Les conséquences de la crise sanitaire sont majeures pour le groupe, qui cherche à économiser entre 2 milliards et 3 milliards d’euros.
Par Nabil Wakim Publié le 6 juillet 2020
EDF se prépare à trois années difficiles. Selon nos informations, le premier producteur d’électricité en Europe a engagé, en interne, un vaste plan d’économies, baptisé « Mimosa », qui vise à combler les pertes causées par la crise sanitaire, qui devraient se situer entre 2 milliards et 3 milliards d’euros. Le groupe étudie plusieurs possibilités : des cessions d’actifs importants, un gel des embauches et des investissements, tout en cherchant des réductions budgétaires à tous les étages.
Selon plusieurs sources internes, la direction a demandé aux différentes branches et filiales de présenter des budgets revus à la baisse. Selon des documents consultés par Le Monde, le groupe souhaite stabiliser ses dépenses d’exploitation pendant les deux prochaines années et réduire fortement ses investissements. « Pour atteindre 2,5 milliards d’euros d’économies, il n’y pas beaucoup de choix, il faudra faire une grosse cession », souligne une source interne. « On nous a demandé de faire remonter toutes les possibilités d’économies », rapporte un responsable d’une filiale importante.
Interrogée par Le Monde, la direction d’EDF confirme l’existence d’un tel plan, sans pour autant en livrer les détails, qui doivent être présentés, fin juillet, au conseil d’administration. « Les arbitrages définitifs ne sont pas encore pris », précise une source interne.
« Attentifs à ce qui n’est pas immédiatement indispensable »
Le PDG du groupe, Jean-Bernard Lévy, a lui-même évoqué ce plan dans le journal de l’entreprise, vendredi 3 juillet. « Certains ont entendu parler d’un plan d’économies baptisé “Mimosa”, explique M. Lévy. Tout en réduisant certaines dépenses, nous n’abandonnons aucun de nos grands projets. (...) Nous ne renoncerons à rien d’essentiel, mais, dans quelques cas, nous retarderons certaines dépenses, nous étudierons certains actifs du groupe si c’est nécessaire, et nous serons très attentifs à ce qui n’est pas immédiatement indispensable. »
« On n’a plus grand-chose à vendre qui ne soit pas stratégique », s’inquiète un syndicaliste
L’entreprise sort déjà d’une cure d’économies relativement sévère. En 2016, au moment de sa recapitalisation par l’Etat, elle s’était engagée à économiser 1 milliard d’euros par an et à céder 10 milliards d’euros d’actifs. L’objectif a été tenu. Réaliser 2,5 milliards d’euros d’économies supplémentaires représente un effort très significatif. « D’autant qu’on n’a plus grand-chose à vendre qui ne soit pas stratégique », s’inquiète un syndicaliste.
EDF ne peut se séparer d’aucune activité dans le domaine du nucléaire et n’entend pas désinvestir les énergies renouvelables. Plusieurs options seraient évoquées en interne, notamment la cession de la filiale italienne du groupe, Edison, dont les activités d’exploration pétrogazière ont déjà été abandonnées en 2019. D’autres évoquent la cession de parts du distributeur Enedis (ex-ERDF) à la Caisse des dépôts, comme cela a été fait pour le réseau de transport RTE en 2017.
Une dette d’environ 50 milliards d’euros
L’objectif d’EDF : se donner de l’air et faire remonter du cash, alors que les perspectives ne s’annoncent pas réjouissantes. Selon les documents consultés par Le Monde, le groupe anticipe « une forte baisse de l’Ebitda [équivalent de l’excédent brut d’exploitation] » et « une forte hausse de la dette, + 5 milliards à + 10 milliards d’ici à 2022 sans action correctrice ». Très endetté – 41 milliards d’euros fin 2019 –, le groupe pourrait ainsi pâtir d’une dette d’environ 50 milliards d’euros.
Première raison de cette situation catastrophique : pendant le confinement, la fermeture de tout un pan de l’économie française a provoqué une chute de 15 % à 20 % de la consommation d’électricité. Sur le premier trimestre, le chiffre d’affaires d’EDF a été amputé de 250 millions d’euros, sur la fin mars. Les chiffres pour avril et mai ne sont pas connus. La baisse marquée des prix de l’électricité conjuguée à une faible demande a pesé lourdement sur les comptes.
Le confinement a aussi contraint EDF à décaler de nombreuses opérations de maintenance sur les réacteurs nucléaires, bousculant le calendrier déjà fragile de la filière. Les conséquences de cette désorganisation sont importantes : l’entreprise anticipe que sa production d’origine nucléaire sera en forte baisse sur l’ensemble de l’année, autour de 315-325 terrawattheures (TWh) pour 2020, contre près de 393 TWh en 2018. Le groupe s’attend aussi à un impact pour 2021 et 2022, avec une production se situant entre 330 et 360 TWh, ce qui pénalisera les revenus du groupe.
Une perte de 100 000 clients par mois depuis deux ans
Or ces années sont cruciales pour le parc nucléaire, qui doit connaître de nombreuses visites dites « décennales », nécessaires à la prolongation de la durée de vie des réacteurs. Ces opérations entraînent de longs arrêts, mais aussi des investissements considérables, compte tenu des exigences de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Dans ces conditions, l’agence de notation S&P a dégradé la note d’EDF à BBB+, fin juin. L’agence estime que l’Ebitda de l’entreprise devrait être inférieur de 5 milliards à 6 milliards à ce qui était prévisible en 2020-2022. « Nous nous attendons à ce que le que le groupe travaille sur des mesures financières extensives », soulignaient déjà les analystes, qui n’attendent pas d’améliorations significatives avant 2022.
Les observateurs s’inquiètent aussi des importants investissements que doit réaliser EDF dans les années à venir : assurer la prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires, finir la construction des EPR de Flamanville (Manche) et d’Hinkley Point (sud-ouest de l’Angleterre), investir dans les énergies renouvelables. Tout cela alors que le groupe continue de perdre 100 000 clients résidentiels par mois depuis deux ans.
En parallèle, EDF continue de peser de tout son poids pour obtenir une réforme de la régulation nucléaire. Un mécanisme complexe, appelé « Arenh », l’oblige à vendre à ses concurrents à prix fixe une part de sa production. Un changement de ce dispositif dans un sens plus favorable pourrait influencer positivement le résultat. Mais les négociations entamées entre la France et la Commission européenne – très sourcilleuse sur la question de la concurrence – n’ont visiblement pas avancé d’un pouce en pleine crise sanitaire. Au grand désarroi d’EDF.