Entretien avec Simon Charbonneau
:Propos recueillis par Emma Saint-Genez
« Sud Ouest ». Beaucoup de candidats aux municipales mettent en avant le développement durable. Que pensez-vous de cette notion ?
Simon Charbonneau. Je fais partie de ceux qui soulignent le caractère contradictoire de ce concept. C'est un oxymore. L'obscure clarté du développement durable ! L'expression veut tout dire et son contraire et cette ambiguïté explique qu'elle peut être captée par tout le monde, et en particulier par ceux qui ont des responsabilités et développent pourtant une politique qui détruit notre environnement.
Quelle volonté décelez-vous derrière l'utilisation de cette notion ?
Celle de ne pas poser les problèmes comme ils doivent l'être. À savoir qu'une croissance économique ne peut être infinie et qu'elle rencontre forcément des limites environnementales. On parle actuellement de l'envolée du prix du pétrole et des matières premières. Parce qu'il y a une surconsommation et en parallèle des ressources limitées. En théorie, le développement durable combine les paramètres de l'économie, de l'environnement et du social. Or, en fait, le développement économique ne peut se faire qu'au détriment des deux autres sphères. Le concept qui doit plutôt être mis en avant est celui d'équilibre durable entre les trois pôles.
Selon vous, « l'Aquitaine est dans l'impasse libérale » pour reprendre le titre de votre exposé ?
Oui, la région est en plein libéralisme économique. Il n'y a qu'à voir les échanges économiques tous azimuts. Ces camions qui viennent du sud de l'Espagne où les gens sont exploités pour aller livrer dans le nord de l'Europe des légumes qui n'ont pas de goût. Le président de la Région Alain Rousset est dans la lignée « Continuons comme avant ». Il est pour le développement économique durable ! D'un côté, on affiche un plan climat régional, des agendas 21. De l'autre, on dépense des millions d'euros pour de grandes infrastructures comme l'autoroute Langon-Pau qui ne sera pas rentable, la LGV alors qu'il suffirait de moderniser les voies existantes, ou l'élargissement de la Nationale 10 à deux fois trois voies. Or, plus on crée des infrastructures, plus on appelle le trafic. On continue à faire ce que l'on faisait il y a trente ans et qui nous mène dans le mur. Rousset et Juppé se disputent les sièges mais sont sur la même ligne.
Il y a quand même une prise de conscience des enjeux non ?
Oui. Mais il y a un énorme fossé entre les paroles et les actes. Il faudrait moins de communication et plus d'informations sérieuses. Grenelle par exemple est une arnaque complète ! Il faut d'abord un changement de mentalité et de culture politique. Mais c'est vrai qu'il y a une dizaine d'années encore, ces questions étaient complètement occultées. Dans les années 80, je voyais bien les sourires en coin dans mes cours et mes conférences. À l'époque, on se faisait traiter de catastrophiste, René Dumont avec son verre d'eau passait pour un original (1) et on nous reprochait de vouloir revenir au Moyen Âge. On comprend aujourd'hui que ceux qui ont tiré la sonnette d'alarme étaient au contraire à l'avance. Maintenant, il faut passer aux actes et changer de mode de vie.
Quels sont ces actes ?
Cela commence chez soi. Ne pas utiliser les transports aériens, sauf nécessité, parce qu'ils consomment beaucoup d'énergie et émettent des gaz à effet de serre. Privilégier le train et les consommations locales. Pas la peine d'acheter des fruits qui viennent du bout du monde. Limiter sa consommation d'eau sans pour autant renoncer à se laver ! Il ne faut pas être dogmatique !
Et au niveau de l'action publique ?
Les départements, communes et régions doivent valoriser les transports publics. En 1914, il y avait une gare à Montfort. La desserte du territoire était beaucoup plus fine qu'elle ne l'est maintenant. Il faut d'une manière générale éviter la création de nouvelles infrastructures et plutôt moderniser l'existant. Depuis les Trente Glorieuses, nous avons pris un chemin qui nous mène dans une impasse. C'est comme en montagne : quand on s'est égaré, il faut avoir le courage de revenir en arrière pour prendre un autre chemin.
(1) premier candidat écologiste à l'élection présidentielle de 1974.
Simon Charbonneau est Professeur de Droit de l'environnement à Bordeaux IV
Source : Sud-Ouest le 25 février 2008