Le renversement de tendance de la croissance forestière résultant du changement climatique, pourrait compromettre l’ambitieux projet E-cho de Lacq.
23 FéV. 2024 - 17:40h
Jacques Descargues
À l’initiative de l’entreprise Elyse Energie, un très ambitieux - et séduisant - projet industriel de décarbonation a été initié dans les Pyrénées-Atlantiques, sur le site industriel de Lacq. Concrètement, le projet a pour finalité de produire des énergies bas carbone pour le transport maritime et l’aviation. La concertation préalable concernant le projet E-cho vient de se terminer. Une enquête publique sera lancée courant 2024. La concrétisation industrielle serait pour 2027. Le coût du projet est estimé à 2 milliards d’euros hors taxes.
La concertation préalable, pilotée par la Commission nationale du débat public (CNDP) a bien présenté les technologies à mobiliser ainsi que la répartition et les fonctions des trois entités industrielles mais elle n’a toujours pas répondu à deux questions essentielles : l’eau et la biomasse indispensables à la production de ces nouvelles sources d’énergie sont-elles, ou non, disponibles sur le territoire ? Car pour produire ces nouvelles énergies sur le site industriel de Lacq, encore faudrait-il disposer des grands volumes d’eau et de biomasse indispensables au processus industriel. Le dossier du projet précise qu’il faut annuellement disposer d’une ressource en eau évaluée à 7,7 millions de m3 et d’une ressource en biomasse évaluée à 5500000 tonnes. Si ces ressources se révélaient indisponibles, la pertinence et la crédibilité du projet seraient à remettre en cause.
À ce jour, la concertation préalable n’a pas permis d’obtenir de réponses claires. Concernant l’eau qui serait prélevée dans le Gave de Pau, le projet compte sur des économies à réaliser sur les consommations actuelles de l’agriculture, de l’eau potable et de l’eau consommée par l’industrie. C’est un vaste programme, un pari ? Et ce n’est pas gagné d’avance. Nous attendons donc que le projet E-cho présente des scénarios crédibles. Surtout dans le contexte de l’aggravation des crises climatiques.
Concernant la biomasse, la situation est encore plus con-fuse. Le dossier de concertation, les fiches thématiques, les premières réponses esquissées ne permettent pas de comprendre où et comment le projet va pouvoir, durablement, trouver un tel volume de biomasse. Ou plutôt, on comprend bien que le projet compte sur la soit-disant disponibilité en biomasse forestière provenant des forêts du massif aquitain et pyrénéen, voire des forêts d’Occitanie ou même de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
Or les récentes études publiées en 2023 sur la situation des forêts françaises confirment que celles-ci sont entrées dans une période de crise grave. C’est un véritable renversement de tendance qui est en cours sous l’effet délétère du changement climatique. Dans un premier temps, au siècle précédent, les forêts ont bénéficié de l’excès de carbone dans l’atmosphère pour accroître leur productivité. Elles ont par exemple augmenté de 50% leur stock de bois en 30 ans tout en permettant un accroissement des prélèvements. Puis, depuis une dizaine d’années, ce processus de croissance s’est ralenti à cause du réchauffement climatique.
L’inventaire national forestier de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), dans son rapport 2023, souligne que depuis dix ans, la croissance de la production de bois diminue. La mortalité des arbres a augmenté de 80 %, les surfaces impactées par les épidémies et les dépérissements sont aujourd’hui équivalentes aux surfaces touchées par les incendies en 35 ans. Il précise que le volume de CO2 fixé par les forêts diminue fortement, il est passé de 83 millions de tonnes en 2018 à 50 millions en 2022 (-40 % en cinq ans).
L’inquiétude des scientifiques sur ce renversement de tendance a conduit l’Académie des sciences à produire un rapport de synthèse spécifique qui confirme ces évolutions et souligne qu’il est maintenant certain que le changement climatique sera responsable d’une baisse de la séquestration du carbone par les forêts. Selon l’Académie, la stratégie bas carbone de l’État doit donc être révisée. Il faut dorénavant privilégier le stockage du carbone dans les produits hors forêt plutôt que dans la forêt elle-même. Le mythique puits de carbone forestier est donc en train de disparaître. L’Académie des sciences conclut (entre autres) concernant le bois-énergie : “En cela, l’augmentation de la ré́colte de bois pour l’énergie issue de la biomasse ligneuse primaire, dans les dix années à venir, pose question”. Elle préconise également une “adaptation de la pratique des coupes rases”.
Quant aux gestionnaires de l’Office national des forêts (ONF), ils constatent que “près de 25 % des forêts publiques sont déjà dégradées à cause des conséquences du réchauffement climatique” et que la tâche qui les attend “peut sembler vertigineuse” pour faire face à ces évolutions.
Dans ce contexte, est-il pertinent de penser que la ressource forestière locale sera au rendez-vous du projet E-cho ? La situation des forêts en Aquitaine et dans les Pyrénées serait-elle différente de la situation inquiétante de la forêt française ? On attend avec impatience les éléments concrets de réponse qui résulteront des études en cours, hélas toujours non disponibles.
Et d’ores et déjà, la multiplication des projets de bois-énergie provoque des tensions entre usagers. En zone rurale, où le bois de chauffage est largement utilisé, les prix explosent, les projets de petites chaufferies collectives communales deviennent impossibles. Est-il socialement juste de faire supporter aux ruraux une baisse de leur pouvoir d’achat et l’accès à leurs ressources naturelles, eau et biomasse, pour satisfaire les besoins en énergie du transport maritime et du transport aérien ?
À ce stade, des informations disponibles et de nos réflexions, ce projet ambitieux et séduisant de production d’énergie bas carbone sur notre territoire pourrait n’être qu’un mirage. Et nous craignons, s’il se réalisait, qu’il devienne un triste éléphant blanc.
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Source: https://www.mediabask.eus/fr/info_mbsk/20240223/projet-e-cho-mirage-ou-elephant-blanc