Professeur Dominique Belpomme
Président de l'Artac et de l'Eceri
A Bruxelles, un nouvel institut de recherche sur les cancers liés à l'environnement va voir le jour : l'Eceri. A sa tête le professeur Dominique Belpomme, président actuel de l'Artac, cancérologue connu et initiateur de l'Appel de Paris.
| 31 Août 2011 | Actu-Environnement.com
Actu-environnement : Vous dirigez actuellement l'Artac, l'association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse, qui vient de fêter ses 25 ans. Quel est l'intérêt de créer l'Institut de recherche européen sur le cancer et l'environnement (Eceri) ?
Professeur Dominique Belpomme : L'Artac est un institut franco-français, une sorte de centre de recherche sans mur dédié au cancer. La philosophie que l'on a à l'Artac est de créer un réseau de centres de recherches qui sont les meilleurs dans leur spécialité. Cela nous fait travailler avec certaines unités de l'Inserm et du CNRS, et également avec d'autres équipe de recherche en Suède, en Belgique, en Italie et aux Etats-Unis… Nous ne sommes pas un labo de recherche à proprement parler, mais un regroupement de centres et de laboratoires avec qui nous menons des collaborations.
Il faut savoir que l'Artac, dans certains domaines, notamment dans celui des recherches sur les liens entre cancer et environnement, est à la pointe mondiale.
Mais nous voulons nous insérer dans une dynamique européenne. Cela nous a été demandé d'ailleurs à plusieurs reprises. L'initiative européenne s'inscrit dans la droite ligne de l'Appel de Paris, lancé en 2004, dans laquelle les signataires déclarent que "le développement de nombreuses maladies actuelles est consécutif à la dégradation de l'environnement".
Dans les conseils scientifique et administratif de l'Eceri, il y aura des représentants des différents pays membres de l'Union européenne. L'initiative aura un statut comparable à celui de l'Artac : un centre de recherche sans mur, un institut fédératif, sous la forme d'un réseau.
Une vingtaine d'unités de recherche sont aujourd'hui intéressées par le projet, et nous venons de recevoir deux appuis considérables : celui de l'Agence européenne de l'environnement, en la personne de David Gee, son conseiller scientifique principal, et celui de l'OMS (ndlr : l'Organisation mondiale de la santé estime à environ 19 % les cancers attribuables à l'environnement, y compris en milieux professionnels). En outre, le Conseil de l'Europe devrait être intéressé par le projet, puisque le député luxembourgeois et président de la commission santé-environnement du Conseil de l'Europe, Jean Huss, est l'un des membres fondateurs de cet Institut.
AE : Combien de personnes travailleront pour l'Eceri et quelles sont leurs missions ?
C'est encore préliminaire, je n'ai pas l'avis définitif d'une partie des vingt unités de recherche. Mais cet institut devrait regrouper 600 chercheurs européens, ce qui est énorme.
Leurs missions principales : effectuer des travaux scientifiques publiées dans des journaux internationaux ; collecter des données mondiales concernant les recherches sur les liens entre cancer et environnement avec création d'une base de données européenne ; et informer la communauté médico-scientifique, les responsables des institutions européennes, les autorités politiques et le grand public des nouvelles découvertes dans ce domaine. Enfin exercer une activité de conseil et d'expertise auprès des institutions européennes et les organismes de santé internationaux tels que l'OMS mais également, dans une version positiviste, faire des propositions de mesures au plan politique.
AE : Quel sera le premier sujet de recherche de l'Eceri et pour quand le premier rapport est-il attendu ?
Le premier objectif de l'institut va être la diffusion à l'Europe d'un nouveau test de dépistage du cancer que nous avons mis au point et pour lequel nous déposons un brevet. C'est une révolution scientifique majeure, probablement l'une des grandes découvertes de ce quart de siècle dans le domaine de la cancérologie, car cela devrait nous permettre d'avoir un test universel sous forme d'une simple prise de sang, qui nous permettra de savoir si le sujet développe un cancer ou non. Ce sont des travaux pionniers réalisés par l'Artac ou coordonnés par elle en collaboration avec plusieurs unités de recherches qui sont à la base de ce test.
Quant à la date du premier rapport, il faudra attendre la finalisation de la constitution du conseil scientifique, qui comprendra une douzaine de membres, et surtout la liste définitive des unités et centres de recherche qui vont rentrer dans l'Eceri et qui seront le fer de lance des recherches.
L'année prochaine paraîtra alors un rapport structurel sur ce que sera concrètement l'Eceri. Puis les recherches commenceront au second semestre de l'année 2012. Et en 2013, nous pourrons faire état de ces travaux. Car pendant les 18 mois nécessaires à l'obtention du brevet, nous ne pouvons pas divulguer les résultats que nous avons obtenus.
Une fois le brevet officialisé, ce sera bien sûr un moyen d'obtenir des financements de la Commission européenne.
AE : Vous créez un institut à dimension européenne. Est-ce parce qu'en France la problématique de lien entre cancer et environnement n'est pas suffisamment prise en compte ?
Suffisamment, certainement pas, mais il y a un premier pas qui a été fait. Aujourd'hui il n'y a pas une semaine sans que l'on parle d'environnement. Mais la France est un peu un cas particulier au sein de l'Europe en matière de politique environnementale. On a beaucoup parlé, notamment à travers le Grenelle, mais on a agi très peu. Et malheureusement, ce qui s'annonce est plutôt négatif. Je constate néanmoins que l'évolution de l'Institut national du cancer, l'InCa, commence à reconnaître le rôle de l'environnement. L'Inserm aussi commence à reconnaître qu'il y aurait probablement des recherches à pousser afin d'établir la mise en cause de l'environnement dans le cas de cancer.
Tout cela témoigne d'une dynamique qui, de toute façon, ne pourra pas s'arrêter du jour au lendemain car elle a une part majeure de vérité à la base. Même s'il est clair qu'il peut y avoir des oppositions, ou des polémiques. J'en ai subi un nombre important lorsque je me suis intéressé aux pesticides en Martinique et en Guadeloupe. Mais la polémique est en train de s'effondrer car les données scientifiques ne font que confirmer ce que j'avais annoncé, les liens entre pesticides et le lien cancer de la prostate notamment.
AE : Par ailleurs, vous êtes très clair au sujet de la volonté d'indépendance, scientifique et financière, de l'Eceri. En quoi est-ce important ?
L'indépendance, c'est ce qui fait la crédibilité de l'Artac aujourd'hui. C'est ce qui fera la crédibilité de l'Eceri demain. L'institut veillera donc à ce que les financements européens ne soient pas entachés par des intérêts économiques contradictoires à la vérité scientifique. Il est clair qu'au niveau du paradigme que nous défendrons, les résultats de l'Eceri seront impartiaux au niveau de la publication des données obtenues.
En France, il y a aujourd'hui une perte d'indépendance de la science tout simplement car il y a une infiltration par les lobbys économiques et politiques. Si l'Etat établit a priori qu'il n'y a pas de lien entre champs électromagnétiques et électrosensibilité et que des chercheurs pensent qu'il y en a un, l'étude ne sera pas financée. L'Etat ne finance pas les recherches qui risquent de donner des résultats contraires à la politique menée par le pays.
Au niveau de l'Europe l'espoir est que cela soit différent. Car certaines institutions européennes sont certes infiltrées par des lobbys mais dans l'attribution de financement à partir du moment où les demandes scientifiques sont faites de manière recevables au plan scientifique et basées sur de données objectives irréfutables, il y a semble-t-il possibilité d'obtenir des crédits.
AE : Pourtant, dans les membres fondateurs de l'Eceri figurent Corinne Lepage, actuellement députée au Parlement européen, et Paul Lannoye, ex-député européen du parti Ecolo. Cela ne pose pas de problème au niveau de l'indépendance de l'institut ?
Ces deux députés fondateurs sont connus pour leur impartialité en la matière. D'ailleurs, ils ne sont pas dans le conseil scientifique, et le conseil d'administration n'aura aucune influence sur la sincérité des résultats obtenus. Ils ont rejoint le paradigme scientifique que nous défendons tous au sein de l'Eceri. Mais pour ce qui est de la structure de l'Eceri, elle est apolitique. Quand on se réclame de l'indépendance scientifique, on ne peut la baser que sur une stricte impartialité politique, économique et sociétale.
AE : Pour en revenir à la France, alors que l'on a reconnu les effets cancérigènes de certains produits, comme le bisphénol A, l'oxyde d'éthylène, la peinture au plomb, pourquoi en sommes-nous encore entourés ?
Tout simplement parce qu'il n'y a pas de politique environnementale à la hauteur du défi sanitaire. Nous sommes purement dans un concept économique et financier avec des intérêts à court terme. Il faut faire tourner la machine économique et on ne prend pas en compte les méfaits de cette machine sur l'environnement, et finalement les effets sanitaires de la pollution.
Par exemple, l'article 5 de la charte annexée à notre Constitution qui se réfère au principe de précaution inclut l'environnement, mais pas la santé.
Si je mène un combat politique, c'est à titre individuel que je le mène. L'Eceri sera hors de ce combat, puisque la science interdit toute idéologie. Le rôle de l'Eceri sera de faire de la science, pas de militer pour faire choir telle ou telle politique en cours, même si les décisions prises sont contraires aux intérêts de nos concitoyens.
Propos recueillis par Lauriane Rialhe