Revenons-en aux brevets. Une variété est toujours "hétérogène instable" (selon les termes utilisés dans le langage semencier), ce qui veut tout simplement dire qu’elle varie. C’est logique : elle est vivante, elle varie… Mais c’est aussi gênant : vous ne pouvez pas imposer votre droit de propriété dessus puisque, d’une année sur l’autre, elle évolue. Vous ne pouvez donc pas définir ce qui est à vous. Tandis que le clone, lui, est "homogène" et "stable", vous pouvez le reproduire à l’identique moyennant un certain nombre de précautions et de procédures, d’une génération à l’autre. Il s’agit d’une sorte de mort-vivant. Et vous pouvez donc y associer un droit de propriété : il suffit d’observer le mort-vivant X, de voir en quoi il diffère du mort-vivant Y, et vous pouvez poser un droit de propriété dessus, puisqu’il est homogène et stable [6 ].
L’idée de base sur laquelle repose cette logique de clonage est imparable : si je peux remplacer ma variété, le caractère de ce qui est varié (la diversité), par une plante que je vais cloner et que je vais pouvoir reproduire à volonté, qui est supérieure à la moyenne de la variété, j’aurais un progrès. C’est une tautologie. Théoriquement il y a toujours un gain à remplacer une variété de n’importe quoi par le meilleur n’importe quoi extrait de la variété.
Mais est-ce que c’est réellement un progrès ?
On peut y opposer certaines réserves de taille, bien entendu : depuis une trentaine d’années (et la conférence de Rio), on sait que ce qui est logiquement imparable peut être biologiquement erroné. Il y a toute une redécouverte, qui est en train de se faire, sur la valeur en soi de la diversité. On peut prendre l’exemple d’un travail qui a été fait aux États-Unis il y a quelques années sur des systèmes de prairie, avec une, 5, 15, et jusqu’à 50 espèces différentes. Le résultat expérimental de cette étude montre que plus le nombre d’espèces que vous allez trouver dans ces systèmes de prairies est important, plus la production de biomasse est importante. Donc, en soi, la diversité est productive. De mémoire, la biomasse produite par un système à 16 espèces est supérieure de 42 % à la biomasse produite par l’espèce la plus productive en monoculture. C’est énorme !
Au fond, je suis persuadé que c’est une nouvelle révolution agricole qui se profile. D’une certaine manière, cette phase de l’agriculture industrielle - qui a donc commencé il y a deux siècles et s’est vraiment mise en place en Europe dans les années 30, et à la fin des années 50 en France - ne sera qu’une parenthèse dans l’histoire de l’humanité. Enfin… si l’humanité continue. Parce qu’il y a une contradiction absolue entre ces deux logiques, celle de l’industrie, qui est celle de la normalisation, de l’uniformisation et de la standardisation, et la logique de la vie, qui est celle de la diversité. Entre les deux, nous ne pouvons pas pour l’instant savoir laquelle va gagner.
Le problème du choix, à l’heure actuelle, se pose en ces termes-là : d’un côté, il y a le système industriel appliqué au monde vivant, c’est la mort ; de l’autre côté, la diversité, la vie. Du coup, on voit bien que les larmes de crocodiles des biologistes (dont mes chers collègues de l’INRA) sur « la biodiversité qui fout le camp » ne sont rien d’autre que du vent. Bien sûr que la biodiversité fout le camp, vous cultivez des clones ! Vous êtes en monoculture monoclonale ! On ne peut guère faire pire d’un point de vue écologique, et donc du point de vue de la diversité.
Et en quoi sont-ils « pesticides », ces clones brevetés ?
Le terme "pesticides" est - en passant - utilisé par le président de la République, qui a parlé lors du Grenelle de l’environnement de "plantes pesticides". Il faisait simplement allusion au fait que quasiment toutes les plantes et semences transgéniques commercialisées dans le monde sont des semences et des plantes dites "a-pesticides" : soit elles produisent un insecticide, et toutes les cellules de la plante en produisent, soit ce sont des plantes qui absorbent un pesticide sans en mourir [7 ].
Historiquement, ces produits chimiques, aujourd’hui utilisés à doses massives dans le monde agricole (engrais ou pesticides), sont des substances militaires. Leur origine remonte directement à la Première Guerre mondiale et aux gaz de combats. C’est un certain Fritz Haber qui fut à l’origine de l’invention de la méthode de synthèse de l’ammoniac, élaborée en 1908 et adoptée dès 1909 par BASF. C’est grâce à cette production massive d’azote que la Première Guerre mondiale est devenue la première guerre industrielle. Fritz Haber a été un grand promoteur des gaz de combat réalisés grâce à son procédé, alors même que l’état-major allemand ne voulait pas en entendre parler. Pour une raison simple : l’état-major allemand savait qu’utiliser ces gaz entraînerait une même réaction de la France et de l’Angleterre (qui étaient à un niveau technique et scientifique à peu près égal à celui de l’Allemagne).
Haber a finalement obtenu que l’état-major allemand utilise ces gaz (à Ypres pour la première fois, d’où le terme "ypérite"). Quelques jours après (et sans même assister aux obsèques de sa femme, elle-même chimiste, qui s’était suicidée parce qu’elle supportait mal que la science se mette au service de la mort à grande échelle), il est parti sur le front russe pour superviser à nouveau l’utilisation des gaz de combat. Avec plus de réussite, puisque les Russes étaient à un niveau technique bien inférieur.
En 1918, Haber a eu peur d’être condamné pour crime de guerre, et il s’est réfugié en Suisse. Mais son inquiétude a été de courte durée : il a reçu la même année le Prix Nobel de chimie pour son invention de la synthèse de l’ammoniac, qui allait permettre de produire des engrais en quantités massives [8 ]. On n’avait pas produit un gramme d’ammoniac pour l’agriculture pendant cette période-là, évidemment… Ça servait plutôt pour produire des explosifs, mais la capacité de déni de la réalité, de la part des scientifiques, est quelque chose d’hallucinant.
De façon plus large, l’origine de toute l’agriculture moderne se trouve vraiment dans la Première Guerre mondiale : les chars de combat ont été reconvertis en tracteurs à chenille, les gaz de combat en engrais azotés, et des bases ont été posées, qui permettront la mise au point, plus tard, des pesticides… Toute la "révolution verte" a en fait une origine militaire. Jusqu’à l’approche du système agricole moderne, qui montre bien qu’« on fait la guerre ». Ainsi de ces célèbres photos de tracteurs ou de moissonneuses-batteuses, alignés comme à la parade, en Russie soviétique comme aux États-Unis : il y en a dix de front, c’est vraiment la charge de chars de combat, la lutte et l’acharnement contre la nature.
Mais les agriculteurs voyaient ça comme un progrès…
Tout à fait. Lorsque le DDT, les premiers pesticides et insecticides sont apparus à la fin des années 50, ça a été une véritable révolution pour les agriculteurs. On peut le comprendre. Pour des gens qui, pendant la guerre, faisaient la chasse aux doryphores un à un dans les champs de pomme de terre, se contenter du petit épandage d’un produit quelconque pour les tuer tous était absolument extraordinaire. Ça semblait si miraculeux que, sur le moment, personne n’a réfléchi aux conséquences de l’utilisation des pesticides. Personne n’a pensé que leur usage aurait des effets pervers. Mais si au début les insectes meurent tous, des résistances apparaissent immanquablement après un certain temps ; il faut alors utiliser davantage d’insecticide, passer à des doses plus élevées ; enfin il n’y a plus d’autre solution que de changer de drogue.
D’ailleurs, il faut comparer les pesticides à des drogues dures : il y a l’effet d’accoutumance et de dépendance. L’agriculture actuelle y est devenue accro, mais aussi l’agronomie et les agronomes - eux n’ont d’ailleurs rien eu à faire : c’est l’industrie qui s’est imposée, ils ont juste adapté les systèmes de production aux nouveaux moyens techniques. De fait, l’industrie, et en particulier l’industrie chimique, prend une place de plus en plus centrale dans le processus de production. Et les agriculteurs sont devenus complètement dépendants de ces produits, dans une logique de fuite en avant. Peu importe qu’on sache, depuis les années 60, que ces produits peuvent être dangereux… Depuis que Rachel Carson a écrit le premier livre dénonçant les effets nocifs des pesticides [9 ], les preuves se sont accumulées d’une façon incroyable. À tel point que l’industrie des pesticides cherche maintenant d’autres formes de pesticides : c’est ainsi qu’elle a inventé les fameux "organismes génétiquement modifiés". Les OGM, ce sont des plantes pesticides.
Il y a donc une forme de continuité ?
Bien sûr. Ces clones pesticides ne marquent pas du tout une rupture, sinon technique. La logique reste la même, celle de cette industrialisation du vivant menée tambour battant depuis deux siècles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les firmes produisant les pesticides ont aussi pris le contrôle de l’industrie des semences - donc de la vie. Elles se prétendent "industrielles des sciences de la vie", pour tromper tout le monde ; mais en réalité elles ne produisent que des produits en -cide (fongicides, insecticides, herbicides…), soit des produits qui tuent. Ce sont donc, en fait, des industries des sciences de la mort. Et elles poursuivent ainsi leur projet mortifère par d’autres moyens, qu’on appelle couramment les OGM.
Ce qui est intéressant avec les pesticides soi-disant OGM, c’est qu’il s’agit en fait de changer le statut des pesticides. Presque toutes les plantes transgéniques vendues dans le monde sont a-pesticides : soit elles en absorbent un sans en crever (c’est le cas des plantes dites Round Up ready, mais ça peut aussi l’être avec d’autres herbicides), soit elles produisent elles-mêmes un insecticide.
Dans ce deuxième cas, chaque cellule de la plante produit un insecticide, donc il passe évidemment dans la chaine alimentaire. Les fabricants prétendent que « la toxine insecticide n’a aucun effet », mais ils n’en savent rien, ils n’ont même pas été regarder ce qui se passait dans le tube digestif des ruminants. Encore moins dans notre tube digestif à nous… Il faut savoir que nous avons à peu près dix fois plus de bactéries que de cellules dans notre corps. Celles-ci sont symbiotiques avec nous, même si on les connaît très mal ; et ces gens des sciences de la mort qui vous disent qu’il n’y a aucun effet… C’est de la folie.
Revenons au premier type de plante, celles qui sont tolérantes à un herbicide. Comment ça fonctionne ? L’herbicide agit normalement en rentrant à l’intérieur de la plante, entre autres grâce à des adjuvants favorisant la pénétration de ce dernier. Les plantes rendues tolérantes à un herbicide neutralisent l’action de l’herbicide, mais elles ne le détruisent pas. C’est le cas de la plupart des plantes Round Up ready : il y a une neutralisation de l’herbicide, mais l’herbicide n’est pas détruit, ni même décomposé. Là-aussi, il rentre donc dans la chaine alimentaire.
Dans ces deux cas, vous voyez bien que le projet est complètement fou, puisqu’il s’agit de changer le statut des pesticides. Au lieu d’être des produits dangereux qu’il faut éliminer - autant que faire se peut – de la chaine alimentaire, on veut en faire des constituants de cette dernière. Nous rendre au final tolérants, nous aussi, aux pesticides. Voilà un enjeu qui est absolument colossal, pour les fabricants de pesticides. S’ils peuvent faire des pesticides des constituants de la chaine alimentaire, ils domineront toute la chaine alimentaire.
Mais c’est quoi, exactement, le Round Up ?
La molécule active du Round Up, la molécule herbicide, s’appelle le glyphosate. C’est une molécule qui a été "créée" par des chimistes suisses à la fin des années 40 ; Monsanto en a étudié les propriétés herbicides, et l’a brevetée à la fin des années 70. Monsanto est donc propriétaire du glyphosate breveté en tant qu’herbicide. C’est une molécule assez merveilleuse, puisqu’il s’agit d’un "herbicide total". Qui tue tout, réellement. C’est formidable pour la SNCF, pour les parcs et jardins, pour les bords de route, etc…
Le glyphosate a longtemps été considéré comme inoffensif, grâce à la propagande de Monsanto, qui protégeait la meilleure de ses vaches-à-profit. Mais quand certaines préoccupations écologiques ont commencé à émerger, les gens de Monsanto ont pensé que ce serait génial de pouvoir le transformer en "herbicide spécifique". C’est-à-dire de réaliser une manipulation génétique sur une plante pour la rendre tolérante à cet herbicide total. L’herbicide total deviendrait ainsi un herbicide spécifique : tout crèverait sauf cette plante, rendue tolérante à cet herbicide. A partir du moment où des plants de maïs, d’orge, de blé, d’avoine, de tout ce que vous pouvez imaginer, même des forêts entières, seront tolérants au glyphosate, celui-ci pourra être utilisé sur l’ensemble de la planète. Le but de Monsanto est là : maximiser l’utilisation de glyphosate. Et leur stratégie a plutôt bien réussi, même si elle se heurte à des résistances et à l’inquiétude d’une partie du public.
Le deuxième coup de génie de Monsanto a été de lier complètement l’achat de semences tolérantes au glyphosate à son propre herbicide breveté. Donc d’obliger les agriculteurs à n’acheter que l’herbicide de marque Monsanto. D’une certaine manière, c’est un moyen de prolonger la durée de vie du brevet, qui était d’environ 20 ans. A partir de 2000, en sortant ces plantes tolérantes à l’herbicide Round Up et puisque l’agriculteur est forcé d’acheter les deux en même temps, Monsanto fait coup double et peut continuer à vendre son herbicide au prix de marque, au lieu de le vendre au prix du générique.
Il s’agit donc de prolonger éternellement la durée de vie du brevet sur le glyphosate et d’arroser l’ensemble de la planète avec cette molécule. Les enjeux sont évidemment considérables : si Monsanto réussit, c’est la planète entière qui sera arrosée de Round Up, et l’entreprise qui fera des profits immenses. La firme est donc prête à tout pour que réussisse ce projet.
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Source : http://www.article11.info/spip/spip.php?article745