jeudi 24 septembre 2009
Dans leur revendication d’impunité, les médias invoquent souvent « l’urgence d’informer » pour justifier rétrospectivement des abus trop facilement objectivés par la simple épreuve du temps. Cette excuse de « l’urgence » ne va pas de soi, pourtant.
1. Travailler dans l’urgence requiert un minimum de méthodes et de compétence idoine : que dirait-on d’un urgentiste qui revendiquerait son quota quotidien de cadavres au motif de l’urgence, justement ? Si on n’a pas vocation pour ce job ou pour les conditions de travail inhérentes, on peut toujours s’orienter vers l’Ecole nationale des chartes – ou vers le notariat…(1)
2. La notion d’urgence n’est pas si contraignante qu’il y paraît au premier abord, car qui fait l’urgence ? Pour rester dans la métaphore médicale, il était plein de bon sens le vieil aphorisme selon lequel « il n’y a pas d’urgence, il n’y a que des gens pressés » : la compétence, parfois, consiste à désamorcer l’urgence.
3. En tout état de cause, traiter préférentiellement de l’urgence – réelle ou supposée – correspond à un choix, conscient ou inconscient, opéré au détriment d’autres questions non moins significatives, avec le risque de privilégier le spectaculaire sur l’authenticité, l’effet de surface sur le traitement en profondeur.
4. Si la propension des journalistes à se laisser embarquer dans l’urgence était inhérente à leur job, alors il est une autre mission non moins inhérente et à laquelle celui-ci devrait les ramener symétriquement : le travail de mémoire et l’évaluation rétrospective de l’information diffusée.
L’alerte à la grippe porcine telle que relayée par la presse depuis la fin avril 2009 représente à l’heure actuelle une bonne illustration de tous ces points, et notamment du dernier. Car si, en une occurrence heureuse quoique regrettablement rare, il s’est rapidement opéré un découplage entre la presse et l’opinion publique, c’est le plus probablement que par opposition à celle-là, celle-ci n’a pas manqué de faire le rapprochement avec une autre « urgence » dont on nous rebattait les oreilles depuis maintenant six ans : la grippe aviaire... En quoi, justement, l’évaluation rétrospective de l’information diffusée sur la grippe aviaire peut-elle nous éclairer sur la menace d’une nouvelle pandémie – et, plus généralement, sur les alertes médiatisées concernant la santé ?
En matière de santé publique, dès qu’il s’agit d’affoler les foules, on retrouve presque immanquablement cinq procédés rhétoriques.
2.1. Dramatisation de l’anecdotique
En quelques heures, et durant plusieurs jours – voire davantage encore –, le public va se voir happé dans le devoir d’apitoiement à propos d’un événement censément paradigmatique, supposé démontrer que cela n’arrive pas qu’aux autres : un Français moyen hospitalisé à grand renfort de pin-pon parce qu’il a éternué après avoir discuté avec la concierge qui venait de recevoir la visite de sa soeur dont les enfants étaient juste rentrés du Mexique (2), des parents rongés d’angoisse au retour d’un voyage scolaire à Mexico (3), etc.
On n’a pas toujours plus poignant sous la main. Mais quelques semaines auparavant, la presse avait fait très fort avec le malheureux décès d’une petite fille atteinte de la rougeole – avant même (j’ai pu le vérifier au cours d’une émission où j’avais été invité) de savoir si l’enfant était ou non vaccinée, et nonobstant l’incertitude quant à la protection offerte par ledit vaccin contre une issue aussi désastreuse, attendu qu’on n’a jamais vu un médicament efficace à 100% et qu’il n’y a aucune raison pour que la vaccin contre la rougeole fasse exception à cette règle dictée par l’expérience. Sur ces dernières années, de toute façon, j’ai vu plus de vies ruinées par une encéphalopathie post-vaccinale que compromises par une maladie aussi majoritairement bénigne que la rougeole (4).
2.2. Amplification du risque
Lors de ma première apparition télévisée sur la grippe porcine, fin avril 2009, on en était à quelque 200 décès mexicains et j’avais cru bon ironiser sur la fiabilité des autopsies réalisées : pas plus tard que le lendemain, on n’en était plus qu’à… 7 décès documentés.
A l’heure actuelle, on ne sait toujours pas sur quels critères se fondent les autorités pour attribuer au virus de la grippe porcine des épisodes infectieux : selon certaines sources (5), le nombre de gens effectivement atteints devrait être divisé par dix par rapport aux données officielles. Il pourrait même être encore réduit si l’on tient compte que pratiquée chez une minorité de malades seulement, la sérologie est loin d’apporter une certitude diagnostique : elle conduit à des erreurs par excès (« faux positifs ». En tout état de cause, on peut parfaitement avoir contracté une grippe porcine et mourir de tout autre chose : ce problème d’imputation se pose d’ailleurs avec la grippe en général et dans un texte mis à jour le 13/03/03, disponible sur internet (REF), la Direction Générale de la Santé admettait sans fard que « il n’existe pas d’études françaises sur le taux d’hospitalisations et de mortalité de la grippe ». Jusqu’à plus ample informé, la situation n’a guère évolué depuis, ce qui réduit à pas grand choses les estimations alarmistes des « experts » sur la morbidité et la mortalité de la grippe.
Encore plus récemment, le CDC américain (REF, consultation le 22/08/09) reconnaît que « une petite proportion seulement des gens présentant une pathologie respiratoire sont testés pour le H1N1 ». De deux choses l’une, par conséquent : ou bien l’effectif des gens réputés avoir contracté une grippe porcine inclut ceux qui n’ont pas été testés pour ce virus (la majorité, par conséquent), ce qui en dit long sur la crédibilité des estimations publiées par les autorités sanitaires (a fortiori lorsque ces estimations viennent de pays – le Mexique, par exemple – dont le système de santé est nettement moins performant qu’aux USA) ; ou bien les autorités sanitaires n’incluent dans leurs recensements que la « petite » minorité des malades ayant effectivement subi une sérologie, ce qui en dit long sur la crédibilité des politiques de santé publique proposées sur la base d’une sous-estimation aussi grossière.
Sur estimation ou sous-estimation : on en revient, de toute façon, à un problème de crédibilité – partant à une question cruciale de compétence (cf. La dimension politique de l’affaire, en ligne sur le site).
2.3. Perception sélective du risque
Les estimations les plus alarmistes sur la grippe aviaire font état d’un total mondial de 250 morts depuis 2003, soit environ 40 morts par an à l’échelle du monde entier. Cherchons quelques points de comparaison.
* A cette même échelle du monde entier, rappelons qu’à lui seul, le manque d’eau potable – situation relativement basique dont la résolution n’appelle aucun génie médical particulier – rend compte d’environ 8 millions de morts par an, en majorité des bébés et des enfants. Selon les mêmes statistiques de l’OMS (6), les accidents de la route causent chaque année 1,3 millions de morts, en majorité des sujets jeunes. Avec le paludisme, on n’est pas loin d’un million, avec cette fois encore une majorité pédiatrique. Un récent rapport du Forum humanitaire mondial (présidé par l’ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan) estime à 300 000 par an le nombre de morts d’ores et déjà imputables au réchauffement climatique (via notamment l’aggravation de la malnutrition et la diffusion accélérée de certaines maladies) (7).
- En supposant le risque de grippe aviaire fatale uniformément réparti sur le globe, 250 morts en six ans correspondraient environ à un mort tous les 3 ans à l’échelle de la France (qui représente moins de 1% de la population mondiale). Par comparaison :
- selon l’Institut de veille sanitaire (REF) les piqûres d’abeilles, de guêpes ou de frelons entraînent chaque année une quinzaine de décès dans notre pays (soit 45 fois plus…) ;
- selon le même organisme, il faut compter environ 500 décès par noyade chaque année en France, dont une proportion significative chez les enfants (8) ;
- sur l’année 2006, on a décompté pas moins de 129 morts sur les routes tant en Ardèche qu’en Haute Loire – qui ne sont quand même pas les départements français les plus peuplés ; avec seulement 95 morts cette année-là, la Corrèze apparaît nettement plus sûre… A quand une émission télé sur la mortalité par accident de la voie publique en Ardèche ?
- La même extrapolation conduit à imputer à la grippe aviaire un maximum théorique de 5 morts au Japon (qui représente moins de 2% de la population mondiale) depuis qu’on parle de cette maladie. Or, sur la même période, pas moins de 80 décès ont été imputés au seul Tamiflu9 : compte tenu de la sous-notification majeure en pareille matière (et notoirement plus forte au Japon qu’ailleurs), de tels chiffres tendraient à crédibiliser plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de décès imputables à cet antiviral réputé garantir la sécurité des peuples en cas de pandémie… On a là, d’ailleurs, un bon exemple des biais évoqués plus haut (cf. 2.2) que, lorsqu’un sujet traité par Tamiflu vient à décéder, certains experts incriminent la grippe sous-jacente comme seule cause envisageable de l’issue fatale : la réalité clinique est bien plus complexe et nuancée.
2.4. Une rhétorique de globalisation
On n’a pas attendu 2003 (grippe aviaire) ou 2009 (grippe porcine) pour savoir que les maladies respiratoires peuvent être dangereuses – chez certains sujets du moins : c’est même un comportement de bon sens largement admis que lorsqu’on est simplement enrhumé l’hiver, on s’abstient d’aller coller la bise à Pépé ou à Mémé. Il y a en effet trois grandes façons pour « mourir de vieillesse » : développer un cancer, faire un accident cardio-vasculaire ou contracter une infection respiratoire. C’est ainsi que lorsqu’on entend la complainte trop complaisante sur l’augmentation du nombre de cancers dans notre pays, cela signifie simplement qu’on y vit de plus en plus longtemps…
A cette globalisation locale consistant à ne pas voir que, dans un pays comme le nôtre, les victimes d’infections respiratoires sont, pour l’essentiel, des sujets fragilisés par l’âge ou par la maladie, s’ajoute une globalisation géographique visant à dissimuler que, pour lourdement qu’elles pèsent dans l’absolu sur la mortalité mondiale, certaines pathologies ne sont significatives que dans certaines régions ou chez certaines sous-populations.
- La chose va de soi pour le paludisme, déjà mentionné : malgré la mortalité globale terrible de cette maladie, lequel des autochtones français – surtout s’il est sédentaire – s’en imagine sérieusement menacé ?
- Il en va de même avec la rougeole, également mentionnée (cf. note 4), qui se révèle une infection redoutable chez des sujets dénutris (et dont la prévention, par conséquent, devrait passer par une lutte contre la malnutrition bien davantage par des vaccinations coûteuses dont le rapport bénéfice/risque est incertain en ce type de contexte) mais reste – n’en déplaise à d’aucuns – une maladie fondamentalement bénigne dans notre pays.
- Même chose avec l’hépatite B – qui représente effectivement un risque sanitaire significatif en certaines régions du monde – mais dont extrapolation irresponsable à tout un chacun a fourni l’argument d’une extravagante promotion dans les pays développés comme le nôtre.
Un seul exemple suffira pour récapituler le ridicule de cette globalisation géographique. A l’heure actuelle, la faim dans le monde est probablement le problème sanitaire le plus préoccupant à l’échelle de la planète, puisqu’il concerne près d’un milliard de personnes. Malgré cette évidence, – à une époque où l’obésité fait figure de fléau public en Occident et où les Autorités n’ont même plus peur d’autoriser des anorexigènes à la vente libre – qui aurait le culot de recommander à nos adolescents de se rapprocher du réfrigérateur au motif que tant de leurs semblables souffrent de la faim ? C’est pourtant sur un argument conceptuellement aussi débile qu’a reposé la campagne de vaccination lancée en septembre 1994 par Ph. Douste-Blazy…
2.5. Une rhétorique du pire
En l’espèce, cette rhétorique du pire se concrétise par l’évocation alarmiste de « la grippe espagnole », en 1918-9. Or, quasiment plus personne ici ne se rappelle les pandémies grippales de 1957 ou 1968, précisément parce qu’elles sont loin d’avoir eu les mêmes conséquences en termes de mortalité.
Pour ce qui concerne la « grippe espagnole », il est facile de montrer que ce précédent n’est pas pertinent pour aujourd’hui. Car si personne n’a jamais nié que la grippe – en général – puisse frapper sévèrement les sujets fragilisés (vieillards, immunodéprimés…), il s’avère que les causes de fragilité – du moins dans les pays développés – sont bien moindre aujourd’hui qu’il y a 90 ans : les gens étaient exténués par 4 ans d’un conflit mondial catastrophique, ils étaient malnutris, nombre d’entre eux souffraient de tuberculose… De plus, beaucoup de ceux qui appartiendraient aujourd’hui à la sous-population réputée la plus robuste (les jeunes hommes) avaient vu leur système respiratoire plus ou moins endommagé par les gaz de combats ; ils vivaient également dans des conditions inhabituelles de concentration et de confinement, de nature à exacerber le potentiel mutant du virus (situation étrangement comparable aux conditions d’élevage intensif – surtout en Asie – lesquelles, quoi qu’on en dise, représentent probablement le principal risque de grippe aviaire : cf. 0). Cela n’est pas un hasard non plus que la pandémie ait coïncidé avec la fin de la guerre, à un moment où la démobilisation (partant : le retour de sujets contaminés dans la population normale) maximisait le risque de contamination. Enfin, on n’avait pas non plus les moyens thérapeutiques actuellement à notre disposition pour contrecarrer les complications de la grippe (antibiotiques, réanimation…)
A l’opposé des boutefeux, on trouve un certain nombre de virologistes pour supputer que l’actuelle grippe porcine pourrait même être moins virulente que notre bonne vieille grippe annuelle… Force est de constater que les données épidémiologiques actuellement disponibles (fin mai 2009) plaident en faveur d’une virulence très modérée.
3.1. Les médias
Il n’est pas besoin d’insister beaucoup sur le rôle des médias dans la genèse et, plus encore, la propagation des alertes sanitaires. Il est juste, néanmoins – et préoccupant – de relever qu’en pareille matière, la presse « spécialisée » ne fait pas toujours mieux que celle destinée au grand public.
Plusieurs mécanismes rendent compte de la désinformation résultante.
- Un manque de méthode dans l’inventaire, la vérification et la hiérarchisation des sources, en fonction de leur crédibilité : on n’a simplement pas idée de la déréliction du journaliste moyen par rapport à la validation critique de ses informations (10). C’est ainsi que dans deux articles quasi contemporains parus dans Le Monde sous la même signature, les doutes légitimes qu’on peut entretenir quant à la sécurité du vaccin que nous promettent les autorités sanitaires sont rapportés, pour l’essentiel, à l’activisme nuisible des « lobbys antivaccination » (20/08/09) tandis que sous le titre Grippe A : business, mythes et arnaques (21/08/09), l’inventaire des « commerçants heureux » de la situation se concentres sur les sites internet proposant soit des « médicaments contrefaits », soit – « plus inquiétant » dit l’article – des « remèdes de grand-mère », mais omet totalement les « heureux » bénéficiaires des commandes exorbitantes (antiviraux notoirement peu efficaces, vaccins en cours de développement) consenties par les principales autorités sanitaires…
- Manque de méthode, également, dans le choix des « experts » mis en avant par les médias : outre par leur compétence parfois problématique ou leurs liens d’intérêt, les informateurs consultés par les journalistes sont trop souvent les mêmes, ce qui contribue à un auto-renforcement des convictions initiales même lorsqu’elles sont erronées. Ainsi, sur quelque six ans, combien des experts consultés par les médias ont-ils eu le cran de soutenir que la menace de grippe aviaire, surtout dans sa constante surdramatisation, avait surtout l’allure d’une supercherie (11) ?
Incompétence enfin, qui mérite d’être relevée à cet endroit parce qu’elle frappe aussi jusqu’à la presse spécialisée : il s’avère en effet que les questions épidémiologiques dont il est question ne sont pas forcément parmi les mieux maîtrisées chez les professionnels de santé.
3.2. Les experts
L’incompétence de l’expert peut être :
- absolue, lorsque l’intéressé n’a aucun titre documentable à intervenir sur la question posée (ainsi lorsqu’un journaliste invite comme « expert » un autre journaliste) ;
- relative, lorsque l’intéressé – dont les titres et travaux sont à tout le moins crédibles – est invité à se prononcer bien au-delà de la compétence garantie par ses réalisations antérieures : c’est un indicateur épistémologique préoccupant que la complaisance coupable avec laquelle des gens a priori fort compétents peuvent se laisser entraîner très loin de leur spécialité – sachant qu’en plus, ils le font le plus souvent avec une assertivité inaltérée. J’ai gardé comme un souvenir fondateur cette répartie d’un collègue, universitaire éminent et expert de l’OMS, au cours d’un débat télévisé : « je ne connais pas les chiffres, mais je sais qu’ils ne sont pas significatifs »… En vérité, c’est une étrange revendication d’expert que de savoir sans connaître…
La question des liens d’intérêt, quant à elle, n’est pas nouvelle : en l’espèce, la presse s’est fait l’écho de ceux qui lient l’un des plus ardents promoteurs du Tamiflu au laboratoire titulaire de l’autorisation de mise sur le marché (12).
3.3. Les agences gouvernementales
Certes, les décisions des administrations sanitaires peuvent être influencées par la corruption de leurs experts, ce qui renvoie à la question susmentionnée des liens d’intérêt et de l’effectivité plus qu’incertaine des contrôles censément exercés (13).
Elles peuvent également dépendre encore plus directement des intérêts directs de certains politiques : tout le monde connaît les liens qui unissent le fabricant du Tamiflu (Laboratoire Gilead) à un ancien ministre de l’administration Bush et il n’est pas bien difficile d’imaginer comment, à un tel niveau de responsabilité, on peut influer sur des décisions favorables à ses intérêts les plus immédiatement palpables…
Cependant, indirect ou direct, l’intérêt financier n’est pas tout. Par rapport à la grippe porcine, par exemple, on peut s’interroger sur l’intérêt du gouvernement français à renforcer la trésorerie d’un laboratoire suisse à un moment où, d’un aveu autorisé déjà ancien, « les caisses de l’Etat sont vides » et où, de plus, le pays traverse une crise financière d’une rare violence.
L’intérêt n’est pas non plus « d’ouvrir le parapluie » comme on l’entend souvent aujourd’hui d’observateurs désabusés : car même si nos dirigeants sanitaires ont souvent donnés des preuves ravageantes de leur incompétence technico-scientifique, je peine à croire qu’ils soient nombreux, au Ministère de la santé, à s’illusionner sur l’efficacité dudit parapluie. Ce, d’autant que l’achat d’antiviraux d’efficacité problématique, essentiellement destinés à la poubelle une fois passée la date de péremption, n’est pas une nouveauté : on a vu exactement la même démarche avec la grippe aviaire.
Pour pitoyables qu’elles apparaissent ainsi d’un point de vue médico-scientifique, j’inclinerais donc à interpréter les initiatives du Ministère de la santé en termes de propagande – une propagande désormais bien rodée autour d’une conception dévoyée de la « précaution ». Car ce n’est pas d’aujourd’hui qu’au nom de ce principe galvaudé, les responsables politiques tendent à privilégier les risques potentiels sur les risques avérés. Pourquoi ? Tout simplement parce que, tout en rassurant le bon peuple sur la vigilance de l’Etat, ça coûte bien moins cher de financer la prévention d’un risque virtuel que d’indemniser les conséquences parfois démesurées des risques avérés. Ainsi, tandis que Madame Bachelot assume hautement d’avoir cyniquement dilapidé quelques centaines de millions d’euros dans l’achat d’antiviraux et de masques d’efficacité à tout le moins problématique contre une maladie dont on attend toujours la première victime en France, elle refuse obstinément (j’en ai l’expérience personnelle) d’examiner pourquoi, selon les propres statistiques de son ministère, on est passé dans ce même pays d’environ 25 000 scléroses en plaques avant la campagne de vaccination contre l’hépatite B à quelque 80000 après (14) : car réfléchir tant soit peu sérieusement aux déterminismes d’une telle épidémie (par rapport à une maladie notoirement peu fluctuante dans le temps), ce serait – forcément – ouvrir la perspective d’une réparation qui, à l’évidence, dépasse complètement les capacités d’indemnisation de l’Etat…
Une citation récente du Ministre de la santé (15) suffit à caractériser le lamentable déterminant de ses initiatives : « Je comprends les Français qui jugent qu’on en fait trop. Mais ce sont les mêmes qui nous reprocheraient éventuellement de n’en avoir pas fait assez » (c’est moi qui souligne)… On ne sait s’il faut qualifier d’impudeur ou d’inconscience l’impulsion qui conduit un politique à confesser sans honte que le point de fuite de sa ligne d’horizon est uniquement déterminé par la versatilité de l’opinion publique…
3.4. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)
Par rapport au triptyque qui vient d’être évoqué à propos des agences sanitaires (incompétence, liens d’intérêt, propagande), en quoi la critique de l’OMS permet-elle d’approfondir encore l’analyse ?
- C’est un secret de Polichinelle que cette organisation internationale est, depuis fort longtemps, régulièrement mise en cause quant à la compétence de ses experts et à leurs liens d’intérêt.
- Quant à la question de la propagande, si elle n’était pas un enjeu évident, on voit mal pourquoi la Chine – notoirement l’état le plus voyou en matière de santé publique – aurait dépensé tant d’énergie pour faire élire une de ses citoyennes à la direction de l’organisme, à la fin de l’année 2006. Imaginons que, prenant soudain sa mission au sérieux, le Dr Margaret Chan s’autorise de sa position éminente pour s’attaquer aux vrais problèmes sanitaires de son pays : elle n’aurait plus le temps de s’occuper des autres !…
Mais si, rappelées ces évidences, l’OMS est ici justiciable d’une mention additionnelle, c’est pour deux autres raisons qui tiennent à la nature même de l’institution et me paraissent, à ce titre, d’une portée dépassant largement le seul domaine de la santé.
- D’une part, le projet ayant présidé à la fondation de l’OMS se caractérise par un flou qui n’a d’égal que la naïveté : ça veut dire quoi – et dans l’absolu, et a fortiori à l’échelle d’un monde mû par des forces économiques d’une sauvagerie sans précédent – de viser « la santé » définie comme « un état complet de bien-être physique, mental et social » ? Il n’y a pas besoin d’une immense culture historique pour savoir que les pieux projets (comme les Croisades, ou encore « l’extinction de la pauvreté – après dix heures le soir ») sont rarement couronnés de succès en terme de « bien-être » individuel.
- D’autre part et de façon plus fondamentale encore pour notre propos épistémologique, parce que l’OMS – qui se prétend instance d’expertise alors qu’elle est avant tout une institution éminemment politique – illustre jusqu’à la caricature l’incompatibilité radicale des deux orientations : car, tandis que la vertu cardinale du politique est celle du compromis, celle de l’expert est d’être politiquement incorrect tant il est vrai que la recherche de la connaissance est, par essence, un absolu (16).
Si tout va bien pour les lanceurs de fausse alerte, que va-t-il se passer au niveau du public ?
4.1. Décontextualisation
La rhétorique de globalisation (cf. 2.4) aboutit à une perception décontextualisée des informations transmises, si anecdotiques soit-elles : ce malheureux enfant malnutri qui va développer des séquelles hépatiques terribles d’une infection néo-natale, c’est le vôtre, c’est mon petit-fils – et il faudra attendre un émission télé pour entendre un pédiatre parmi les plus véhéments zélateurs des vaccinations admettre en passant que, de fait, ce n’est pas tout les jours qu’on voit un enfant natif d’ici contracter une hépatite B et, plus encore, une hépatite grave. « Point de détail », comme dirait Le Pen à un autre sujet : mais dans les foules affolées par M. Douste-Blazy qui, fin 1994, firent la queue sur le trottoir devant les pharmacies, qui avait saisi ce détail (17) ? Et dans tous ces adultes, surtout âgés, harcelés par leur médecin pour se faire vacciner contre la grippe, qui avait entendu cet autre « détail », lui aussi révélé en passant au cours d’une autre émission : à savoir que, tous comptes faits, il faut bien reconnaître que ce vaccin n’est pas « très efficace » (18)…
L’alerte à la grippe porcine, quant à elle, a illustré de façon spectaculaire cette dynamique de décontextualisation. Voici quelques semaines à peine, le Mexique – avec son affaire Cassez, sa justice incertaine, ses policiers corrompus, ses magnats de la drogue faisant la loi dans les commissariats et les pénitenciers, ses cartels qui s’entretuent quotidiennement en pleine rue non sans effets collatéraux au niveau des passants – c’était un peu comme le cap Horn pour le Français moyen adepte de pêche à la ligne : un autre monde, quoi… Mais depuis l’alerte à la grippe, il faudrait croire que nous sommes tous des Mexicains…
4.2. Impuissance
Les dictateurs, les terroristes et les maîtres-chanteurs le savent : quand on veut manipuler les gens, il faut d’abord les réduire à un sentiment d’impuissance. C’est une chose que le freudien sait bien qu’il n’est de situation plus intenable que la passivité devant un risque mortel ou quasi-mortel perçu comme imminent : n’importe quoi apparaît alors préférable qu’une telle vulnérabilité à la pulsion de mort. (19)
En l’espèce, il n’est pas bien difficile de comprendre comment avec le pouvoir d’amplification et d’implication des images fortes, on peut hypnotiser les gens par l’appréhension d’un risque présenté comme insupportable – d’autant plus insupportable qu’il peut concerner leurs enfants.
Ce conditionnement opéré, il sera ensuite extrêmement simple d’exploiter la compulsion des gens à « faire quelque chose à tout prix » en leur faisant accroire que des moyens existent pour reprendre la main : vaccinations, antiviraux et, de toute façon, parlez-en à votre médecin...
La médicalisation ainsi recommandée aura d’autant plus de chances de prospérer qu’elle visera complémentairement cette autre déréliction intolérable où se trouvent tant de gens par rapport à leur progéniture : leur donner un modèle de valeurs, parler avec eux – et de l’essentiel si possible –, voire simplement… participer à leur éducation. On n’aura pas tout raté avec eux lorsque, grâce à Engerix, Gardasil ou à leurs homologues, on leur aura au moins ouvert l’accès à une vie sexuelle censément épanouie, puisque débarrassée du risque de MST, voire de cancer sexuellement transmissible…
Décrit fin mai 2009 lors de la rédaction initiale de l’article, ce mécanisme de manipulation mentale trouve une splendide illustration trois mois plus tard quand, arborant son sourire le plus enjôleur, le Ministre de la santé promet que « tous les Français qui le souhaitent pourront être vaccinés » (Santé News, 30/08/09 : c’est moi qui souligne) !... Ainsi, après avoir préparé les esprits au pire des mesures contraignantes (vaccination de masse obligatoire : cf. 1) par une information dont le maximalisme le disputait à l’incohérence (20), la Ministre rétrograde désormais cette menace d’obligation à une simple question de choix personnel. Ce que faisant, elle oublie simplement qu’en médecine, l’information loyale et complète est, légalement, le pré-requis incontournable du consentement individuel : or, qui soutiendrait que sur ce sujet de la grippe porcine, l’information des citoyens a été loyale et complète ? Dans un autre article du site (REF), nous nous sommes alarmés de voir les experts de l’administration se comporter en hors-la-loi : force est de constater que, dans cette affaire, même la plus haute autorité sanitaire de l’Etat ne craint pas, elle non plus, de prendre ses aises avec la loi – pour ne point parler de l’éthique…
« Et alors, me direz-vous, où est le scandale ? Dans une société de consommation que vous pouvez critiquer mais que vous n’avez certainement pas le pouvoir de changer, où est le scandale d’en faire peut-être un peu trop dans la protection des gens, sachant l’individu-roi est prêt à tout pour préserver à tout prix son existence – si misérable que vous puissiez la juger ? »
Tout simplement parce que, même en s’en tenant aux valeurs les plus méprisables de cette société, le prix à payer n’est pas celui qu’on pense. D’une part parce que, comme déjà relevé (cf. 2.3), ces antiviraux ou ces vaccins d’efficacité si incertaine ne sont pas, en revanche, dépourvus d’effets indésirables : or, si dans une indication curative – surtout si le pronostic vital est en jeu – on peut tolérer le risque d’un médicament plus toxique qu’efficace, les limites tolérables du rapport bénéfice/risque s’amenuisent singulièrement en situation préventive, par rapport à une maladie dont on ne sait même pas si on la contractera, et encore moins sous une forme grave ! De toutes les victimes vaccinées que j’ai expertisées, j’en ai quand même un certain nombre qui : 1/ n’avaient aucune chance sérieuse de contracter une hépatite B, 2/ ne sont, selon toute probabilité, pas réellement immunisées contre cette maladie (dans l’hypothèse improbable où elles basculeraient dans la toxicomanie), 3/ souffrent néanmoins d’une sclérose en plaques grave. Cherchez l’erreur…
Mais d’autre part pour une question encore plus comptable d’allocations de ressources. Même dans un pays qui a de longtemps cultivé l’irresponsabilité absolue en matière d’assurance maladie, ils sont de plus en plus nombreux ceux de nos concitoyens qui se rendent compte que le financement ne peut être intarissable : en réclamer pour un poste de dépenses, c’est forcément en retirer sur un ou plusieurs autres.
Notre responsabilité de professionnels de santé, dès lors, ne consiste pas à s’autoriser de probabilités infimes, mais exacerbées par la représentation spectaculaire de l’anecdotique (cf. 2.1), pour réclamer tout et n’importe quoi : elle consiste à hiérarchiser, sur la base des connaissances disponibles, la mortalité, la morbidité et la souffrance inhérentes aux risques de santé publique, pour aider le politique à décider une juste allocation de ressources.
Il n’y a pas besoin d’être virologiste pour savoir que le virus de la grippe est une saloperie, et qu’il l’a toujours été de toute éternité ; qu’à ce titre, les boutefeux irresponsables qui brandissent un risque de pandémie grave jouent sur du velours, car aucun professionnel compétent n’oserait nier que ça puisse effectivement arriver. Mais ça a pu arriver ainsi depuis toujours, et les éléments de faits disponibles sur la grippe porcine sont loin d’être assez contraignants pour justifier une allocation de ressources démesurées par rapport à des besoins de santé publique bien plus urgents et bien mieux répertoriés, comme les soins dentaires, les lunettes ou les appareils de correction auditive : en épargnant à des centaines de milliers de sujets âgés l’isolement sensoriel où les contraint leur incapacité financière de s’appareiller correctement, on épargnerait certainement bien plus de démences que n’importe quel plan « Alzheimer » trop complaisamment exhibé par nos gouvernements.
Additionnellement et toujours en matière d’allocation de ressources, s’il est exact que, par son potentiel de mutation, le virus de la grippe a, de toujours, représenté une menace potentiellement grave pour l’humanité, il serait utile de s’interroger sur l’exacerbation faramineuse du risque tel que entretenu par les pratiques atterrantes du lobby agro-alimentaire mondial – partant sur son évitabilité. Mais aux termes mêmes du schéma épistémologique suggéré plus haut (cf. 3.2), j’arrête là, car je suis arrivé aux limites de mes propres compétences…
Source : site du Docteur Girard
Notes :
1 Lorsqu’on a l’expérience désastreuse tout autant que réitérée de la façon dont des journalistes peuvent rendre méconnaissable le contenu d’une interview réalisée posément sur un sujet facile traité en toute clarté, on s’interroge forcément sur leur crédibilité dès qu’il s’agirait d’opérer rapidement une synthèse sur un thème technico-scientifique parfois rendu encore plus complexe par l’absence de recul.
2 L’enquête étant susceptible de révéler ultérieurement que ce n’était pas le Mexique, mais l’Argentine : ça reste à gauche sur la carte et tout le monde n’est pas forcé d’être incollable en géographie…
3 Cela leur apprendra à tolérer que l’Ecole de la République soit désormais plus motivée par le tourisme que par l’étude.
4 Du moins dans nos contrées : la mortalité de la rougeole dans certains pays du Tiers-Monde est une autre histoire (cf. 2.4).
5 Telegraph.co.uk, 22 Aug 2009 (REF)
6 World Health Organisation. Global burden of disease 2004.
7 Le Monde, 31/05/09.
8 Ermanel C. et coll. Surveillance épidémiologique des noyades accidentelles en France au cours de l’été 2004. Urgence pratique 2005 ; n° 69 : 49-51
9 Hama R. Oseltamivir’s adverse reactions. BMJ 2007 ; 335 : 59
10 Pourtant lui-même médecin (à ce titre supposé doté d’un minimum de compétence spécifique), un journaliste d’un grand hebdomadaire français m’a remontré un jour que, pour critique que je sois à l’égard de certains experts, il fallait bien que je prenne acte que d’autres l’étaient « réciproquement » à mon égard et que sa déontologie journalistique lui imposait, par conséquent, de maintenir l’équilibre entre deux sources aussi divergentes. Je n’ai eu aucun mal à reconstituer que cet « expert » à qui je n’avais ainsi pas eu l’heur de plaire n’était autre que le président d’une association de victimes, dépourvu de toute formation scientifique ou médicale, et qui m’avait avoué un jour, en colloque singulier, n’avoir rien fait de sérieux dans sa vie professionnelle…
11 Girard M. World Health Organization vaccine recommendations : scientific flaws, or criminal misconduct ? Journal of American Physicians and Surgeons 2006 ; 11 : 22-3
12 Day M. How the media caught Tamiflu. BMJ 2005 ; 331 : 1277
13 On relèvera à ce sujet que, sur le site de l’AFSSAPS (l’agence française du médicament), il faut beaucoup d’énergie pour localiser les déclarations publiques d’intérêt des experts consultés par l’agence, et que la dernière version disponible date, apparemment, de 2006 : ce qui en dit long sur le souci de suivi et d’actualisation témoigné par l’AFSSAPS sur cette question pourtant essentielle.
14 Pour le référencement de ces chiffres, cf. l’article « Qui croire ? » sur www.rolandsimion.org.
15 Le Parisien, 21/08/09
16 Cette incompatibilité de la fonction politique avec la fonction expertale s’actualise régulièrement quand un professionnel de santé est nommé ministre de la santé… Plus récemment, on a pu entendre le député JM. Le Guen, qui s’autorise de sa formation médicale pour proposer une alternative politique aux décisions du gouvernement, proférer quelques énormités technico-scientifiques, assimilant d’abord la situation actuelle avec celle de 1918 (cf. 2.5) avant de confondre la notion de « virulence » avec celle de « contagiosité » – en une méprise grossière qu’on n’aurait pas pardonnée à un étudiant (Grippe AH1N1 : ce que l’on sait, France 24, 18/08/09 : cf. La dimension politique de l’affaire, en ligne sur le site).
17 Dans une interview contemporaine de la présente rédaction (Le Moniteur des pharmacies, n° 2782, 30 mai 2009 : 22-28), l’actuel président du Comité technique des vaccinations fustige les Britanniques pour n’avoir pas vacciné massivement contre l’hépatite B : « je ne sais pas s’ils se sont beaucoup intéressés à leurs migrants ». Dans les foules de Français moyens affolés par M. Douste-Blazy, qui avait saisi la connexion entre « hépatite B » et « migrants » ? Point de détail, à n’en pas douter…
18 Euphémisme, soit dit en passant : telles que répertoriées par les meilleurs de nos épidémiologistes, les preuves d’efficacité du vaccin anti-grippal sont « très minces » (Jefferson T, Demicheli V. Influenza vaccination for elderly people and their care workers. Lancet 2007 ; 369(9576):1857-8), tandis qu’on peut toujours s’interroger sur ses effets indésirables…
19 C’est cette intolérabilité qui conduit certaines femmes battues depuis leur petite enfance à « provoquer » les coups – et à s’en vanter (« Oh ! je suis mauvaise et je le cherche bien ») tant il est tristement vrai que le sentiment de passivité devant un danger certain, quoiqu’imprévisible dans son déclenchement, est encore plus insupportable que la douleur physique liée à la réalisation de ce danger.
20 Dans un « chat » daté du 28/08/09 (Libération.fr), le chef du Service de maladies infectieuses de Kremlin-Bicêtre en est encore à justifier une vaccination de masse au nom de « l’intérêt de santé public (sic) ». Le même jour, Libération titre « Du flou dans la stratégie de vaccination » : c’est un euphémisme.
Source: http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article4221