Par Pierre Recarte
26 mai 2014
Le Grenelle de l’environnement a promu les « autoroutes ferroviaires » pour rééquilibrer le transport de marchandises sur longue distance en faveur du rail. Cette priorité est affirmée alors que le fret ferroviaire continue à décliner en France depuis son apogée historique de 1974, où sa part de marché était deux fois plus élevée qu’aujourd’hui.
En quoi consiste une autoroute ferroviaire ?
Le ferroutage permet de transporter des camions complets sur des wagons surbaissés. L’« autoroute ferroviaire » est une variante du ferroutage. Les semi-remorques sont acheminés avec ou sans leurs tracteurs, entre deux terminaux de chargement ; c’est un transport régulier à un rythme cadencé.
Le service emprunte les voies ferrées existantes ce qui impose des wagons surbaissés et des travaux d’adaptation afin que les ponts et les tunnels, présentent un gabarit compatible avec la hauteur des véhicules transportés.
Deux autoroutes ferroviaires fonctionnent déjà en France : l’une relie Perpignan au Luxembourg, la seconde, la transalpine, met en communication la vallée de la Maurienne et Turin, en empruntant le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis. Le 3e axe, l’autoroute ferroviaire atlantique, est en projet et nous concerne directement mais le concept suscite des interrogations.
Un choix discutable
Faire monter des camions entiers sur des wagons spéciaux (Modalohr) à 400 000€ l’unité : telle est l’option retenue. Les experts estiment le prix du transport entre 1 et 1,20 € le km alors que le transport par caisse est tarifé au plus à 0,60 € le km. Pour « capter » plus de camions, l’autoroute ferroviaire Perpignan/Bettembourg a dû opter pour une solution mixte (camions et conteneurs) et offrir des voyages à perte (0,70 €/km contre 0,90 € auparavant).
L’autoroute ferroviaire est une option discutable, elle gaspille de la place, de l’énergie, transporte peu de masse (358 tonnes en moyenne), nécessite des travaux d’aménagement, et coûte 40% plus cher que le combiné.
La meilleure solution, la seule qui ait la confiance des routiers, est le transport combiné de conteneurs par voie ferrée ou maritime. Le conteneur c’est l’avenir du fret, comme peuvent en attester les nombreux pays qui l’ont adopté. Le conteneur c’est l’unité commune au bateau, à la route et au rail.
Contre toute logique ce choix n’a pas été validé.
Un choix peut-être imposé…
Est-ce un choix réfléchi ou Jean Louis Borloo ministre de l’Ecologie s’est-il montré sensible au lobbying de Mr Philippe Essig, ancien PDG de la SNCF ?
Mr Essig est tour à tour « consultant » ou « expert» pour le compte de RFF. Il est naturellement chargé du dossier des LGV. Dès lors, l’autoroute ferroviaire y apparaît comme la solution à tous les problèmes. Ce travail lui permet d’intégrer le Ministère de l’Ecologie, aux côtés de Jean-Louis Borloo où il est chargé de juin 2008 à juin 2009 d’une « mission de réflexion du fret ferroviaire. » Avec Philippe Idrac et le directeur du service des Transports, Philippe Essig conclut que la solution la plus adaptée pour l’Etat est l’autoroute ferroviaire.
Les opposants au projet de LGV découvrent alors que Philippe Essig est également, depuis 2003, le conseiller de la société Modalohr… qui détient le brevet de fabrication des wagons spécifiques de ces autoroutes ferroviaires !
Ainsi l’expert a été à la fois juge et partie !
Curieusement, alors que son contrat avec le gouvernement courait jusqu’en juin, le ministère a choisi de le décharger du dossier début 2009. De 2002 à 2008, Philippe Essig était conseiller auprès d’Alain Rousset, président de la Région !
La Cour des comptes circonspecte
Dans le rapport annuel de 2012, la Cour des comptes fait ce constat : « Il ressort que le concept peine à faire ses preuves sur les plans économique et financier (…) Les autoroutes ferroviaires ne pourront être une opportunité pour le fret ferroviaire qu’à la condition de démontrer leur capacité à fonctionner à terme sans aide financière publique récurrente (…) le modèle n’apparaît viable, dans l’avenir, qu’à des conditions exigeantes. »
Des spécialistes incrédules
Patrice Salini, ancien Directeur du Cabinet d’un Secrétaire d’État aux Transports, consultant spécialisé des transports écrivait dans les Echos : « Peut-on parier sur l’autoroute ferroviaire ? Eh bien, le drame c’est que personne – sauf les politiques – le croient vraiment […] Le problème, c’est que cette technique ne peut aucunement prendre une part de marché massive (ou décisive) ni répondre à une organisation industrielle du transport combiné – où finalement les conteneurs demeurent l’outil idoine […]
Sa « prolifération – qui demeure lente – ne peut aucunement faire office d’une stratégie de développement capable de relever le défi du développement durable. »
L’autorité environnementale (Ae) très critique
Rentabilité socio-économique douteuse, imprécisions sur les prévisions de trafic, étude d’impact trop générale, absence d’études sérieuses sur les nuisances acoustiques ou l’impact des vibrations sur les bâtiments, l’avis de l’Autorité environnementale (Ae) sur le projet de l’autoroute ferroviaire atlantique conforte les opposants dans leur analyse. Cet avis, rendu fin décembre 2012, comprend bon nombre de critiques, réserves et recommandations qui montrent que ce projet n’existera jamais dans l’ampleur prévue.
En 2006, RFF annonçait 4 allers-retours dès 2007, 20 en 2013 et 30 en 2020. A ce jour, l’autoroute ferroviaire n’a pas encore démarré.
L’Ae indique qu’ entre 2014 et 2029, il est prévu 4 allers et retours quotidiens et à terme 9 à 10 allers et retours quotidiens! De même le coût apparaît prohibitif car la mise en service nécessite de nombreux travaux sur le réseau estimé à 188 millions d’euros.
L’autorité doute de la rentabilité socio-économique. Le bilan actualisé net sur la période 2013-2062 est négatif : -112 M€ avec la prise en compte du coût d’opportunité des fonds publics. De plus, le bilan de RFF comme celui de la puissance publique est négatif : -314 millions d’euros pour RFF et -613 millions d’euros pour la puissance publique. « Cette situation fragilise l’équilibre global du projet » conclut l’autorité.
Cette autoroute devrait prochainement voir le jour entre Tarnos et Dourges. Sont prévus par Lorry Rail (entre la mise en service et 2029) 60 semi-remorques par train et 4 allers-retours par jour soit 8 trains pour transporter 480 camions. Il circule 8165 poids lourds par jour sur l’autoroute (en 2012).
L’autoroute ferroviaire supprimerait 5,8% des camions soit 14 jours de trafic de l’autoroute ! Piètre résultat alors que le transport de conteneurs par fer ou mieux par mer permet de transporter des volumes beaucoup plus important de marchandises.
Dans ce domaine au moins le lobbying aura bien fonctionné !