Sept parlementaires UMP ont signé une tribune le 17 janvier sur LeMonde.fr dans laquelle ils appelent la France à garder son "avance" dans le secteur de l'électro-nucléaire. Cette tribune nécessite plusieurs rectifications de taille. Avant tout, et contrairement à ce qui est prétendu depuis des décennies, la France ne fait aucunement preuve de maestria dans le secteur nucléaire :
- C'est peu connu, mais 54 des 58 réacteurs nucléaires français sont en réalité américains : au début des années 1970, c'est la technologie de Westinghouse qui a été choisie (et payée fort cher) par EDF au détriment de la filière française "graphite-gaz" développée par le Commissariat à l'énergie atomique.
- L'usine d'enrichissement de l'uranium, actuellement en construction au Tricastin (Drôme), va utiliser des centrifugeuses payées par Areva à son concurrent Urenco (Allemagne, Pays-Bas, Grande-Bretagne) : contrairement à divers pays dont l'Iran, la France nucléaire ne maîtrise pas le technologie des centrifugeuses.
- Aucune solution n'existe pour les déchets nucléaires produits depuis cinquante ans en France : les envoyer en Sibérie (comme le fait EDF) ou les enfouir dans le sous-sol (comme c'est prévu à Bure, dans la Meuse) sont des options irresponsables mais en aucun cas des solutions.
- EDF peine à exploiter correctement son parc de 58 réacteurs dont la disponibilité est tombée à 75 % lorsque d'autres pays (Belgique, USA) sont à plus de 90 %. Cela signifie que, en France, un réacteur nucléaire est arrêté un jour sur quatre en moyenne. Et dire que les pro-nucléaires reprochent aux éoliennes de ne pas tourner tout le temps…
- Les réacteurs purement français ont connu des déconvenues majeures : les "graphite-gaz" sus-cités (dont une dizaine d'exemplaires, arrêtés depuis des décennies, restent à démanteler), le surgénérateur Superphénix (10 milliards d'euros gaspillés en vain), et actuellement l'EPR (réacteur nucléaire de troisième génération) qui connaît les pires déboires sue les chantiers de Finlande et de Flamanville (Manche).
De fait, il n'y a rien de surprenant à ce que l'EPR ait été recalé par l'émirat d'Abu Dhabi qui a préféré des réacteurs sud-coréens, révélant au passage à l'opinion française que son industrie nucléaire n'était pas la "championne" si souvent vantée.
A cela, il faut ajouter les investissements insensés consentis par EDF et Areva aux USA et en Grande-Bretagne pour y construire des réacteurs nucléaires… qui ne verront vraisemblablement jamais le jour. Aux USA en particulier, comme le reconnait d'ailleurs le PDG d'EDF, la plupart des projets sont annulés : hélas pas pour les raisons environnementales mises à juste titre en avant par les écologistes, mais tout simplement parce que les producteurs d'électricité ne font pas de sentiment : l'électricité est beaucoup plus chère à produire avec le nucléaire que par d'autres filières, et en particulier par des centrales au gaz.
D'ailleurs, le président-directeur général d'EDF bataille fermement ces temps-ci avec ses concurrents, à commencer par GDF-Suez, pour leur vendre le plus cher possible le courant produit par les centrales nucléaires. Curieux retournement de l'histoire : après avoir prétendu pendant des décennies que le prix de l'électricité nucléaire était très bas, EDF, désormais obligée par la loi d'en vendre une partie à ses concurrents, reconnait subitement que cette électricité est très chère à produire.
De la même manière, les députés Bataille (PS) et Birraux (UMP), après avoir vanté le nucléaire dans leurs rapports depuis vingt ans, viennent enfin d'avouer la triste réalité : dans un rapport aux allures de véritable brûlot, ils s'émeuvent de ce que les industriels du nucléaire, après avoir gagné beaucoup d'argent, rechignent maintenant à dépenser des milliards pour s'occuper (tant bien que mal) des déchets radioactifs qu'ils ont produit.
LA PART DU NUCLÉAIRE DANS L'ÉLECTRICITÉ MONDIALE DÉCROÎT
Le nucléaire est donc dans la panade en France, mais n'est guère plus florissant ailleurs. Les parlementaires UMP affirment dans leur tribune que "le nucléaire est en pleine renaissance partout dans le monde", ce qui est une contre-vérité : la plupart des projets nucléaires sur la planète sont annulés, et seule la Chine maintient un véritable programme. Celui-ci peut paraître important vu de chez nous, mais l'atome ne couvrira à terme pas plus de 5 % de l'électricité chinoise, c'est-à-dire moins de 1 % de la consommation d'énergie du pays.
On peut d'ailleurs constater sur le site Web de l'industrie nucléaire (World nuclear news) que la part du nucléaire dans l'électricité mondiale décroît continuellement depuis huit ans, et est passée de 17 % à 13 %. Elle est largement devancée par exemple par l'hydroélectricité qui est à plus de 20 %. La production électrique des énergies renouvelables est donc bien plus importante que celle du nucléaire, contrairement à ce qui est souvent prétendu.
Chercher à promouvoir encore le nucléaire revient donc à enfoncer plus profondément la France dans une voie de garage. Qui plus est, les dramatiques événements récents en Afrique – des salariés d'Areva sont retenus en otage et deux jeunes français ont trouvé la mort – illustrent le fait que, contrairement à ce qui est souvent prétendu, le nucléaire n'apporte aucune indépendance énergétique : le combustible des centrales, l'uranium, est importé par la France à 100 %, en particulier du Niger. Ces approvisionnements sont de plus en plus menacés par les bouleversements politiques ou climatiques. La France pourrait bien se retrouver en panne nucléaire et, hélas, elle est en train de prendre un retard dramatique dans le développement des énergies renouvelables… pourtant les seules qui ont un avenir.
Stéphane Lhomme, président de l'Observatoire du nucléaire http://www.observatoire-du-nucleaire.org