Jean Gadrey*
Tout est à jeter dans ce projet démesuré et destructeur, qui a débuté en… 1963, à l’époque du Concorde. Un projet auquel Jean-Marc Ayrault entend, depuis les années 1990, voir son nom attaché. Veut-il entrer dans l’histoire à reculons en imposant par une occupation policière un projet largement rejeté, sauf par le « business as usual » ? Il existe d’autres façons de marquer son temps.
1) L’avenir du transport aérien dans un contexte de pic du pétrole et de montée inéluctable de politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre est sombre, ce que veulent ignorer les avocats du projet, qui croient à l’avenir radieux du low cost (des champions du travail low quality) en fermant les yeux sur ces arguments.Pour être à la hauteur des données du GIEC, ce qui n’éviterait pas un réchauffement déjà très marqué, mais pourrait permettre de ne pas franchir des seuils catastrophiques pour l’humanité, la France et l’Europe devraient diminuer leurs émissions de GES de 40 % d’ici 2020 et de 90 % d’ici 2050. Il faudra donc planifier une décroissance nette du transport aérien, énorme émetteur par kilomètre et par passager : en gros, un kilomètre en avion émet, par passager, autant qu’un kilomètre en voiture si vous êtes seul à bord.
2) Les aéroports surdimensionnés qui fonctionnent avec un trafic insuffisant sont légion en Espagne et dans les pays du Maghreb. Mais il en existe en France aussi, par exemple celui d’Angers, qui fonctionne à 15 % de sa capacité, à 36 minutes de Nantes en TGV. Quant à l’aéroport actuel, il n’est pas saturé. Oui, il engendre des nuisances sonores. Mais les opposants au projet proposent une très raisonnable réorientation de la piste de l’aéroport actuel, supprimant le survol de Nantes. Et puis il y aura de moins en moins de vols aériens dans les décennies qui viennent… si on mène une vraie politique de transition écologique et sociale, réductrice d’innombrables autres nuisances.
3) La population régionale n’en veut pas. Avec toutes les limites des sondages en ligne, Presse Océan a obtenu récemment 60 % de contre et 37 % de pour, sur 4000 votants, chiffres arrêtés au 17 octobre 2012. D’autres sondages d’années précédentes indiquent une semblable opposition. Par ailleurs, au niveau national, un sondage BVA du début 2010 montrait qu’une large majorité de Français (71%) estimait en général « inopportun » de construire de nouveaux aéroports en France. Quant au défunt Grenelle de l’environnement, ses conclusions prévoyaient de ne pas augmenter les capacités aéroportuaires en France.
4) Le coût du projet est notoirement sous-estimé. Si l’on y met vraiment tout, les dessertes et autres infrastructures (ferroviaires, etc.), c’est peut-être à l’arrivée un projet coûtant entre 2 et 3 milliards d’euros (4 milliards selon le Canard enchaîné), dans un contexte d’endettement à risque des collectivités. N’ont-elles pas mieux à faire de que financer de grands projets largement nuisibles ?
5) Ce sera, dit-on un aéroport écologique ! Cela me fait penser à Rama Yade, alors Secrétaire d’État aux sports, qui voulait promouvoir un circuit de Formule 1 « vert »…Les Amis de la Terre ont décerné les 4ème Prix Pinocchio du développement durable le 17 novembre 2011. Près de 13 000 internautes se sont exprimés. Vinci a obtenu 43 % des votes pour ses efforts de « verdissement » du projet d’aéroport de NDDL. Afin de compenser la destruction massive de terres agricoles, Vinci se contente de créer un observatoire agricole, une ferme de démonstration en face des parkings et une AMAP afin d’« encourager l’agriculture durable » …
6) En fait, plus de 2000 ha de terrains agricoles seraient sacrifiés, au moment où il faudrait rapprocher les zones de production maraîchère des grands centres urbains.
7) Un collectif d’élu-e-s opposé-e-s au projet a été créé en juin 2009. Il réunit actuellement près de 1000 élu-e-s de familles politiques diverses. Ce collectif a financé une étude économique réalisée par un cabinet d’étude indépendant dont la conclusion est sans appel : le projet ne se justifie pas non plus économiquement.
J’ai cette étude, de novembre 2011, sur les analyses « coûts/bénéfices » du projet, avec une comparaison avec des propositions d’aménagement de l’aéroport actuel de Nantes Atlantique. C’est édifiant et convaincant, dans les limites de ces analyses auxquelles échappent certains bénéfices non ou peu monétarisables, mais cela ne peut que renforcer les arguments des opposants.
Voici juste quelques extraits (vous pouvez télécharger le fichier pdf via ce lien etudenddl.pdf, il fait 50 pages) :
« Tous les scénarios sur lesquels les projections sont fondées supposent que les coûts de l’aviation vont continuer à décroître dans les prochaines décennies. » [ il me semble que cela suffirait à déconsidérer ces scénarios]
« Une analyse des données de trafic des aéroports européens montre que le nombre de passagers par vol à Nantes Atlantique est plutôt faible pour un aéroport de cette taille. »
« En corrigeant la valeur extrêmement élevée donnée au temps et en tenant compte des projections sur le prix du pétrole et de l’introduction de l’aviation dans le marché européen des quotas d’émissions (ETS), LES COUTS D’UN NOUVEL AEROPORT A NOTRE DAME DES LANDES SONT SUPERIEURS AUX BENEFICES… Si, en outre, les coûts de construction sont 40 % plus élevés que prévu, ce qui est la moyenne des dépassements de coûts pour ces travaux d’infrastructures importantes, les coûts excèdent très largement les bénéfices. »
« En résumé, sur la base de cette étude, l’optimisation de Nantes Atlantique apparaît plus génératrice de richesses pour la France que la construction d’un nouvel aéroport à Notre Dame des Landes. »
8. Preuve de plus du déni de démocratie, il y a quelques jours, plus de 1 000 gendarmes et CRS ont été déployés pour expulser violemment quelques dizaines de personnes, détruire quelques maisons occupées, saccageant bocage et zones humides.
9) Et pourtant, sur place, ce ne sont pas les « petits projets utiles » qui manquent, ni les bras et les têtes pour les faire vivre : agroécologie, AMAP, circuits courts, relocalisation d’activités économiques et sociales, monnaies locales, expérimentations et transitions énergétiques, habitats groupés et écologiques, préservation des semences paysannes…
Cette fois, je n’ai pas besoin de conclure mon billet. Vous le ferez très bien.
AJOUT, jeudi matin 25 octobre
Je crois utile de vous reproduire un témoignage de Geneviève Coiffard-Grosdoy, une des personnes qui mènent avec courage le combat sur place et en réseau. Elle a 65 ans, mesure 1,53, et, sans avoir fait autre chose que résister pacifiquement, elle a passé toute l’après-midi d’hier à l’hôpital, avec une fracture et 21 jours d’arrêt.
Chers amis
vers 16h sur la zone, un couple de paysans chez qui j’envoyais des mails a reçu un appel d’un voisin : il a été témoin du fait que les gendarmes avaient cisaillé des barbelés et barrières, et dispersé des génisses (ils font volontairement des dégâts pour en accuser ensuite les ’squatters’) J’y suis allée avec les copains pour regrouper les bêtes et prendre des images.
Je fais court sur les circonstances, mais je me suis fait arracher mon caméscope, et fracturé la main gauche (je ne voulais pas lâcher l’appareil). Nous avons, non sans mal, récupéré le caméscope. Je suis ensuite allée voir le toubib pour constatations (il était alors presque 19h), avec des radios à faire ensuite. Étonnant tout de même que ces gros ‘poulets’ aux hormones, soi-disant formés au maintien de l’ordre et à assurer notre ’sécurité’, soient incapables de maîtriser sans dégâts une nana de 65 ans, 1,53 m de haut et parfaitement non-violente…
En attendant, je ne suis plus sur la zone, et je tape avec la main droite et un doigt de la gauche. Je vais bien… dans ma tête et mes pompes… ni héroïne…, ni martyre… juste (très légère) victime conjoncturelle de la répression policière.
La solidarité continue.
PS. j’ai une fracture, et 21 jours d’interruption temporaire de travail, et bien sur je vais porter plainte, à 21 jours, ils auront du mal à classer sans suite ; la nouvelle peut circuler.
* Jean Gadrey, 68 ans, est Professeur émérite d'économie à l'Université Lille 1. Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères). S'y ajoutent En finir avec les inégalités (Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques).
Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.