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9 juillet 2020 4 09 /07 /juillet /2020 12:36

 

 

 

(mini VIDEO +article)

Éric Landot 07 Juil. 2020 Brèves et articles, Vidéos

 

Open data des jurisprudences françaises : la douche écossaise

Les décisions du juge administratif, jugements de TA y inclus (y compris les ordonnances en référé en 1e instance), devront, après anonymisation (partielle), être toutes mises en ligne après 2 mois (6 mois pour le judiciaire) …. Ce beau principe législatif dans un cadre plus large d’open data, après une gestation de 14 mois, a enfin sa traduction décrétale. Ce big-bang dans l’accès aux informations jurisprudentielles, non seulement va être fort commode, mais peut à terme changer la donne dans le monde très coûteux de l’accès à l’information en ce domaine… CELA DIT, le délai de mise en œuvre de ce décret va s’avérer fort long et la Chancellerie fait montre de lenteur très calculée en ce domaine, pour de bonnes raisons, mais pas seulement. Pendant ce temps-là, se (re)fait une union entre acteurs du dossier pour tenter de relever le défi de la justice prédictive (qui est un sujet connexe à celui que nous évoquons) et du big data lié à cet open data avec des difficultés d’anonymisation (et, là, on est au cœur de ce débat). Mais il en résulte une véritable douche écossaise :

  1. douche chaude législative de 2016, puis douche froide d’une longue attente, puis douche chaude de la loi de 2019 puis douche froide du décret Datajust de 2020
  2. douche chaude du décret du 29 juin 
  3. douche froide de la circulaire du 30 juin (et voici les raisons de cette douche froide)
  4. douche chaude de la déclaration commune du 6 juillet…

  

I. MINI VIDEO

 Me Eric Landot s’est amusé à chaud à produire une petite vidéo de 3 mn 25 à ce sujet. La voici :

II. ARTICLE

 II.1. douche chaude législative de 2016, puis douche froide d’une longue attente, puis douche chaude de la loi de 2019 puis douche froide du décret Datajust de 2020

 Tout est venu de la loi de 2016 mais il a fallu ensuite une longue attente pour aboutir à la loi de 2019 :

  • les articles 20 et 21 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique (avec notamment un élargissement de l’open data aux décisions de Justice, initialement non incluse dans la loi n° 2015-1779 du 28 décembre 2015)
  • l’article 33 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (voir entre la loi de 2016 et la loi de 2018 : L. Cadiet, L’Open data des décisions de justice. Rapport au garde des Sceaux, ministre de la justice, Doc. fr., 2018)
  • un avis de 2001 de la CNIL en date du 29 novembre 2001, n° 01-057, puis le RGPD (règlement UE n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016).
  • la directive du 20 juin 2019 n° 2019/1024 du Parlement européenne et du Conseil
  • les lois de 2016 et 2019 se retrouvant à ce jour aux articles L. 111-13 et L. 111-14 du code de l’organisation judiciaire et à l’article L. 10 du Code de justice administrative [CJA]

 

Sur ces questions devant le juge judiciaire, voir aussi une décision de la CA de Paris (pôle 2, ch. 1re, 25 juin 2019, n° 19/04407) et son commentaire par M. Bertrand Cassar au Dalloz :

 

A ce jour, l’article L. 10 du CJA dispose que :

«Les jugements sont publics. Ils mentionnent le nom des juges qui les ont rendus. « Sous réserve des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice et leur publicité, les jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique. « Par dérogation au premier alinéa, les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans le jugement, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public. Lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe.
« Les données d’identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l’objet d’une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées. La violation de cette interdiction est punie des peines prévues aux articles 226-18,226-24 et 226-31 du code pénal, sans préjudice des mesures et sanctions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
« Les articles L. 321-1 à L. 326-1 du code des relations entre le public et l’administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces jugements.
« Un décret en Conseil d’Etat fixe, pour les jugements de premier ressort, d’appel ou de cassation, les conditions d’application du présent article. »

 et l’article L. 10-1 du CJA (entrée en vigueur le 1er avril 2020) porte sur le volet open access :« Les tiers peuvent se faire délivrer copie des jugements, sous réserve des demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère répétitif ou systématique.
« Les éléments permettant d’identifier les personnes physiques mentionnées dans le jugement, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage.
« Un décret en Conseil d’Etat fixe, pour les décisions de premier ressort, d’appel ou de cassation, les conditions d’application du présent article..»

Cet article est donc large, imprécis quant à la forme des transmissions, et ne prévoient pas une occultation intégrale. 

 La diffusion des données issues des décisions de Justice donne lieu à moult débats. Récemment, en plein confinement, c’est la sortie du décret « DataJust » (décret n° 2020-356 du 27 mars 2020) qui suscita un vif émoi. Voir :

  

II.2. douche chaude du décret du 29 juin 

 Bien plus consensuel que le décret Datajust vint ensuite donc, appliquant enfin les lois de 2016 (qui était floue cela dit et un peu fourre-tout à vrai dire) et de 2019, le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives (NOR: JUST1933453D).

Ce décret applique les dispositions de l’article 33 de la loi n° 2019-2022 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

 Ce nouveau texte modifie le régime de mise à disposition du public des décisions de justice des juridictions administratives et judiciaires posé par les articles 20 et 21 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

Cette mise à disposition s’inscrit dans le cadre de publicité des décisions de justice posée par le code de justice administrative, le code de procédure pénale et le code de procédure civile.

Il est également prévu des mesures d’occultation des éléments d’identification des personnes physiques, parties ou tiers ou bien encore magistrats ou membres de greffe, en cas d’atteinte à leur vie privée ou leur sécurité. Le décret définit les conditions de mise à la disposition du public des décisions de justice.

Il précise le champ des décisions concernées et les mentions à occulter au sein des décisions. Il établit le calendrier de mise à disposition des décisions pour chacun des trois niveaux d’instance. 

Pour la partie relative au Juge administratif, on ira vite et loin puisque « les décisions juridictionnelles rendues par le Conseil d’Etat, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs sont mises à la disposition du public dans un délai de deux mois à compter de leur date. »

N.B. : donc cela inclut les jugements de 1e instance et les ordonnances en référé en 1e instance, sauf à tordre le sens du texte. 

Et l’anonymisation prévue par l’article R. 741-14 du code de justice administrative (CJA) issu de ce décret (mais la règle principale reste celle posée par le 3e alinéa de l’article L. 10 du CJA) reste assez limitée et est aux mains du président de la formation de jugement ou du juge ayant rendu la décision en cause lorsque l’occultation concerne une partie ou un tiers.
Lorsque l’occultation concerne un membre du Conseil d’Etat, un magistrat ou un agent de greffe, la décision est prise, selon le cas, par le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, le président de la cour administrative d’appel ou le président du tribunal administratif.
Le membre du Conseil d’Etat ou le magistrat (TA – CAA donc) ayant rendu la décision peut décider l’occultation de tout élément de la décision… si sont en cause les « intérêts fondamentaux de la Nation ».

Un régime de levée de la demande d’occupation est prévu par l’article  R. 741-15 du CJA.

 Ce régime se retrouve en judiciaire avec un délai de six mois et quelques différences notables (voir — notamment — les articles R. 111-10 et suivants du Code de l’organisation judiciaire).

 La mise à la disposition du public des décisions de justice est réalisée sur un portail internet placé sous la responsabilité du garde des sceaux (Légifrance suppose-t-on), en sus des sélections de décisions accessibles sur les sites du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation. Mais les formulations du décret sur ce point précis eussent méritées d’être plus claires.

 

Les sites qui vendent, très cher, l’accès aux décisions de Justice (avec parfois en sus des encyclopédies parfois remarquables… parfois non) avec quelques autres sources (QE etc.) ont du souci à se faire à moyen terme… 

Pour information… le budget documentation de notre cabinet est de… 67 578 € HT, constitué principalement de l’accès à de telles bases. 

 

II.3. douche froide de la circulaire du 30 juin 

 Puis dès le 30 juin, jour de promulgation du décret du 29 juin, vint cette circulaire publiée par la Chancellerie (i.e. le Ministère de la Justice, avant changement de titulaire le 6 juillet 2020 il est vrai) :

Open data des jurisprudences françaises : la douche écossaise
Open data des jurisprudences françaises : la douche écossaise

Source : https://twitter.com/xavierronsin/status/1278021893057056768?s=12

 

Même les arrêts des CA  ne seront pas tous en ligne avant 2022 !!! Alors les décisions des juridictions inférieures… autant dire qu’elles seront accessibles en l’an de grâce 2058, et encore si le réchauffement climatique ne nous a pas tous cramés d’ici là.

Certes nous autres publicistes pouvons nous espérer un peu plus de diligence… vu que not’ bon Palais Royal a déjà presque tout en machine (via Ariane… la vraie… pas l’ersatz auquel tout à chacun a accès depuis le site du CE…)… mais bon si le judiciaire va très très lentement, le Conseil d’Etat pourra se donner l’illusion d’être rapide en étant très lent. Un exercice où excellent nos amis du Palais Royal.

Certes l’article 9 du décret prévoit-il un arrêté de la Garde des Sceaux à ce sujet mais tout de même… Un tel calendrier, là, on frise la méconnaissance franche et directe des dispositions pourtant claires du décret.

L’open data à la française, décidément, c’est la douche écossaise.

Cette lenteur s’explique cela dit. Voici la très intéressante explication de l’expert M. Bruno Mathis : l’anonymisation automatique doit entrer en production fin 2020. Les décisions des CA sont déjà dans JuriCA. S’il faut malgré tout attendre 2 ans, c’est sans doute que le ministère ne mesure pas encore l’impact des occultations complémentaires et/ou que JuriCA doit être réécrit en vue des décidions du 1er degré

Mais ça fait depuis la promulgation de la loi bien long tout de même…

   

II.4. douche chaude de la déclaration commune du 6 juillet…

 

Entre le décret DATAJUST et le BIG DATA que permet cet OPEN DATA… les enjeux de l’anonymisation et de la Justice prédictive, avec ses atouts mais aussi ses multiples dangers, existent de vives inquiétudes mais aussi tout simplement des réflexions à conduire sur les outils à utiliser, sur la manière de les utiliser. Ces enjeux croisés sont au coeur d’enjeux démocratiques tout à fait majeurs. D’où le communiqué commun du Conseil d’État, du Conseil national des barreaux et de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, diffusé le 6 juillet 2020, que voici :

Open data des jurisprudences françaises : la douche écossaise
Open data des jurisprudences françaises : la douche écossaise

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