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20 janvier 2012 5 20 /01 /janvier /2012 06:57

 

 

ColibriRabhi_s.jpg


Extraits du livre de Pierre Rabhi « La part du colibri – L’espèce humaine face à son devenir » Editions de l’aube 2009. Pages 35-40

 


Pierre Rabhi par Naturavox

 

« (…) il n’est pas impossible que l’agriculture industrielle soit un jour déclarée catastrophe écologique et sociale majeure. Ce qu’elle est de fait quand on a l’honnêteté d’en faire le bilan : destruction des sols, pollution des eaux et de l’environnement, démantèlement des écosystèmes naturels, des structures traditionnelles équilibrées, remembrement d’inspiration industrielle, perte de la biodiversité animale, végétale et domestique, élimination des petits paysans, dévitalisation de l’espace rural transformé en désert de maïs, de blé ou de tournesol, production de protéines animales selon les critères de la productivité massive, c’est-à-dire le maximum de production dans le minimum de temps et le minimum d’espace.


Par sa consommation énergétique (12 joules combustibles pour 1 calorie alimentaire), cette agriculture est très dispendieuse. Il faut 3 tonnes de pétrole pour la production d’une seule tonne d’engrais… L’évolution des habitudes alimentaires donnant une place importante aux protéines animales ‘du pain au beefsteak) oblige à fournir aux animaux 10 protéines végétales pour l’obtention finale d’une protéine animale, soit 10 kilos de céréales données à un bœuf pour obtenir un kilo de viande… Un bœuf peut nourrir 1 500 personnes, la nourriture qui lui est donnée pourrait en nourrir 15 000… La moitié du territoire agricole français est ainsi mobilisée pour nourrir les animaux. Avec ces méthodes, il faut également 400 litres d’eau pour produire un kilo de maïs grain, etc.


Le goût du poison
Ces quelques données trouvent leur apothéose dans la qualité de l’alimentation. Il y a belle lurette que certains agronomes et scientifiques ont essayé d’alerter l’opinion sur la problématique alimentaire. La perte de la qualité est telle qu’il n’est plus possible de nier les effets dévastateurs sur la santé des citoyens consommateurs. L’évolution de certaines pathologies parmi les plus lourdes est mise en évidence par des chercheurs rigoureux et compétents.


L’agriculture moderne a certes résolu les insuffisances en termes quantitatifs, ce qui a permis la sécurité alimentaire, mais au prix d’une insalubrité croissante. On ne dira jamais assez combien l’option agricole moderne a influencé et modelé les structures sociales majeures. Son caractère concentrationnaire est à lui seul un des fondements du paradigme en vigueur. Et nous voici à présent dans un déséquilibre avec un rural en déclin et un urbain qui régurgite et ne garantit plus comme il l’a fait auparavant la survie des citoyens en leur offrant travail, salaire et ce qui en découle.


Quand, voilà plus de quarante ans, avec ma famille, nous avons quitté Paris pour nous installer à la terre, dans les Cévennes, sur une petite ferme, nous pensions du même coup tourner le dos à l’obsession productiviste. Elève d’une école élémentaire d’agriculture et dans un premier temps ouvrier agricole, je me suis trouvé plongé dans cette obsession par la recherche de performances tous azimuts, par l’utilisation massive d’engrais chimique, de pesticides et de mécaniques pour agrandir les parcelles.
Le jour du traitement des arbres était pour moi un cauchemar. Nous utilisions des substances chimiques, dont certaines avaient été responsables de nombreux décès dans la région. Je me souviens encore de cette petite fiole à la toxicité foudroyante, avec son dessin de tête de mort sur fond rouge. Nous devions d’ailleurs porter des masques pour nous en protéger. Après le traitement, nous sentions une odeur écœurante et nous trouvions à terre toutes sortes d’insectes foudroyés.


Choqué par ces atteintes à la vie et au vivant, je me suis trouvé devant le dilemme de renoncer à l’agriculture ou de faire autrement. C’est en découvrant le livre Fécondité de la Terre de Ehrenfried Pfeiffer (1) que j’ai pris conscience qu’il existait une autre manière de cultiver la terre, de sortir du cycle infernal de détruire pour produire.


Concilier la nécessité de se nourrir avec le respect et la préservation de la vie était possible et même démontré. Régénérer les sols, augmenter leur fertilité était possible. Produire des denrées de haute qualité nutritive, favorables à la santé, était possible. Respecter les animaux de la ferme était possible. Alors s’ouvrit pour moi une magnifique aventure. Je devins agroécologiste en même temps qu’écologiste soucieux de ce merveilleux phénomène appelé la Vie. »


Pierre Rabhi


Notes

(1) Ehrenfried Pfeiffer, Fécondité de la terre. Méthodes pour conserver ou rétablir la fertilité du sol, le principe bio-dynamique dans la nature, Triade, 1975 (première édition 1937

 

 

Source : http://www.perspectives-gorziennes.fr/index.php?post/2012/01/17/L%E2%80%99agriculture-industrielle%2c-catastrophe-%C3%A9cologique-et-sociale-majeure/798

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