Par olivier cabanel (son site) mardi 21 octobre 2014
Quand les caisses d’un état sont vides, il a 2 alternatives, soit prendre des décisions courageuses, lucides et sociales pour gérer différemment les dépenses, quitte à supprimer les privilèges consentis encore aujourd’hui à quelques milliers de nantis, ou continuer de plus belle en se lançant dans des projets pharaoniques avec l’illusion de relancer une éventuelle croissance.
En Russie, c’est un projet fastueux que compte lancer Vladimir Poutine, avec un TGV remplaçant le transsibérien, et qui relierait Moscou à Pékin. 7000 km d’une voie ferrée, pas moins, seront nécessaires à mener ce projet à terme, lequel couterait la coquette somme de 230 milliards. Il est probable que finalement, cette somme pourtant rondelette sera dépassée, si on se souvient que les jeux de Sotchi avaient atteint les 45 milliards de dollars, soit prés de 3 fois plus cher que prévu, et que plus de 20 milliards sont allés dans la poche des corrupteurs en tout genre, de quoi les réjouir, vu qu’ils qui vont voir là l’occasion de s’enrichir encore plus…d’autant que tout ce chantier sera sous-traité, ce qui permettra toutes les audaces financières et les détournements de fonds. lien
D’ailleurs, Medvedev, le précédent président russe avait lui-même dénoncé cette corruption la considérant comme : « un vol absolument cynique et d’une immense proportion de l’argent de l’Etat », visant involontairement ( ?) son successeur, soupçonné d’y avoir participé lors d’achats de scanners destinés à 15 nouveaux centres médicaux, qui auraient été surfacturés jusqu’à 3 fois leurs montants, et qui auraient permis à Poutine de s’offrir un beau palais. lien
Mais revenons au TGV transsibérien. Les promoteurs cette ligne qui passerait par Kazan, font valoir que ce projet, qui devrait être réalisé en 5 ans, ramènerait le temps de parcours de 6 à 2 jours. lien
L’équation est donc simple : 96 heures gagnées pour 230 milliards d’euros investis, ce qui met la minute gagnée à 35 millions d’euros €. On ne sait pas si le jeu en vaut la chandelle, mais en ce qui concerne le BTP local, le doute est à écarter.
La France serait mal placée pour se gausser, vu qu’elle est sur la même logique, voire pire, en étant décidée à gaspiller près de 30 milliards d’euros pour gagner quelques minutes pour le projet ferroviaire entre Lyon et Turin. En effet, cet autre projet pharaonique de 240 km de long, comporte surtout beaucoup de tunnels, ce qui ne va pas favoriser l’intérêt du touriste, car passer plus de la moitié de son voyage dans le noir n’est pas enthousiasmant.
Le seul tunnel de base, traversant les Alpes à son point le plus bas, ferait 54 km de long, et tous les autres tunnels de l’ouvrage du coté français additionnés atteignent 86 km, que les lobbyistes du « Lyon Turin » qualifie de ligne enterrée », (le mot tunnel à mauvaise presse) pour 140 km de voie nouvelle, soit 64% du trajet, ce qui signifie que le voyageur, installé dans un train roulant à 120 km à l’heure, vitesse prévue pour les passages en tunnels, passerait ¾ d’heures dans le noir. lien
Au-delà de cette aberration, il n’est pas inutile de se pencher sur le gain de temps annoncé par les promoteurs du projet : 70 minutes gagnées entre Lyon et Turin, (lien) sauf qu’ils oublient au passage une donnée essentielle, le projet tel qu’il est prévu s’arrête à Satolas, soit à 30 km de Lyon, c'est-à-dire à 30 minutes de Lyon, ce qui ramène le temps gagné éventuellement à 40 minutes.
Ajoutons, les arrêts en gare, et les éventuelles pertes de temps, ce qui ramènerait le temps gagné à 30 minutes… 30 minutes pour 30 milliards investis… 1 milliard la minute…est-ce bien raisonnable d’engager autant d’argent alors que les caisses de l’Etat sont vides ? Et pourtant, le nouveau premier ministre, Manuel Valls, qui ne cesse de clamer « qu’il faut faire des économies » est l’un des premiers à encourager ce projet, assurant droit dans ses bottes qu’il est « indispensable d’un point de vue économique ». lien
Jamais à l’abri d’une contradiction, il annonce des prix farfelus puisqu’il estime le cout du projet à 8,5 milliards d’euros… confondant vraisemblablement le prix du tunnel de base, et celui du projet complet,…et pour rassurer les populations, il ajoute que ce serait l’Europe qui paierait la majeure partie.Faux, une fois de plus, car au cas où finalement l’Europe mettrait la main à la poche, ça ne dépasserait pas les 40% de la partie internationale, soit 3,4 milliards, bien loin des 30 milliards nécessaires à la construction de la ligne. D’ailleurs, s’il faut en croire le député vert allemand Michael Cramer, « le financement européen à hauteur de 40% n’est pas acquis ».lien
Ce qui est confirmé dans un rapport publié en mai 2014 par le PCLT (organisme européen qui gère le projet), dont le coordinateur avait fait part du scepticisme de l’Europe. lien
Pourtant, toujours optimiste, le premier ministre affirme que ce chantier sera créateur de milliers d’emplois…Ce qui reste aussi à prouver. En comparant, pour le tunnel de base, un ouvrage de même nature, le tunnel de St Gothard, on peut affirmer que, d’une part, le nombre d’emplois serait de l’ordre d’environ 1500, et que d’autre part, les 2/3 des emplois crées seront issus de pays à bas salaire de l’Union Européenne. lien
Récemment Laurent Grosjean de la CGT construction remarquait que : « une entreprise française a parfaitement le droit d’envoyer des employés en France, sauf que dans les ¾ des cas, ils ne sont pas déclarés à l’inspection du travail » ce qui permet toutes les dérives, d’autant que « des entreprises françaises, souvent des petits sous-traitants, trempent dans les magouilles ».
Il faut dire que dans l’esprit de plusieurs promoteurs du projet, c’est la valse des chiffres, puisque le magazine « Rhône Alpes » avait annoncé 30 000 emplois créés, tout comme Louis Besson, lequel s’est ravisé plus tard, ramenant, le chiffre à 3000…alors que « la Transalpine » promettait pour sa part 4000 emplois.… moins optimiste que Jean-Jack Queyranne, qui affirme que le Lyon-Turin génèrerait 6000 emplois en Maurienne. lien
Encore mieux, Valls, lors de son passage récent à Chambéry a aussi affirmé que ce projet avait « un caractère environnemental tout à fait extraordinaire »… Il est certain qu’un projet qui va manger 1500 hectares de terres agricoles de bonne qualité, qui va faire perdre au Nord Isère, et à l’Avant Pays Savoyard le caractère touristique qu’ils avaient, a un caractère environnemental tout à fait extraordinaire.
Ajoutons, s’il faut en croire le Ministère de l’environnement et l’étude qu’il a mené, que le Lyon-Turin aura des impacts néfastes pour la biodiversité, (disparition d’espèces rares, qualité de l’eau menacée, qualité de l’air aussi : le percement du tunnel de base libérerait dans l’air d’importantes quantités d’amiante et d’uranium (lien), (lien) sans oublier les nuisances sonores : les opposants au projet annoncent le chiffre de 130 dB dans la limite de l’emprise de la ligne, ce qu’ils ont pu prouver lors d’une mesure, dans la région d’Angers, à l’invitation des services de l’Etat. Rappelons que 130 dB est le seuil de la douleur, et qu’officiellement le passage d’un TGV ne générerait « que » 110 dB. lien
D’ailleurs, un rapport officiel admet qu’un TGV entrant dans un tunnel peut atteindre une nuisance sonore de 140 dB. lien
Au passage n’oublions pas la difficile gestion des millions de mètres cube de gravats issus du percement des tunnels, dont la promesse a été faite qu’il serait emmené « ailleurs », mais au vu de ce qui s’est passé au Bourget-Villarodin, petite commune où s’est creusée la galerie de reconnaissance, on sait que généralement ils restent sur place, rendant pour longtemps des hectares incultes. Ils ont finalement hérité, au-delà des maisons fissurées lors du percement, de 350 000 m3 de déblais… ce qui n’est rien face au 2,5 millions prévus lors de l’éventuel percement du tunnel de base. lien
De plus, tout comme en Russie, nos voisins italiens, concernés eux aussi par le projet, dénoncent depuis des lustres, la corruption déjà à l’œuvre dans ce projet. lien
Pas étonnant dès lors que la Cour des Comptes vient d’épingler une fois de plus la gestion des TGV, en constatant des taux de rentabilité de plus en plus faibles, le Lyon-Turin en étant l’exemple flagrant, dénonçant « ces annonces politique, à haut niveau, qui confortent solidement les projets avant-même que soient menées les phases préliminaires », et réclamant que « soit restaurée la marge opérationnelle de l’activité grande vitesse » s’inquiétant aussi « d’une trajectoire peu soutenable ». lien
Cette Cour des comptes avait déjà largement critiqué ce projet, suivant ainsi d’autres rapports, comme le rapport Duron (lien) avis dont nos gouvernants ne tiennent pas compte. lien
Résumons : un projet qui met la minute gagnée à 1 milliard d’euros, pour une création de 500 emplois français, et pour des dommages considérables à l’environnement… pas de doutes, Manuel Valls vient de décrocher le pompon en matière de défense de l’environnement.
Comme dit mon vieil ami africain : « c’est en se plantant qu’on devient cultivé ».
L’image illustrant l’article est de l’auteur
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel
Source : http://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/au-train-ou-vont-les-choses-158320