Dans le N°1067 de la Semaine du Pays Basque, le Président de la Région Aquitaine s’est à nouveau exprimé sur le projet de LGV Bordeaux-Espagne. Permettez-nous de dénoncer une argumentation fallacieuse, des erreurs et des approximations qui risquent de dérouter les lecteurs de la Semaine du Pays Basque.
« Sur la vraie révolution des temps de transports »
Aujourd’hui pour aller à Madrid depuis Paris on met 11H10[1] alors qu’Alain Rousset affirme qu’il faut 11 à 14 heures depuis Bordeaux. Le seul Y basque permettra un gain de 4H06[2].
Pour aller de Bordeaux à Bilbao on met actuellement 5H58[3] et non 8 heures.
Avec le seul Y basque ce même parcours se fera en 2H43[4] et avec la LGV Bordeaux-Espagne, en 2H25[5] et non de 1H40 comme l’affirme Mr Rousset.
Sur ce trajet la LGV ferait donc gagner 17 minutes !
Les chiffres annoncés par la CITEC n’ont jamais été remis en question par RFF.
L’Autorité environnementale[6] ne se laisse pas abuser par ces effets d’annonces : « Si ces meilleurs temps ont une forte valeur symbolique, ils ne correspondent cependant pas à la moyenne des temps de liaison que constateront les usagers » du fait des dessertes.
Elle recommande pour les destinations espagnoles (Madrid et Bilbao), de dissocier « les gains de temps découlant des travaux menés par la partie espagnole » de ceux « découlant du seul programme GPSO ».
« Sur le réchauffement climatique et la pollution atmosphérique »
Mr Rousset constate comme tout le monde, avec raison, que « l’on se dirige vers une mobilité qui se fera plus avec le train qu’avec l’avion ou la voiture » du fait du réchauffement climatique et de la pollution atmosphérique.
Permettez-nous de rappeler ici que le président de notre région a été l’initiateur et l’ardent lobbyiste de la construction de l’autoroute A65 largement déficitaire depuis sa mise en service (35M€ par an). Aujourd’hui c’est un fervent défenseur du tout ferroviaire…
« Sur le soit disant cadencement des trains toutes les deux minutes sur la ligne actuelle »
Mr. Rousset évoque la « fameuse » étude de l’école de Lausanne réalisée en fait par le cabinet d’expertise suisse SMA Progtrans qui n’a rien à voir avec l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Sciemment, afin d’affoler les populations, Mr Rousset confond trafic et capacité de la ligne.
SMA Progtrans a étudié la capacité de la ligne sur les bases de RFF (5,5 heures de pointe, 12 heures creuses, 3,5 heures de nuit sans trafic voyageurs, 3 heures d’entretien nocturne). Où est-il question « d’empêcher les gens de dormir » ? Il n’a jamais été question de faire passer un train toutes les 2 minutes.
Les experts ont seulement évoqué, grâce à l’aménagement prévu de la signalisation entre Dax et Bayonne, la possibilité (aux heures de pointe) « à deux trains de se suivre à 4 minutes l’un de l’autre contre une dizaine de minutes actuellement ».
La conclusion des experts était sans appel : « La capacité rendue disponible grâce à des aménagements mineurs de la ligne existante permet de répondre à la demande globale retenue par RFF ». La CITEC a évalué cette capacité à 320 trains.
En revanche ce que Mr. Rousset omet de préciser, que ligne nouvelle ou pas, l’essentiel du trafic se fera par la ligne existante entre Bayonne et Hendaye (TGV nationaux, TER, intercités, autoroute ferroviaire, majorité du fret) et qu’aucun budget n’est alloué à l’indispensable protection phonique des voies actuelles.
« Sur la maintenance des voies et l’accident de Brétigny »
« Il faut bien pouvoir réparer la voie. Rappelez-vous du fameux accident de Brétigny. Il faut avoir du temps pour contrôler les voies et être attentif »
Toutes les études alternatives de modernisation de la ligne actuelle ont prévu, comme l’exige RFF, trois heures d’entretien nocturne quotidien.
En 2014, le BEA-TT a rendu ses conclusions sur les causes de l’accident de Brétigny. Il met en cause la qualité des tournées visuelles de surveillance et le boulonnage sur les voies. « Ce n’est pas de la négligence mais un problème de culture collective» à la SNCF, pointe le directeur du BEA-TT, Claude Azam. Dès le 5 août, la SNCF a mis sous surveillance accrue 181 aiguillages semblables à celui de Brétigny et a décidé de les vérifier chaque semaine.
La vérité, c’est que le réseau actuel souffre d’un défaut d’entretien, il manque chaque année 1,5 milliard d’euros pour assurer une maintenance correcte de nos lignes.
L’audit de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne en 2012 sur l'état du réseau ferroviaire français l’a jugé dans « un état inquiétant ». Et pendant ce temps-là on construit des LGV et on néglige les trains du quotidien.
« Sur les camions à mettre sur les trains »
Mr Rousset évoque l’autoroute ferroviaire et laisse croire que celle-ci est la solution au « mur de camions ».
L’avis de l’Autorité environnementale[7] (Ae) comprend bon nombre de critiques, réserves et recommandations qui montrent que ce projet n'existera jamais dans l'ampleur prévue.
En 2006, RFF annonçait 4 allers-retours dès 2007, 20 en 2013 et 30 en 2020. A ce jour, l’autoroute ferroviaire n’a pas encore démarré. En revanche, le lieu du report modal a été retenu : ce sera Tarnos. Mr Rousset l’ignorait.
L’Ae indique qu’entre 2015 et 2029, il est prévu d’abord 2 puis 4 allers et retours quotidiens ce qui correspond à 500 camions journaliers, alors qu’il transite 8165 poids lourds par jour au péage de Biriatou…
« On ne sait pas se doubler avec les trains »
C’est Alain Rousset qui l’affirme. Il n’est pas expert ferroviaire mais quand même…Tous les jours, en France et en Europe des trains se doublent en empruntant des voies d’évitement dans les gares et sur les lignes, en utilisant la banalisation d’une section équipée installation permanente de contre-sens (IPCS).
Notre président de Région sur ce sujet de la LGV a l’habitude de prendre des libertés avec la réalité. Nous admettons qu’il soit pour cet équipement, mais nous sommes consternés de constater qu’il déforme la juste information que tout citoyen est en droit d’attendre.
Pierre Recarte
Vice président du CADE
[1] Source RFF
[2] Source CITEC
[3] Source RFF
[4] Source CITEC
[5] Source RFF
[6] Avis de l’Autorité environnementale du 22 janvier 2014
[7] Avis Autorité environnementale décembre 2012
SDPB : Est-ce qu’il y a une certitude à ce que Paris soit relié à Madrid par une ligne à grande vitesse qui passe par le Pays basque ?
« La réponse est oui. Oui, pour des raisons qui ne tiennent pas forcément à un déplacement Paris- Madrid. La vraie révolution des temps de transport avec la LGV Aquitaine Euskadi, nous concerne d’abord nous.
Donc on bouleverse les relations de proximité Aquitaine-Pays basque, Aquitaine-Espagne… C’est peut être un bouleversement plus important que la relation Aquitaine-Paris. On voit bien que l’on se dirige vers une mobilité qui se fera plus avec le train qu’avec l’avion ou la voiture. Nous sommes en plein réchauffement climatique, avec une pollution atmosphérique qui a un impact sur la santé. Et nous devons prendre en compte cela.
Je sais qu’il y a au Pays basque comme du côté d’Agen, des inquiétudes. Il y a la fameuse étude de l’école de Lausanne qui disait que l’on pouvait faire passer un train toutes les deux minutes sur la ligne actuelle et qu’il n’y a pas de saturation.
Sauf qu’on ne peut pas faire passer un train toutes les deux minutes comme cela, d’abord parce qu’on traverse tout un tas de zones habitées et que l’on ne peut empêcher les gens de dormir, et deuxièmement parce que quand l’on fait passer les trains il faut bien pouvoir réparer la voie. Rappelez-vous du fameux accident de Brétigny. Il faut avoir du temps pour contrôler les voies et être attentif.
Et puis il faut sortir des camions de la route pour les mettre sur le train, c’est ce que nous allons commencer à faire quand nous aurons trouvé un lieu pour faire le report modal.
Mais un train de marchandises est plus lent, et c’est toujours le plus lent qui rythme la vitesse des autres trains. On ne peut pas dire que l’on peut faire rouler un train à 220km à l’heure alors que devant il y a un train qui roule à 70 ! On ne sait pas doubler avec des trains.
Enfin, la quantité d’espace consommée par la LGV, je le redis, représente huit mois d’urbanisme au Pays basque. Si on veut vraiment préserver la terre et les espaces, ce n’est pas le train qui pose problème, c’est la réglementation de l’urbanisme. Et pour finir, nos amis espagnols vont être à le frontière avec leur ligne à grande vitesse… »
« Je reçois le lehendakari au sujet du développement de l’eurorégion et en même temps pour voir les développements à apporter à l’intermodalité entre le topo et le TER puisque aujourd’hui nous avons lancé une intermodalité parfaite : on descend du TER et on monte dans le topo ou vice-versa. C’est un progrès considérable même si on s’aperçoit qu’il y a peu de trafic transfrontalier. Je pense que tout cela va se développer. »
Alain Rousset. Extraits d’interview Semaine du Pays Basque n° 1067 du 28 mars au 3 avril 2014