Le Canard enchaîné du 16 septembre 2009 :
« APRÈS « Ushuaïa » et ses chouettes loopings en « Woopy, l’ULM électrique », Nicolas Hulot nous invite à vivre une nouvelle expérience extrême. Le 7 octobre sort en salle « Le syndrome du “Titanic” », son film. Ou plutôt un interminable discours à la première personne du poète Hulot nous expliquant que la Terre est en train de péter et que la société de consommation consomme vraiment trop. Le tout coproduit par des sociétés garanties Vertes : TF1 et Studio 37, filiale d’Orange, qui feront acte de décroissance en reversant 10 % des recettes à des associations. Un étrange attelage qui ne trouble pas son équipe : « Son discours se radicalise, mais Nicolas reste pragmatique », note un proche du télécologiste.
Coquins de sponsors
Trois sponsors - EDF, la SNCF et la Fondation Bettencourt - ont a aussi allongé 500 000 euros chacun sur un budget total de 5 millions. Rien n’est trop cher pour surfer sur la vague Hulot... à condition de maîtriser la vague. Les sponsors ne sont pas toujours disposés à avaler n’importe quoi. Ils ont « tiqué », par exemple, à la vue du film et « la fin a été modifiée pour être moins catastrophiste », a ton appris, dimanche (14/9), lors de l’émission « Pop com » de Canal Plus. Même pas vrai, s’insurge Hulot : « La seule chose que j’ai changée, c’est l’intonation de trois phrases, plus optimistes, que l’on n’entendait pas assez », explique-t-il au « Canard ». Suffit de le dire bien fort.
Avant de s’éclaircir la voix, Hulot avait rencontré, le 15 juillet à Montparnasse, Bernard Emsellem, le dircom de la SNCF : « Je lui ai fait part de mes remarques », confirme Emsellem au « Canard ». Qu’ils sont embêtants, ces sponsors, à vouloir mettre leur grain de sel...
Hulot a pourtant l’habitude : cela fait vingt ans que sa Fondation est financée par de grands amis de la nature, comme le fabricant d’engrais Rhône-Poulenc, du temps où il existait encore. D’autres ONG Vertes, comme WWF, font pareil, mais leur financement privé est un chouïa plus diversifié. La Fondation Hulot, elle, a quatre grands mécènes. Quatre grands écolos dans l’âme - TF1, L’Oréal, EDF et Ibis crachent chacun 500 000 euros par an et fournissent, à eux seuls, près de la moitié des recettes (44 % en 2008). En échange, TF1, L’Oréal et EDF siègent au conseil d’administration. Et n’y font pas que de la figuration : Hulot a ainsi été prié d’atténuer un peu ses propos catastrophistes quand il parle au nom de la Fondation. « [Les mécènes] nous l’ont dit, ils ne veulent pas que la Fondation soit associée à une vision trop apocalyptique », rapporte un collaborateur de l’animateur.
En 2008, pour la première fois, les comptes ont viré au rouge. Il a manqué 314 000 euros pour boucler le budget de la Fondation, qui a embauché cinq salariés pour suivre le Grenelle de l’environnement et acheté son siège en 2006 : 400 m2 (plus 300 m2 en location) dans un immeuble moderne de Boulogne- Billancourt.
Heureusement, Hulot a l’esprit ouvert : c’est le seul écolo qui ne soit pas contre le nucléaire, même s’il n’est pas favorable à l’EPR. Et il ne voit aucun obstacle à faire appel, pour « diversifier le financement », aux piles Duracell ou aux Autoroutes du Sud de la France (ASF) : « Je suis contre la construction de nouvelles autoroutes, mais on ne va pas détruire celles qui existent déjà. »
Produits à la dérive
Pro du grand écart, l’animateur a déjà frôlé le claquage. En 2006, TF1, la chaîne de Martin Bouygues-le-meilleur-ami-de-Sarko, le somme de renoncer à son projet de candidature à la présidentielle. Hulot prépare ses cartons et renonce à son salaire pendant deux mois. Dur sacrifice : il est alors - encore aujourd’hui - payé 30 000 euros par mois pour trois ou quatre « Ushuaïa » par an.
Depuis, tout le monde s’est calmé au nom d’intérêts bien partagés. « Ushuaïa » cartonne et la marque, qui appartient à TF1, rapporte plein de pépettes en produits dérivés. Il y a des lunettes Ushuaïa et même un écologique Peugeot tout-terrain Ushuaïa. Sans compter les gels douche L’Oréal-Ushuaïa, accusés, en 2006, de contenir des produits cancérigènes... L’épisode avait beaucoup fait « souffrir » l’animateur, mais le pauvre n’a pas son mot à dire. Il ne fait qu’empocher les royalties : 5,25 % des droits, soit plus de 700 000 euros brut par an, qu’il reverse en partie à sa fondation. « Attention : sur le Peugeot, je ne touche rien, car TF1 a été payé en spots de pub ! », s’écrie Hulot. Trop dure, la vie de télécologiste... »
Isabelle Barré