Avec son aimable autorisation, L'IEESDS reproduit ici un article du journal La Décroissance paru en décembre 2008.
On pourrait écrire tout un livre sur François Lemarchand, ex-pédégé de Pier Import et fondateur de Nature & Découvertes. Il fait partie des entrepreneurs capitalistes qui réussissent à se faire passer pour écolos. À la tête d’une fortune de 60 millions d’euros, il pérore sur la « sobriété heureuse » avec les militants du développement durable. Une carrière d’écotartufe assez magistrale.
Êtes-vous déjà entré dans un magasin Nature & Découvertes ? « Faire redécouvrir la nature à des populations citadines », tel est le but affiché de ces magasins, toujours situés dans les artères les plus commerçantes des villes. En fait de nature, on découvre surtout un ensemble de gadgets inutiles made in China, du style libellule en plastique branchée sur un capteur solaire, guirlande de branches de cerisier lumineuse, vaporisateur d’eau de mer, etc. Nature & Découvertes pourrait en remontrer à Nicolas Hulot et à son business Ushuaïa : on y trouve tout ce que l’Occidental en mal d’exotisme acquiert pour se croire proche des peuples du Sud – savon d’Alep, huile marocaine, pierre d’alun, thé indien... On y trouve une librairie avec des titres écologistes mais uniquement positifs : « 365 idées de bonheur pour l’année », « Agenda des petits bonheurs », etc. Tout y est « ethnique » et « authentique », le magasin pue l’encens, une musique doucereuse façon « les voix des Andes » est diffusée jusqu’à écœurement. Le fondateur de Nature & Découvertes est le pédégé François Lemarchand. L’homme a de l’expérience dans le business vert : c’est lui qui est à l’origine du succès des magasins Pier Import (une sorte de Ikea à la sauce Max Havelaar).
François Lemarchand a tout d’un patron moderne : avec ses 65 magasins Nature & Découvertes certifiés Iso 14001 à travers la France, il concilie croissance et écologie. Il est ainsi devenu le chouchou des médias et du ministère de l’Écologie. Il a tout pour leur plaire. Déjà, nous sommes entre gens bien : formé à l’ESCP, « une des écoles de management les plus prestigieuses d’Europe », et à Harvard, François Lemarchand commence sa carrière aux États-Unis. Écolo, certes, mais ni triste sire, ni adepte du « gagner moins » : selon le classement 2008 du journal Challenges, François Lemarchand est aujourd’hui la 491e fortune française, à la tête d’un capital personnel de 60 millions d’euros. Son entreprise génère, elle, un chiffre d’affaires de 175 millions d’euros. Commentaire de Challenges : « Le fondateur de Pier Import (revendu en 1988) possède, entre autres, 79 % de ce très rentable distributeur “écolo”. »
Fortune personnelle de François Lemarchand. Serait-elle indexée sur le réchauffement climatique ? (source : Challenges.fr)
En tant que grand maître du greenwashing, François Lemarchand est invité à toutes les conférences sur le développement durable. Il a lui-même lancé, en collaboration avec le journal économique Les Échos, un grand raout vert intitulé « Université de la Terre ». Ces rencontres annuelles ont comme ambition de « réconcilier équilibre écologique et progrès économique ». Dans le dossier de presse de l’édition 2008, l’objectif est clair : « éviter les débats stériles qui voient s’affronter partisans et opposants au progrès » et montrer que « la révolution écologique peut créer de la richesse ». Pour cela, il invite le 18 octobre dernier tout un gratin mondain rompu à ce genre de rhétorique. Dans les fauteuils cossus de l’Unesco à Paris se sont ainsi succédé à la tribune tout ce que le développement durable a généré de gourous New Age, de philosophes vendus, de politiciens malins, de patrons cyniques et de petits soldats du développement durable*. Dans le désordre : Patrick Viveret, Jean-Marie Pelt, Luc Ferry, Michel Maffesoli, Joël de Rosnay, Yves Paccalet, Jean-Louis Borloo, Jacques Attali, Jean-Christophe Rufin, Corinne Lepage, Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet, Pierre Radanne, Geneviève Ferone (Veolia), Élisabeth Laville, Serge Orru (WWF), et bien sûr Yann Arthus-Bertrand et Nicolas Hulot… Bref, l’« Université de la Terre », c’est un peu le sommet de l’écotartuferie.
Ce qui est gênant dans cette histoire, ce n’est pas qu’un patron comme François Lemarchand ait envie de se faire passer pour écolo, c’est que des personnes sincères comme Pierre Rabhi mais aussi Albert Jacquard et Yves Cochet se soient également rendues à ces conférences. Leur présence adoube ce capitaliste et lui permet de faire grossir sa fortune en toute bonne conscience. L’Université de la Terre est sponsorisée par les cabinets d’audit KPMG et Bureau Veritas, dont la vocation est de réduire les coûts dans les entreprises. Mais nous sommes sûrement des personnes obtuses qui ne comprennent pas que les capitalistes peuvent sauver la Terre.
Pour parfaire son image, François Lemarchand reverse une partie de ses bénéfices à une fondation qu’il a lui-même créée : la « Fondation Nature & Découvertes » (original, non ?). Celle-ci finance des projets écolos en France et à travers le monde, avec toute la bonne conscience des Blancs qui apprennent aux Noirs comment il faut vivre. Aussi à Pointe-Noire (Congo), grâce aux consommateurs de Nature & Découvertes, a été créé « un programme d’éducation environnemental à destination d’un public que les difficultés de la vie quotidienne rendent peu soucieux de la fragilité de leurs ressources naturelles » (Bilan 2006). Heureusement que la 491e fortune française s’occupe d’apprendre aux pauvres Congolais à ne pas jeter leur papier par terre !
Surtout ne pas arrêter de consommer
Dans le livre béni-oui-oui 80 Hommes pour changer le monde**, qui valorise des « initiatives concrètes du Développement Durable », François Lemarchand est décrit ainsi par les jeunes auteurs : « L’air étonnamment décontracté pour un patron de distribution dans le marasme actuel, François Lemarchand nous a accueillis dans ses locaux de Toussus-le-Noble. Le lieu est à son image, chaleureux et naturel, et derrière lui se dresse une imposante étagère de bois exotique aux nombreux petits tiroirs. » Patron cool, barbe blanche, taille mince, François Lemarchand veut casser l’image du « capitalisme ventripotent », comme le résume Pierre Vallet, membre du Club-Horizon, le 24 janvier 2008 à l’occasion du petit déjeuner mensuel où le pédégé est invité. Ce club « rassemble une centaine d’entrepreneurs, cadres dirigeants d’entreprises privées et publiques et de hauts fonctionnaires trentenaires, jeunes décideurs à haut niveau de responsabilités (…) et bénéficie du soutien de l’agence conseil en communication Publicis Consultants et du cabinet d’audit Pricewaterhouse Coopers. » Le discours de ce matin-là, prononcé par Pierre Vallet, a été filmé. Il est très intéressant.
Pierre Vallet, entrepreneur et candidat pour le Nouveau Centre aux dernières élections municipales du XIVe arrondissement de Paris, distingue trois sortes d’écolos : d’abord les politiques « avec des résultats électoraux aussi ridicules que leur coiffure », puis les aventuriers, YAB et Nicolas Hulot « qui nous montrent la nature et sa beauté », enfin une dernière espèce : les patrons tel François Lemarchand, qui font du business vert. Les magasins Nature & Découvertes, précise l’orateur, ne font « pas ou peu de publicité ». Pierre Vallet ajoute aussitôt : « Je rassurerai tout de suite mes amis de Publicis ; ne jouons pas avec les mots : si N&D ne fait pas de publicité, elle n’en est pas moins rompue au marketing, l’objectif reste bel et bien de vendre, de faire consommer. » Les publicitaires présents ce matin-là sont rassurés…
Mais laissons la parole à François Lemarchand lui-même. Pourquoi fait-il de l’écologie ? Dans le journal Les Échos (7-10-2008), il répond : « Aujourd’hui, les chefs d’entreprise ont conscience des opportunités du développement durable. Il ne s’agit pas de revenir en arrière ou d’arrêter de consommer. Rares sont cependant ceux qui ont compris le véritable potentiel de la révolution écologique. Paradoxalement, ce sont les grands groupes industriels, longtemps dépeints comme des ogres, qui ont le plus avancé, car ils ont chez eux des personnes qui réfléchissent au futur. » Au futur de leurs affaires, les grands groupes industriels y pensent, n’en doutons pas.
Sophie Divry
La Décroissance, décembre 2008
*Voir « Les 10 commandements de Dédé », dans le numéro précédent, La Décroissance n° 54.
** Sylvain Darnil, Mathieu Le Roux, 80 hommes pour changer le monde, éditions JC Lattès, 2005 ; voir aussi « Jeunes, blancs, riches et dangereux », dossier Casseurs de pub 2008 « Les écotartufes ».
Source : http://www.decroissance.org/?chemin=textes/lemarchand