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9 juillet 2022 6 09 /07 /juillet /2022 10:49

 

 

 

5 juillet 2022 par Erwan Manac’h

Malgré le défi climatique et la hausse des carburants, l’État abandonne le train en sous-investissant dans l’entretien du réseau ferré. Contrer ce démantèlement programmé sera l’une des batailles politiques majeure au sein de la nouvelle Assemblée.

Des trains plus chers, des lignes fermées, des milliers d’emplois en moins : le sombre avenir du ferroviaire français

Nouveau record ! Avec une hausse des fréquentations de 10 % par rapport à l’été 2019, la SNCF prévoit un afflux historique de voyageurs. C’est l’heureux présage d’un changement d’habitudes des Français qui rend atteignable l’objectif que s’est fixé la France de doubler la part du train dans la moyenne des transports d’ici à 2030. Un obstacle demeure : l’absence de volonté politique de la part du gouvernement pour investir dans le train.

En dépit des ambitions affichées, le gouvernement a renoncé à donner à la SNCF les moyens d’affronter le mur d’investissement qui se dresse face à elle. La chasse aux coûts devra s’intensifier, avec des suppressions massives d’emplois et la fermeture des dessertes non rentables. Cette spirale infernale menace de faire péricliter le réseau et fait courir un risque nouveau d’accident, alertent les syndicats de cheminots.

L’ambiance est donc à la consternation dans le milieu ferroviaire, de l’Agence de régulation des transports aux syndicats de cheminots en passant par des parlementaires de gauche comme de droite et les cadres de la SNCF. L’État Français vient en effet d’entériner un véritable abandon du ferroviaire, par le biais du contrat de performance qui le lie pour dix ans à la SNCF, signé en catimini le 6 avril, en pleine période de réserve pré-présidentielle. « Ça ne pouvait pas être pire, on est dans une situation catastrophique », tranche Thierry Marty, ancien responsable de l’Unsa ferroviaire, tout juste retraité.

 

L’avenir des trains quotidiens gravement menacé

Il manque au moins un milliard d’euros par an, soit un tiers de l’enveloppe allouée par l’État, pour contrer le vieillissement du réseau, qui accuse une moyenne d’âge de 29 ans, soit 12 ans plus vieux que les voies ferrées allemandes [1].

L’avenir des trains du quotidien ne tient plus qu’à un fil : l’aide financière des régions

La situation devient critique pour la signalisation, qui n’est plus aux normes européennes et se retrouve en cause dans les trois quarts des défaillances d’infrastructure et donc de retard. Conclusion, consignée noir sur blanc dans le fameux contrat : « Compte-tenu des trajectoires actuelles, un scénario d’investissement permettant de stopper le vieillissement des appareils de signalisation sur [les petites lignes] semble hors de portée. » L’avenir des trains du quotidien ne tient plus qu’à un fil : l’aide financière des régions, qui ne cesse d’augmenter (+45 % depuis 2015).

Des trains plus chers, des lignes fermées, des milliers d’emplois en moins : le sombre avenir du ferroviaire français

Subventions publiques

L’argent abonde plus que jamais dans le ferroviaire, mais cette augmentation est quasi exclusivement le fait des régions (+45 % depuis 2015).

Rapport du Sénat

Avec 2,8 milliards d’euros par an, l’investissement est certes historiquement élevé, mais il est loin de ce qui se fait à l’étranger : 130 milliards sur vingt ans en Italie (plus du double qu’en France) , 85 milliards en dix ans en Allemagne (presque le triple), selon les chiffres martelés par Jean-Pierre Farandou, le PDG de la SNCF, en tournée des plateaux télé ces dernières semaines.

Pire, le plan de performance impose à la SNCF Réseau de trouver l’équilibre dès 2024. Or, le groupe public, déjà dans le rouge avant le Covid, est frappé par une pénurie de composants électroniques et une forte inflation, en particulier sur le prix de l’acier [2].

Des trains plus chers, des lignes fermées, des milliers d’emplois en moins : le sombre avenir du ferroviaire français

Des investissements en baisse

Sur le point crucial de la régénération du réseau, les investissements stagnent depuis 2016, après dix ans d’augmentation. Malgré les énormes défis qu’incarne le train, l’un des moyens de transport le plus sûr et le moins polluant.

Ces deux réalités nouvelles ne sont pas prises en compte dans le contrat de performances. « Les orientations concernant l’activité industrielle de l’entreprise font l’objet d’échanges et d’un dialogue étroit avec l’État », tempère la SNCF Réseau dans sa réponse écrite à nos questions. Son PDG, Luc Lallemand, a néanmoins assuré en interne, selon le média Ville rail transport, que « si l’État n’intervient pas au plus tard en septembre, il faudra diviser le réseau [structurant] en deux parties » et « désinvestir » sur les lignes régionales. Soit les régions seront alors en mesure de compenser ce désinvestissement, soit ces lignes se dégraderont puis fermeront, comme l’illustre la carte réalisée à partir de l’analyse d’un cheminot sur le risque de disparition progressive des lignes moins fréquentées.

Des trains plus chers, des lignes fermées, des milliers d’emplois en moins : le sombre avenir du ferroviaire français

Les lignes SNCF classées par fréquentation

Cette carte donne un aperçu approximatif de ce qu’il resterait du chemin de fer français, si les lignes les moins fréquentées fermaient progressivement faute d’investissement. Voir les explications détaillées ci-dessous.

Basta! avec BB27000

Repère : Les lignes SNCF qui risquent de disparaître

Ironie de l’histoire, ses difficultés sont masquées par la croissance insolente des filiales de la SNCF dans le transport urbain, Keolis, et dans le transport routier, Geodis (respectivement + 32 % et +17 % de chiffre d’affaires entre 2015 et 2019). C’est donc la route qui sauve le rail.

 

Vers une hausse des tarifs...

Pour survivre, dans ce contexte de sous-investissement chronique, la SNCF Réseau devra reporter certains chantiers les moins urgents, comme elle l’a fait durant la crise du Covid. Avec à la clef des liaisons ralenties, les trains circulant de moins en moins vite pour raison de sécurité, ou remplacées par des cars quand elles ne seront pas tout simplement fermées.

Le plan de performance prévoit aussi une augmentation des recettes des péages, que la SNCF Réseau facture à chaque passage de train. Faut-il donc s’attendre à une hausse des prix des billets ? C’est déjà le cas, estime l’Insee, constatant 15 % d’augmentation des prix affichés entre janvier et avril. La réforme de 2018 a, de fait, supprimé le plafonnement des prix des billets de TGV, laissant plus de latitude à la SNCF. Mais l’entreprise avance de son côté une baisse de 7 % du prix « moyen » payé par les usagers, en prenant en compte toutes les réductions.

« Le système libéral est magique : c’est quand les usagers ont le plus besoin du train qu’il devient inaccessible ! »

La concurrence incite en effet les compagnies à mener une politique commerciale agressive, pour segmenter le marché, en rupture avec la notion d’égalité face au service public. Dans cette nouvelle jungle des prix, une hausse générale et brutale des tarifs devrait être évitée, mais « avec le système de tarification de la SNCF, moins il y a de places disponibles plus elles sont chères, résume sur Twitter le Secrétaire général de la CGT cheminots, Laurent Brun. Le système libéral est magique : c’est quand les usagers ont le plus besoin du train qu’il devient inaccessible ! »

Pour rentrer dans ses frais, la SNCF devra trouver d’autres leviers d’économies. « Elle ira voir les maires des communes moyennes et s’ils refusent de payer pour maintenir la desserte, elle diminuera la fréquence des relations et finira par les abandonner. C’est l’attrition inéluctable du réseau », prévient Jean-René Delépine, syndicaliste Sud Rail chez SNCF Réseau.

Elle a aussi commencé à vendre une partie des bijoux de famille, avec sa filiale de location de wagons Ermewa, pourtant très rentable, et cède une partie de son gigantesque patrimoine immobilier. L’État actionnaire exige que ces privatisations continuent à un rythme trois fois plus soutenu qu’aujourd’hui.

La SNCF n’aura pas d’autre choix, également, que d’accélérer son rétrécissement : moins de gares, moins de guichets et surtout moins de cheminots. Le groupe a déjà supprimé 16 000 emplois en dix ans (un cheminot sur dix) et doit encore accélérer, en suivant une recette bien connue : non-remplacement des départs à la retraite, réorganisations constantes pour pousser à la polyvalence et au productivisme, sous-traitance généralisée pour faire table rase des accords collectifs, y compris en passant par des filiales de droit privé créées par la SNCF.

« Chez SNCF Réseau, on va enlever en quatre ans entre 20 et 30 % du personnel dans certains corps de métiers, c’est absolument fou », s’emporte Thierry Marty. « Ça s’est considérablement accéléré, abonde Fanny Arav, administratrice salariée de SNCF Réseau et membre de l’Unsa. On commence à avoir des problèmes de ressources et beaucoup de gens démissionnent, car ils en ont marre de ne pas pouvoir prendre leurs vacances. » L’État et la SNCF comptent notamment sur le remplacement de 2200 postes d’aiguillages par une quinzaine de tours de contrôle numérique (dits de CCR, commande centralisée du réseau) pour supprimer 5200 postes [3]… À condition qu’elle trouve l’argent pour financer cet investissement.

 

La privatisation, solution miracle ?

Pour sauver le rail, le législateur compte sur les effets de l’ouverture à la concurrence, censée provoquer une guerre commerciale qui stimulera tous les acteurs, fera croître la fréquentation des trains et ruisseler l’argent jusqu’aux caisses de la SNCF Réseau. C’est pour tendre vers ce rêve idéal d’un système ferroviaire « financièrement autoporteur » que l’Union européenne a imposé le saucissonnage de la SNCF en plusieurs sociétés anonymes.

Le fret ferroviaire ne représente en 2020 que 9 % du transport de marchandises. Une aberration au regard de la pollution routière et du défi climatique

Les études sont nombreuses, pour vanter les mérites d’un tel modèle. Elles occultent pour la plupart les effets délétères de cette guerre concurrentielle : inefficacité du réseau, surcoûts liés à l’émiettement des compétences, souffrance professionnelle des agents, fin de la continuité du service public pour les usagers. Toutes les analyses convergent sur le constat qu’avec ou sans concurrence c’est avant tout les investissements publics qui garantissent l’efficience d’un réseau ferré.

Le fiasco de l’ouverture à la concurrence du fret a aussi démontré que, quand l’État n’est pas prêt à jouer les grands argentiers en investissant sur le long terme pour que le marché soit rentable, les acteurs privés désertent plus vite que leur ombre. Le fret ferroviaire ne représente en 2020 que 9 % du transport de marchandises, presque trois fois moins qu’il y a quarante ans et deux fois moins que la moyenne européenne. Une aberration au regard de la pollution routière et du défi climatique.

Un mauvais remake de ce scénario à l’échelle du transport de voyageurs est désormais probable. C’est l’Autorité de régulation des transports, le gendarme du marché, qui le dit dans un avis de février 2022 : « Le risque est d’entraîner SNCF Réseau dans une spirale de paupérisation industrielle où le sous-investissement conduirait à une dégradation du réseau, qui entraînerait à son tour une attrition du trafic et des ressources du gestionnaire d’infrastructure. » On constate en tout cas que les concurrents de la SNCF - pour l’essentiel, des filiales de groupes publics de nos voisins européens - ne se bousculent pas pour venir « disrupter » le marché français, alors même qu’ils bénéficient d’une importante ristourne sur les péages (37 % la première année, 16 % la deuxième et 8 % la troisième).

 

 « Le sous-investissement ne peut que conduire à la catastrophe »

Ce cocktail doit-il nous inquiéter quant à la sécurité ferroviaire ? Les langues, d’ordinaires plutôt mesurées sur ce sujet sensible, se délient. « Le sous-investissement ne peut que conduire à la catastrophe, voire à une série de catastrophes. C’est la seule chose qui pourra interrompre la spirale infernale », s’alarme Thierry Marty.

La SNCF assure qu’elle ne fait aucune économie sur la maintenance. La prise de conscience du délabrement des voies a entraîné une réaction au tournant des années 2010. Mais le procès de la catastrophe de Brétigny-sur-Orge (Essonne), qui a fait sept morts et 400 blessés en 2013, vient de se clore sur un constat inquiétant quant aux conséquences de la chasse aux coûts. Dans son réquisitoire très sévère envers la SNCF, le parquet a pointé « une politique délétère des ressources humaines » et « la lente dégradation des conditions de travail » des cheminots [4].

Avec l’ouverture à la concurrence et la fin du statut de cheminot, c’est une certaine culture de la sécurité qui se perd, craint également Nicolas Spire, sociologue du travail au sein du cabinet Aptéis et auteur d’un rapport sur la catastrophe ferroviaire. Alors que la sous-traitance risque d’entraîner une déresponsabilisation de chacun. « La remontée des signaux faibles par les agents, les alertes qui viennent du terrain : cette sécurité-là va disparaître et ça c’est très embêtant », s’inquiète le sociologue.

 

La bataille du rail se jouera, peut-être, à l’Assemblée

Le Parlement devrait donc être le terrain d’une bataille (politique) du rail. L’Assemblée fraîchement élue comporte plusieurs connaisseurs du ferroviaire. Côté France insoumise, Loïc Prud’homme et François Ruffin, qui portaient le sujet au cours du précédent mandat, ont été rejoints par un cheminot de métier, chef des circulations en gare de Montauban, en disponibilité depuis 2019, Thomas Portes. Il compte porter dans l’hémicycle « le combat commun des usagers et des cheminots » pour la sauvegarde du ferroviaire, « dans une logique globale de défense des services publics ». Plusieurs modes de mobilisation sont à l’étude, comme un tour de France ou des États généraux du rail, qui pourraient déboucher sur une proposition de loi.

Le débat devrait également porter sur l’exécutif qui par ses choix hypothèque le maillage du territoire, mais ne renonce pas à des projets dispendieux de ligne à grande vitesse, entre Bordeaux, Toulouse et Biarritz, Perpignan et Montpellier, Nice et Marseille (25 milliards au total). La question des tarifs pourrait également focaliser les attentions. Les usagers, représentés notamment par la Fnaut, défendent avec insistance le retour à une TVA réduite sur les billets (à 5,5 % au lieu de 10 % actuellement).

La signature du contrat de performance État - SNCF a également créé un électrochoc jusque chez les entreprises privées du ferroviaire, qui se rapprochent actuellement de certains syndicats et d’associations d’usagers, pour étudier une mobilisation commune dans les prochaines semaines. Un révélateur de l’urgence de la situation.

Erwan Manac’h
Cartes issue des analyses du cheminot animant
le compte twitter BB27000.

 

Notes

[1] L’estimation des besoins de régénération du réseau, qui accuse une moyenne d’âge de 29 ans contre 17 ans en Allemagne, actualisée en 2018 par l’institut Polytechnique Lausanne tablait sur un montant de 3,9 milliards en euros constant, contre la somme de 2,8 milliards d’euros prévue par le contrat de performance.

[2] + 70 % pour l’acier en un an, +14 % pour l’ensemble des travaux selon l’Insee.

[3Selon le rapport de mars 2022 du Sénat, les CCR doivent « permettre de réaliser des gains de performance à hauteur de 40 % des 13 000 emplois de gestion de la circulation », ce qui correspond à 5200 postes, que la SNCF devra réaffecter ou supprimer par départ volontaire ou non-remplacement.

[4] Le verdict sera rendu le 26 octobre prochain. Le parquet d’Évry a demandé, le mercredi 15 juin, au tribunal de condamner la SNCF à « la peine maximale » pour homicides involontaires et blessures involontaires.

 

 

Source: https://basta.media/SNCF-des-trains-plus-chers-des-milliers-d-emplois-en-moins-des-lignes-fermees-avenir-du-ferroviaire

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