eu lieu, l’avantage pour celles déjà installées est évident. « Les entreprises lorraines, en particulier de services, comme le conseil financier ou la communication, se déplacent beaucoup plus pour prospecter, et gagnent des marchés à Bordeaux, Nantes, Orléans ou Paris, grâce à des coûts de revient de 25 à 40% inférieurs par rapport à leurs concurrents », affirme Michaël Zenèvre, patron d’une société de marketing dans les Vosges et président de la CGPME de Lorraine, dont la société affiche une progression d’activité de 15% sur les trois dernières années.
« On peut faire nos déplacements sur la journée, optimiser nos rendez-vous, et on a moins de frais d’hôtel », confirme Delphine Hausermann, chargée de formation au sein du groupe Welcoop, installé à côté de Nancy. Mais l’argument vaut aussi dans le sens inverse, et si les offices de tourisme assurent que certains sites sont en réelle progression, la clientèle d’affaires, elle, serait en régression.
« La baisse est d’au moins 15%. Ils rentrent maintenant chez eux le soir. C’est très décevant », note Jacques Hitzges, président du syndicat des cafetiers hôteliers et restaurateurs de la Moselle.
«Un effet de stimulation»
À l’inverse, les centres des congrès ont plutôt le sourire. « Depuis trois ans, notre activité est en hausse de 15%, et nous accueillons plus de congrès nationaux et internationaux. C’est important en termes de revenus, car les participants consomment sur place et ont souvent un fort pouvoir d’achat », explique Olivier Grosgeorge, directeur du développement au Palais des congrès de Nancy.
Il note même « un effet de stimulation de tous les partenaires locaux, avec en premier lieu les universités, qui se lancent dans l’organisation d’événements qu’elles n’auraient pas imaginés avant ». Peut-être le premier pas vers des retombées, elles, plus palpables.
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Élise DESCAMPS, à Metz |
Source : http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2439762&rubId=4079