Par Dominique Malecot et Lionel Steinmann | 30/08 | 19:51 | mis à jour le 31/08 à 11:15
Le choc provoqué par la déclaration de Bouygues sur la difficulté de financer le Canal Seine-Nord accroît la légitimité du gouvernement à effectuer une révision drastique du Schéma national d'infrastructures de transport et particulièrement des projets de lignes TGV promises par la droite.
Le président directeur général de Bouygues Construction a fait plus que jeter un pavé dans la mare en mettant en doute mardi le réalisme du schéma de financement du projet de Canal Seine-Nord Europe dont le coût dépasserait les 4,3 milliards d'euros prévus à l'origine. Il a fait voler en éclats ce que le député socialiste de la Grironde Gilles Savary appelait encore récemment « l'univers féérique » du Schéma national des infrastructures de transport (SNIT). Le gouvernement a réagi en annonçant une mission d'analyse et de propositions sur le financement de l'ouvrage... Mais cela ne le dispensera pas de faire des choix dans les grands projets d'infrastructures ferroviaires annoncés cette année et dans la loi Grenelle.
Comme il l'avait annoncé en juillet, Frédéric Cuvillier, le ministre des Transports, va donc installer d'ici à quelques jours une commission afin de « revisiter » le SNIT, et d'en « hiérarchiser les projets ». Ce tri devrait être fait en fonction de la viabilité économique des lignes envisagées, mais aussi de leur complémentarité avec les infrastructures existantes, et leur faculté à mobiliser d'autres sources de financement, notamment au niveau européen.
La commission devrait être formée d'experts, de personnalités qualifiés et de parlementaires. Mais certains des responsables pressentis seraient partagés quant à l'opportunité de participer à la commission : alors que les élus de leur région leur demandent d'en être pour plaider leur cause, quelques-uns redoutent d'être associés à des arbitrages douloureux.
Et les supporters des projets ferroviaires menacés ne pourront sans doute pas compter sur le soutien de la SNCF et de Réseau ferré de France, le gestionnaire du réseau. Les deux établissements publics savent que l'équation économique très dégradée du secteur, dont l'endettement augmente de près de 1,5 milliard tous les ans, ne permet plus les largesses du passé. Pour RFF, la priorité doit être donnée à la modernisation des lignes existantes. Dans une note interne rédigée au début de l'été, sa direction indiquait d'ailleurs que « la rénovation du réseau constitue un projet en soi dont la rentabilité économique est supérieure à celle de la plupart des projets » contenus dans le SNIT. Quant au président de la SNCF, Guillaume Pepy, il entend désormais mettre l'accent sur les trains du quotidien, notamment en Ile-de-France.
La ligne Tours Bordeaux dont la construction a déjà commencé n'est pas menacée mais sa prolongation vers Toulouse et l'Espagne est visée. Le tracé du « grand projet du Sud-Ouest » (GPSO) qui porte sur 460 kilomètres de lignes nouvelles a été validé par le comité de pilotage et approuvé par le gouvernement fin mars. Mais le montant total estimé à 13 milliards d'euros fait frémir. Et même si les deux exécutifs des régions Aquitaine et Midi-Pyrénées le soutiennent de toutes leurs forces, ils recèlent des oppositions. Côté basque, une bonne partie des élus sont opposés au projet ; ceux des trois communautés de communes du sud du pays basque ont même écrit cet été à la commission pour demander l'abandon pur et simple du projet.
Outre leur opposition à un projet « inutile, onéreux et destructeur de l'environnement », selon Odile de Coral, maire d'Urrugne, il s'appuie sur la décision l'an dernier du gouvernement basque espagnol de ne pas construire de gare nouvelle à San Sebastien et de s'appuyer sur le tracé existant pour rejoindre la frontière. « Cela n'est pas nouveau et ne remet pas en cause la continuité du réseau », affirme de son côté André Bayle, chef de la mission GPSO. Pour la liaison vers Toulouse, outre les opposants qui réclament un aménagement des voies existantes, certains élus renâclent. Pierre Camani le Président du Lot et Garonne a ainsi dit début juin qu'il ne participerait pas au financement de Bordeaux-Toulouse.
Le projet de LGV Paris-Orléans-Clermont-Lyon, dont l'intérêt a été confirmé par RFF en juin, n'est pas encore financé et aucune décision n'a été prise par le gouvernement, mais cela n'a pas empêché Brice Hortefeux de manifester son « inquiétude [...] J'ai fait renaître ce projet, attention à ce qu'ils ne l'enterrent pas », a-t-il dit dans le journal « La Montagne ». L'association d'élus TGV Grand Centre a de son côté adressé une motion au Premier ministre, qui réaffirme l'intérêt prioritaire du projet.
Les opposants à la LGV Paca ne baissent pas la garde face à une infrastructure qu'ils estiment « coûteuse, inutile et anti-écologique », beaucoup, en coulisse, se réjouissent des dernières difficultés de ce tracé des métropoles censé relier Aix, Marseille, Toulon et Nice à grande vitesse. En décembre dernier, après plusieurs semaines de concertation houleuse suspendue prématurément par le ministre des Transports, l'Etat a demandé à RFF de revoir sa copie. Exit la grande vitesse : le nouveau chemin de fer ne sera pas exclusivement réservé aux TGV mais accueillera aussi des trains de fret et des TER. Reste à trouver les financements nécessaires.
Même revu à la baisse, le projet nécessitera la création d'une nouvelle ligne et d'un maillage de transport pour tripler les capacités de trafic nécessaires aux évolutions démographiques de la région Paca. Où trouver les 10 milliards d'euros nécessaires a minima ? La réponse est entre les mains de l'ancien préfet Francis Idrac et du médiateur du gouvernement Yves Cousquer, chargés de convaincre les collectivités de mettre la main à la poche. Pour l'heure, ils se heurtent à des murs. A l'automne dernier, les élus du conseil général du Var ont critiqué et rappelé qu'au regard des montants avancés, « le montage imaginé doit être totalement repensé à la faveur d'autres modes de financement, car il est hors de proportion avec les capacités des collectivités ».
La LGV Montpellier-Perpignan. Le 3 juillet dernier RFF et Oc' Via emmené notamment par Bouygues Construction ont signé le PPP pour la réalisation du contournement Nîmes-Montpellier, un marché de 2,28 milliards d'euros financé à 49% par l'Etat, 20% par RFF et le reste par les collectivités territoriales. Cette ligne mixte fret-voyageurs à grande vitesse de France doit être livrée fin 2017. La prolongation de la ligne mixte entre Montpellier et Perpignan en est au stade des études préalables et de la concertation. Pour l'instant au niveau de la Région, on se veut confiant pour déboucher sur une DUP à l'horizon 2015 pour une mise en service à l'horizon 2020. Ce maillon manquant doit relier l'Europe à l'Espagne. Il restera ensuite à financer ce projet de 155 kilomètres dont le coût est estimé entre 5,5 et 7 milliards d'euros...
Les collectivités territoriales seront invitées à mettre largement la main à la poche. Elles vont développer un véritable lobbying sur le caractère international de la liaison en essayant d'influencer Bruxelles qui, sur le tronçon Nîmes-Montpellier, n'a financé qu'à hauteur de 60 millions d'euros. La Commission européenne a statué le 19 octobre 2011 en faveur du corridor ferroviaire méditerranéen. La rérgion Languedoc-Roussillon, qui s'était engagée à prendre à sa charge un quart des 33,2 millions concernant les études sur Montpellier-Perpignan, soit 8,3 millions d'euros, a complété cette enveloppe pour faire avancer ce dossier. Elle s'est engagée à hauteur de 10,5 millions d'euros et devient ainsi le premier financeur des études menant à l'enquête d'utilité publique. Le tronçon « international », à savoir le franchissement des Pyrénées par un tunnel réalisé et exploité dans le cadre de la société TP Ferro constituée à parité par le français Eiffage et l'espagnol ACS Dragados, est opérationnel.
En Normandie, le projet de Ligne Nouvelle Paris Normandie (LNPN) est revenu dans le débat régional après des déclarations des ministres des Transports puis du Budget à la veille de l ‘été, sur l'opportunité de certains grands projets, notamment ferroviaires. Sans évoquer le projet normand, des craintes sont néanmoins apparues chez des élus, l'Etat n'ayant jamais encore évoqué ni son mode, ni ses clefs de financement. « Il n'y a aucune raison objective ou information nouvelle sur ce dossier depuis la clôture du débat public », veut rassurer Laurent Beauvais, président socialiste de la région Basse-Normandie. Estimé à plus de 10 milliards d'euros, le projet vise à relier, d'un côté, Paris au Havre en passant par Rouen, et, de l'autre Paris à Caen, en 1h15 minutes pour chacune des destinations. « On se battra pour une meilleure desserte de la Normandie », assure avec fermeté, Jean-François Le Grand, président Divers droite du conseil général de la Manche.
Sur le TGV Rhin-Rhône, après la mise en service, fin 2011, de la première tranche de la branche Est (2,6 milliards d'euros), il restait dans un premier temps à réaliser la seconde (50 kilomètres de part et d'autre de l'ouvrage, vers Dijon à l'ouest et Mulhouse à l'Est, estimée à 1,1 milliard d'euros), puis, à plus long terme, à déterminer le tracé, réaliser les études et financer les branches sud et ouest de l'ouvrage conçu, dès l'origine, comme une étoile à trois branches. Si elles ne sont pas réellement enterrées, ces deux branches semblent renvoyées à un horizon très lointain, voire hypothétique. Pour les études et acquisitions foncières, 6,5 millions d'euros ont pourtant déjà été engagés pour la branche ouest et 8,7 millions pour la branche sud.
La seconde tranche de la branche est, par contre, ne devrait pas être remise en question puisque, comme s'y était engagé le président Sarkozy lors de l'inauguration de la première tranche, fin 2011, un « protocole d'intention pour la réalisation et le financement » a été signé au ministère des Transports le 18 janvier par l'ensemble des financeurs de la première phase, dont l'Etat et RFF. Le bouclage du plan de financement devrait être réalisé au premier semestre 2013 pour un démarrage des travaux en 2014 au plus tard. « Je suivrai avec une attention toute particulière les travaux de la commission mise en place par Frédéric Cuvillier, ministre délégué aux Transports, pour hiérarchiser les projets », déclarait le 11 juillet Marie-Guite Dufay, présidente de la région Franche-Comté, qui doit prochainement le rencontrer. De son côté, le maire de Strasbourg Roland Ries a annoncé qu'il se bagarre pour que les 50 kilomètres de la deuxième tranche de la LGV Rhin Rhône (Belfort-Nord de Mulhouse) figure parmi les projets du plan de relance européen, dans la mesure où il s'agit de l'axe Francfort-Lyon avec Strasbourg au beau milieu.
A lire aussi, notre dossier :
Le gouvernement va faire le tri dans les projets de lignes TGV (11/07/2012)