Nommés par le ministre du redressement productif, des experts planchent sur le fluoropropane
Le 29 janvier 2014 par Marine Jobert
C3 H7 F. L’avenir énergétique de la France, selon Arnaud Montebourg, tient en une formule chimique: celle du fluoropropane. L’usage de ce NFP –pour non flammable propane- serait la solution technique idéale pour exploiter le gaz et le pétrole de schiste et dépasser la querelle environnementale née autour de fracturation hydraulique (eau, produits chimiques, retraitement).
Ainsi peuvent se résumer, selon Le Canard Enchainé, les conclusions du groupe d’experts rassemblés en secret depuis un an par le ministre du redressement productif pour plancher sur la question. Même si ce gaz n’a encore jamais été utilisé pour l’extraction d’hydrocarbures, il pourrait déjà fissurer encore un peu plus l’électorat qui oscille entre le refus des écologistes de toute exploitation et le «pourquoi pas?» de certains socialistes. A commencer par le premier d’entre eux, François Hollande, qui déclarait en novembre 2012 que, «tant qu’il n’y aurait pas de nouvelle technique, il n’y aurait pas d’autorisation de permis d’exploration des gaz de schiste (…) La recherche est possible sur d'autres techniques que celle de la fracturation hydraulique. Pour l'instant, cette recherche n'a pas abouti, je ne peux pas l'interdire, elle n'est pas interdite pas la loi». Message appliqué à la lettre par Arnaud Montebourg, qui aurait toutefois préféré garder le rapport rédigé par «des géologues, des économistes publics et privés» par devers lui jusqu’aux élections municipales, afin de ne pas bousculer les négociations avec l’alliée EELV.
Le fluoropropane n’est pas un inconnu au bataillon, puisque ce gaz figure en bonne place dans le rapport rédigé par le député PS Christian Bataille, et le sénateur UMP Jean-Claude Lenoir, dans le cadre de la mission de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), consacrée aux «techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels». On y lit qu’il s’agit d’«une substance utilisée dans le domaine médical et pour l’extinction des feux». Ses vertus? Elles sont fort nombreuses sur le papier. La première d’entre elle, c’est que ce gaz est ininflammable, à la différence de son cousin le propane, dont l’utilisation nécessite la mise en place d’installations industrielles lourdes et très règlementées (ICPE). «[Le propane] implique la manipulation de quantités de matières inflammables, que nous ne sommes pas prêts à promouvoir dans un contexte européen de forte densité de population», expliquait lors d’une audition de l’Opescst, Bruno Courme, le directeur de la filiale Total Gas Shale Europe.
Autre avantage du fluoropropane: «Le NFP est utilisé sans eau ni additifs et le fluide de fracturation peut être récupéré quasi intégralement, sous forme gazeuse. Ce recyclage contribue à compenser le prix très élevé de cette substance». Le gaz marquerait également des points en matière de «performances techniques».
Autre détail d’importance, quand de plus en plus d’études américaines établissent que le taux de fuite en méthane des puits de gaz de schiste tourne autour de 9%: «Si le NFP est sans danger pour la couche d’ozone, il n’est pas sans danger pour le climat. Il représente aujourd’hui 0,5 pour mille des émissions totales de gaz à effet de serre».
Tous les éléments techniques en faveur du fluoropropane n’ont qu’une seule et même source –relayée sans point de vue contradictoire par l’Opesct- que le lecteur est prié de croire sur parole: il s’agit de l’industriel qui annonce vouloir utiliser le fluoropropane pour stimuler la roche-mère. EcorpStim, une société américaine basée au Texas, avait été auditionnée par l’Opesct en avril dernier. «Bien que ce procédé n’ait pas encore fait l’objet de démonstrations à taille réelle, la société EcorpStim n’a aucun doute sur les résultats qui seront obtenus, dans la mesure où elle tire les enseignements de l’emploi, par le passé, de mélanges propane-butane, le NFP étant un gaz aux caractéristiques intermédiaires entre les deux précédents», précise le rapport de l’Opesct.
Il y a deux semaines, Total annonçait une prise de participation, à hauteur de 40%, dans deux permis d’exploration et d’exploitation à l’est des Midlands, pour un montant de près de 20 millions de dollars (14,6 M€). Parmi les nouveaux partenaires du géant français, une certaine eCorp Oil and Gas UK, qui se félicitait dans un communiqué de ce «tournant». A défaut d’avoir réussi à imposer l’idée que les gaz de schiste sont une impasse climatique –ce que répète toutefois le ministre de l’écologie, fidèle à son refus de toute exploitation, quelle que soit la méthode-, les opposants se retrouvent pris au piège des querelles techniques. Pour l’heure, le fluoropropane en est encore au stade expérimental. Mais pour combien de temps?