Journal SUD OUEST Dimanche 1 mars 2009
TELEPHONIE MOBILE. L'arrêt de la cour d'appel de Versailles marque un tournant. Un « Grenelle des antennes » se tiendra le 19 mars prochain. A Saint-Pierre-d'Irube, le collectif attaque, tandis que le scientifique Pierre Le Ruz se bat pour que les dangers de la téléphonie mobile soient publiquement exposés
La fronde contre les antennes relais se généralise
Pierre Le Ruz, biophysicien, plaide pour que l'on donne les moyens aux gens de se protéger.
Ce n'est pas la première fois que la justice contraint un opérateur de téléphonie mobile à démanteler une antenne relais. Mais jamais jusqu'à présent une décision de cette nature n'avait suscité un tel écho. L'arrêt rendu au début du mois de février par la cour d'appel de Versailles au détriment de Bouygues Télécom entre en résonance avec une irrésistible montée des appréhensions dans l'Hexagone. L'exposition aux micro-ondes pulsées par ces stations commence à faire peur.
La fronde contre les pylônes métalliques se focalise essentiellement autour des établissements scolaires. Elle mobilise plusieurs centaines de collectifs dans différents départements. Le chiffre peut paraître ridicule au regard des 47 000 antennes relais disséminées sur le territoire. Mais le phénomène commence à être pris au sérieux par les professionnels, manifestement inquiets à l'idée d'être bientôt ensevelis sous une avalanche de recours judiciaires.
Risque de tumeur
En 2001, l'Organisation mondiale de la santé a lancé dans treize pays européens une étude auprès de milliers de patients atteints de tumeurs à la tête. Ses résultats n'ont toujours pas été publiés, les scientifiques ne parvenant pas à se mettre d'accord sur les effets nocifs de l'usage du portable. D'autres enquêtes menées notamment en Suède et en Grande-Bretagne ont malgré tout pointé l'apparition d'un risque sanitaire au bout d'une décennie d'utilisation quotidienne. Mais les experts divergent sur le seuil à ne pas dépasser : onze minutes pour les uns, trois quarts d'heure pour les autres. En revanche, selon les autorités scientifiques, aucun programme de recherche n'a pour l'instant mis en évidence la dangerosité des antennes relais.
Cela n'empêche pas de nombreux riverains de se plaindre de maux de tête, de vertiges, d'insomnies, voire de cancers. « Foutaises », réplique Georges Charpack, le prix Nobel de physique, que la montée de cette « trouille irrationnelle » effare. « Je n'ai pas peur du portable. J'ai peur de me faire renverser par un type qui téléphone au volant », ironise-t-il. La contestation gagne malgré tout du terrain. Nathalie Kosciusko-Morizet, la secrétaire d'État au Développement de l'économie numérique, a dû se résoudre à organiser le 19 mars prochain un « Grenelle des antennes ». Le signe d'une inflexion. Jusqu'à ce jour, le ministère de la Santé soutenait que les populations vivant à proximité des antennes ne couraient aucun danger.
Tournant
Confrontés à une forte résistance sur le terrain, Orange, SFR et Bouygues patientent souvent de deux à trois ans avant de pouvoir accrocher leurs antennes. Forts des observations de l'Organisation mondiale de la santé qui réfute l'existence du moindre péril, les opérateurs obtiennent depuis des années gain de cause devant les tribunaux administratifs. Les délibérations prises par les maires pour bannir l'implantation des pylônes à proximité des habitations sont régulièrement annulées pour excès de pouvoir. Le motif invoqué ne varie pas : la santé publique n'est pas en jeu.
En changeant de stratégie et en saisissant les juridictions civiles, les opposants ont fini par ouvrir une brèche. L'arrêt de la cour d'appel de Versailles marque vraisemblablement un tournant. Bouygues doit avant tout démonter sa station de Tassin-la-Demi-Lune pour avoir occasionné un « trouble anormal de voisinage » à trois couples de riverains. Sans aller jusqu'à reconnaître l'imminence d'un risque sanitaire, la justice a franchi un pas en jugeant qu'aucun élément ne permettait d'« écarter péremptoirement » l'impact sanitaire d'une exposition aux champs électromagnétiques.
Question de normes
En 2007, le rapport Bio Initiative signé par plusieurs chercheurs internationaux a conclu à l'existence d'un lien possible entre rayonnements et diverses pathologies. Ses auteurs ont surtout préconisé l'abaissement des normes d'exposition à 0,6 volt par mètre. Seuil en dessous duquel il y a unanimité pour dire que le risque disparaît. Il y a quelques mois, le Parlement européen a reconnu que les normes en vigueur sur le Vieux Continent étaient obsolètes. Dix-sept pays, dont la France, sont concernés au premier chef. Ils tolèrent des valeurs limites de 41 volts par mètre.
Ce niveau de pollution électromagnétique s'observe surtout en sortie d'antenne. Après, il chute. Tout dépend alors de la distance de la source émettrice, de la fluctuation de puissance en fonction des pics de communication et du nombre d'antennes sur le site. Reste que les mesures sont aujourd'hui sujettes à caution. Par le passé, des experts nationaux ayant conclu à l'innocuité des antennes relais étaient liés aux majors du mobile. Aujourd'hui, en cas de contestation, les relevés sont la plupart du temps effectués par des techniciens rétribués par les opérateurs.
Personne ne voulant renoncer à son portable, la solution d'apaisement consisterait à brider la puissance des antennes, quitte à augmenter leur nombre. Une éventualité qui hérisse Orange, SFR et Bouygues. Même si le trio ne connaît pas la crise, il sait que sa rentabilité repose sur la capacité à développer des transmissions de données riches en images et en son. Et donc sur des connexions à haut débit et des émissions d'ondes à haute fréquence. Il n'y a pas d'autre façon d'engranger du « cash ». Au risque de courir au clash !
Un site répertorie toutes les antennes
Si vous voulez savoir où se situent les antennes près de chez vous, il suffit de consulter le site www.cartoradio.fr développé par l'Agence nationale des fréquences, à la demande du ministère de l'Industrie.
À Saint-Pierre-d'Irube, le collectif d'Ametza ikastola et des riverains du quartier d'Ametzondo passe à l'attaque. Après avoir tenté auprès de deux opérateurs une négociation amiable, 22 familles ont décidé il y a quelques jours de porter l'affaire devant le tribunal de Bayonne. Elles l'ont saisi collectivement pour trouble anormal du voisinage, afin de demander le déménagement de deux antennes, installées sur des terrains privés situés sur une hauteur en plein village. À quelques mètres seulement de deux maisons et à 56 et 82 mètres de l'ikastola, l'école maternelle et primaire en langue basque.
Ce sont justement les parents d'élèves qui ont sonné l'alarme lorsqu'ils ont vu, il y a quelques mois, une seconde antenne être installée à proximité de l'école. « La prudence voudrait que ces antennes se situent à plus de 100 mètres des enfants. Nous avons entrepris des démarches auprès des propriétaires des terrains tout d'abord, puis de la mairie, déjà en litige avec les opérateurs, et auprès des opérateurs eux-mêmes », confient Christine Brillaxis et Sarah Lespielle, deux mamans dont les enfants sont scolarisés à l'ikastola.
Onze cancers
« Nous avons fait faire des mesures notamment par le Criirem (NDLR : Centre de recherche et d'information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques). Le Criirem souligne que la puissance relevée est celle qui a également été enregistrée à proximité de l'école Bizet de Saint-Cyr-l'École, où a été observé un agrégat de 11 cancers chez les élèves », soulignent, inquiètes, les deux mères de famille. « Or, les opérateurs se réfugient derrière la norme française pour refuser toute modification au motif qu'ils sont dans la légalité. Mais, depuis quelques semaines, la situation a évolué : des scientifiques préconisent une puissance de 0,6 volt par mètre pour protéger la santé des riverains. Cette puissance a d'ailleurs été reprise par le rapport bio-initiative établi à partir de 1 500 études effectuées à travers le monde. Ce rapport reconnaît les dangers des rayonnements électromagnétiques et dresse la liste des maladies qui peuvent en découler. »
Par mesure de précaution, la classe de maternelle la plus exposée a déjà été déménagée.
Neuf antennes qui font fuir parents et enfants
À Sanguinet (40), neuf antennes surplombent le groupe scolaire, dont certains enfants ont été retirés par leurs parents inquiets et membres du Collectif école sans antennes. Celles-ci pourraient être déplacées.
Chantal Jouanno contre l'usage du mobile par les enfants
Vendredi, la secrétaire d'État à l'Écologie s'est dite « favorable à l'interdiction du mobile pour les petits parce qu'ils sont en phase de développement » et pour l'obligation de « l'usage de l'oreillette pour les moins de 12 ans ».
Bouygues Télécom a réagi de façon très prudente après l'annonce de la décision de la cour d'appel de Versailles, confirmant un jugement du tribunal de Nanterre au sujet d'une antenne de Tassin-la-Demi-Lune (Rhône).
L'opérateur s'est simplement déclaré surpris par ce texte qui contredit, note-t-il, la jurisprudence permanente du Conseil d'État et les précédents arrêts de cours d'appel. Il estime que cette affaire place les pouvoirs publics devant leurs responsabilités et qu'il leur revient de prendre position.
Tous les opérateurs, on s'en doute, suivent ce dossier avec intérêt dans la mesure où ils considèrent que c'est leur activité même qui est en jeu.
L'Association française des opérateurs mobiles (Afom), qui rassemble une douzaine d'opérateurs, dont les trois principaux, a exprimé sa « surprise » et sa « perplexité ».
Elle se retourne elle aussi vers les pouvoirs publics. Elle attend qu'ils s'expriment « clairement et fortement sur le sujet des antennes relais et de la santé ».
Elle insiste sur le fait qu'en l'absence d'une telle clarification, ses adhérents pourraient se trouver confrontés à l'impossibilité de « remplir leurs obligations de déploiement des réseaux mobiles fixées par l'État, dans les licences, au bénéfice des 56 millions d'utilisateurs sur l'ensemble du territoire, et ce malgré un strict respect de la réglementation ».
Troisième opérateur mobile français, Bouygues Télécom revendique plus de 9,3 millions de clients et 8 000 collaborateurs.
« Un délire technologique »
Le professeur Le Ruz se bat pour que les dangers de la téléphonie publique soient publiquement débattus
Docteur en physiologie, biophysicien, professeur émérite des universités, Pierre Le Ruz est un des fondateurs du Criirem (Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques). Basé au Mans, cet organisme à statut associatif regroupe des scientifiques qui souhaitent dispenser sur les phénomènes électromagnétiques une information délivrée des lobbies. Pierre Le Ruz est expert agréé par les autorités européennes depuis 1997.
Où en est-on de la réglementation en matière de téléphonie mobile ?
Vous avez une réglementation qui concerne les perturbations sur les appareils : les ordinateurs, l’électroménager, mais aussi les pacemakers ou les distributeurs de médicaments par exemple. Une directive européenne de 1989, revue en 2004 et traduite en droit français par un arrêté de 2006, impose une norme à ne pas dépasser de trois volts par mètre. En matière sanitaire, le Parlement européen a souhaité légiférer sur les effets à long terme de toutes les fréquences radioélectriques – radio FM, AM, Cibi, téléphonie mobile etc – pour poser une norme d’un volt par mètre. La Commission européenne, elle, n’a voulu prendre en compte que les seuls effets aigus, fréquence par fréquence. Vu ce désaccord, il n’y pas eu de directive européenne mais de simples recommandations. Le Parlement s’est ensuite fondé sur une énorme étude, le rapport « Bio Initiative » élaboré par des chercheurs internationaux, pour constater que les normes étaient complètement obsolètes. Il y a une résolution en ce sens datée du 4 septembre 2008. Depuis lors, nous sommes dans une situation de vide juridique. La loi française de 2002 s’appuie sur des recommandations européennes rayées par cette résolution de l’instance parlementaire. Il faut tout revoir.
Dans le vide juridique que vous décrivez, sur quoi peut-on se baser ?
Sur la norme de trois volts par mètre, le seuil de l’incompatibilité électromagnétique. Tout ce qui va au-delà est illégal. Sur le plan sanitaire, soit on applique le principe de précaution, soit – comme le fait le Parlement européen - on prône un principe de prévention. La solution réside dans l’éloignement, à savoir l’exposition la plus faible possible à condition que les téléphones puissent continuer à fonctionner. Ce qui pose problème, ce sont les antennes de téléphonie mobile fixées à vingt mètres des gens ou carrément sur leurs fenêtres ou derrière le mur de leur chambre.
Dans ces cas-là, quelle est l’intensité de l’exposition aux ondes électromagnétiques ?
Ca dépend de la puissance de l’antenne, de votre distance à l’antenne et de votre position par rapport au faisceau. Dans un dossier sur lequel nous sommes intervenus à Rennes, les gens étaient à vingt mètres en face d’une antenne de 20 watts, ils recevaient 6 volts par mètre. On était dans l’illégalité. A Paris, une charte entre la ville et les opérateurs de téléphonie mobile limite l’exposition à 2 volts par mètre en moyenne. Si l’on mesure plus, les opérateurs s’engagent à démonter l’antenne.
Est-il plus dangereux de vivre à 50 mètres d’un relais de téléphonie mobile ou d’avoir en permanence un téléphone portable collé à l’oreille ?
Une remarque liminaire : si vous avez un portable, vous êtes dans le registre du risque accepté. De plus, vous avez opté ou non pour un portable de qualité, c’est votre choix. Vous pouvez posséder un appareil de qualité qui vous expose à une dizaine de volts par mètre à chaque fois que vous téléphonez, et seulement quand vous téléphonez. S’il est de mauvaise qualité, c’est 30 volts par mètre. Une antenne à proximité, c’est au contraire un risque imposé. Si l’antenne fonctionne en permanence et que vous êtes en face, c’est entre 4 et 10 volts par mètre de manière constante. Ce n’est pas le même type de problème.
Connaît-on mieux les effets sur la santé ?
Le rapport « Bio Initiative » fait le point sur deux mille études menées sur le sujet depuis vingt ans. Le premier volet, sur l’usage du téléphone portable, n’est toujours pas publié. On en connaît pourtant les résultats. Vous avez deux principaux risques. D’abord le gliome, la tumeur du cerveau, dont l’occurrence est multipliée par trois ou par quatre en fonction de la durée d’exposition. L’autre risque est le neurinome, une tumeur du nerf auditif. L’exposition chez le sujet jeune est plus risquée. Il ne faudrait pas laisser les enfants de moins de quinze ans utiliser des portables. Et surtout pas des babyphones. Le deuxième volet, celui de l’exposition aux antennes de téléphonie mobile, fait apparaître le risque de syndrome des micro-ondes, bien connu des militaires. Car on se retrouve dans le registre des rayonnements pulsés, ce qui était le cas des fréquences radar autrefois. Ce sont des troubles du comportement, du sommeil, de l’agressivité, de la mémoire etc. A l’examen, on se retrouve avec des gens qui ont dans le sang des taux anormalement bas de mélatonine ou d’adrénaline, ou au contraire des protéines de stress en nombre trop important. Ce sont des perturbations hormonales. On va aussi dépister des troubles immunitaires, avec une quasi-disparition des lymphocytes T, ceux qui protègent l’organisme. Et des apparitions de leucémies et de cancers du cerveau.
Pourquoi parle-t-on du danger de la téléphonie mobile alors que nous sommes baignés par les ondes ?
D’abord le niveau ! Dans l’environnement urbain, les ondes radio – AM et FM – la Cibi comme les ondes de la télé hertzienne vous exposent à des intensités de l’ordre de 0,2 à 0,4 volt par mètre. Ce sont aussi des ondes de nature différente. Elles ne sont pas pulsées, elles ne sont pas modulées comme les ondes de la téléphonie mobile, qui sont reconnues plus dangereuses. D’autres appareils domestiques peuvent poser problème, comme les fours à micro-ondes. Mais combien de temps le faites-vous fonctionner chez vous ? Et à quelle distance de vous ? Le wi-fi pose également question, pas vraiment votre wi-fi personnel mais plutôt les systèmes professionnels qui crachent sans arrêt 4 ou 5 volts par mètre. On entre en fait dans un délire technologique dépourvu de gestes de protection. Le téléphone portable n’est pas un outil anodin. Si on l’expliquait aux gens, ils pourraient se protéger. Il n’est pas question de supprimer le portable. On sait que le gaz n’est pas anodin et il n’a pourtant jamais été question de supprimer le gaz ! Il faut une prise de conscience de l’opinion qui pousse les opérateurs à éviter de faire n’importe quoi. A placer une antenne sur une tour à 300 mètres d’un village plutôt que de l’installer devant les fenêtres des habitants. Mais c’est toujours le même refrain, on attend les catastrophes pour agir.
Richard Picotin
jean-denis renard
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