© Pavel Losevsky Exemple de centre aquatique couvert
Interrogée sur le projet contesté de ce centre touristique en Isère, Ségolène Royal a renvoyé la balle aux élus locaux. Cependant, ce projet, comme celui du barrage de Sivens, pose la question de l'exhaustivité des études d'impact environnemental.
Amenagement | 04 décembre 2014 | Actu-Environnement.com Sophie Fabrégat
"Je n'ai nulle intention de me substituer aux élus locaux qui prennent leurs responsabilités dans ce domaine". Interpellée par la députée de l'Isère Michèle Bonneton (EELV), lors des questions au gouvernement le 3 décembre, la ministre de l'Ecologie a refusé de se prononcer sur le projet du pôle touristique Center parc, situé sur la commune de Roybon (Isère).
Très contesté depuis sa naissance, en 2009, ce projet local a été porté sur la scène nationale, comme l'ont déjà été Notre-Dame-des-Landes, puis Sivens. Mais alors que les travaux ont démarré en octobre, le gouvernement botte en touche. "Je sais que, à l'initiative des responsables locaux de ce projet, de nouvelles améliorations ont été apportées à ce projet pour tenir compte des observations des commissaires enquêteurs. Un jugement du tribunal saisi en référé est attendu le 12 décembre et donc, par conséquent, les élus responsables de ce projet sauront très rapidement ce qu'il en est", a indiqué Ségolène Royal. Elle a néanmoins proposé, le cas échéant, l'appui technique du ministère afin d'aboutir à une solution de compromis entre porteurs du projet et opposants. "Je vous redis là ma conviction que l'on peut concilier la création d'activités et d'emplois et le respect des règles de protection de l'environnement". Plus de 400 emplois directs devraient être créés par ce centre touristique.
La ministre de l'Ecologie a par ailleurs rappelé la volonté du gouvernement d'améliorer, sous six mois, les procédures liées aux grands projets d'infrastructures. Le Président de la République l'avait déjà annoncé lors de la Conférence environnementale le 27 novembre dernier : les études d'impacts devront être approfondies et les procédures administratives simplifiées, afin de raccourcir les délais d'instruction.
Un avis défavorable de la commission d'enquête publique
Le projet porte sur 1.000 hébergements touristiques (cottages) et un centre d'attraction. Situé dans la forêt des Avenières, il s'étend au total sur 202 hectares. Près de 100.000 mètres carrés de constructions sont prévus.
Situé au cœur d'une forêt et en présence d'une zone humide, ce projet est soumis à deux autorisations au titre de la loi sur l'eau et pour le défrichement. Le protocole d'accord, signé en 2009 entre Pierre & vacances et le département, prévoyait plusieurs actions afin de limiter son impact sur la biodiversité : "La conception du site favorisera la préservation des niches écologiques et la mise en œuvre de continuités biologiques. Aucune construction ne sera faite sur les zones abritant les espèces protégées. En cas de création de plans d'eau, ils seront aménagés de façon à créer de nouveaux habitats à haute valeur écologique", indique le document. Celui-ci prévoit également des mesures compensatoires au défrichement.
Cependant, le projet a reçu un avis défavorable de la commission d'enquête publique au titre de la loi sur l'eau. La commission pointe du doigt une sous-évaluation de l'impact du projet sur la zone humide et, de fait, des mesures de compensation.
"Selon le maître d'ouvrage, le projet conduirait à la destruction de 71 ha de zone humide (34 ha imperméabilisés, 21 ha drainés et 16 ha remblayés)", indique-t-elle dans ses conclusions. Or, ce chiffrage ne prendrait en compte ni les conséquences du défrichement, ni la fragmentation des zones humides résiduelles. L'Onema avait déjà alerté, en janvier et mai 2014, sur la sous-évaluation de la perte de fonctionnalité écologique de la zone. En prenant en compte ce point, la commission chiffre à 120 ha la surface de zones humides "profondément altérées".
Mesures compensatoires et concertation insuffisantes
Et de s'étonner : le maître d'ouvrage s'engage à compenser, "mais sans savoir ce qu'il doit réellement compenser, faute d'avoir fait un état des lieux satisfaisant et représentatif de la biodiversité présente, des fonctionnalités et des services écologiques existants".
La commission s'interroge également sur "l'éparpillement" des mesures compensatoires qui seraient envisagées sur vingt sites différents, dans cinq départements, pour une surface totale de 140 ha.
"L'estimation de l'expert de la commission, sur la base des mesures projetées par le maître d'ouvrage, conduit au total à quelque 34 à 36 ha de surfaces de zone humide réellement regagnées. On est donc loin des 140 ha recherchés de compensation". Et encore plus des 220 ha "a minima" qu'il aurait fallu trouver pour compenser le projet…
La commission d'enquête pointe également du doigt l'accroissement significatif du risque de crue et de catastrophe naturelle provoqué par le projet et sous-évalué par le maître d'ouvrage, les déficiences en matière d'évaluation des incidences sur le milieu, "le problème irrésolu des vidanges dans le milieu naturel" du centre aquatique… Elle regrette également qu'"aucune concertation préalable n'[ait] eu lieu pour le dossier loi sur l'eau, et notamment sur les mesures compensatoires, dont les sites, qui ont été finalement retenus en 2013, ont fait l'objet de nombreuses critiques de la part du public".
Un projet revu à la marge ?
Malgré ces conclusions, remises en juillet dernier, les travaux ont démarré en octobre dernier, après avoir reçu le feu vert de la préfecture d'Isère.
"L'autorisation loi sur l'eau du 3 octobre 2014 a été délivrée après plus d'une année d'instruction du dossier. La commission d'enquête a remis son rapport fin juillet avec un avis défavorable. Elle a présenté ses conclusions, et les points nécessitant des compléments pour lever les réserves ont été identifiés", indique le Préfet d'Isère dans un communiqué de presse du 24 novembre. Parmi les modifications apportées au projet : un redimensionnement à la hausse des bassins de gestion des eaux pluviales, une réévaluation des zones humides impactées (76 ha désormais) et des mesures compensatoires réexaminées (renaturation et amélioration de zones humides dégradées sur une surface de 152 ha). Selon la préfecture, ce nouveau dossier a été validé le 25 septembre par le Conseil départemental de l'environnement des risques sanitaires et technologiques (Coderst), ce qui a conduit à la publication de l'arrêté autorisant le projet au titre de la loi sur l'eau. Le préfet estime également que "le public a été très largement consulté sur ce projet puisque cinq enquêtes publiques ont été organisées depuis 2009, au cours desquelles il a donc pu largement s'exprimer".
Le préfet indique enfin que le projet a reçu, le 16 octobre, l'autorisation de déroger à la protection des espèces protégées, après consultation du public et modification du projet (réalisation d'écuroducs…).
Mais désormais, c'est la justice qui est saisie par les opposants. Alors qu'en 2013 et 2014, plusieurs recours formés devant le Conseil d'Etat ont été rejetés, trois nouveaux recours ont été déposés par la Frapna et la Fédération de pêche de la Drôme. Dont un référé suspension qui sera examiné par le tribunal administratif de Grenoble le 12 décembre prochain. En conséquence, le 2 décembre, le président du conseil régional de Rhône-Alpes a appelé le Préfet de région à "prendre les dispositions nécessaires à la suspension des travaux, jusqu'au prononcé de la décision".