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30 mai 2020 6 30 /05 /mai /2020 08:27

 

 

 

lthieulle Ingénieur écologue, professionnel de l'écologie scientifique

25 Mai 2020

« La Terre ne se venge pas », ou un premier pas vers une écologie spinoziste

A chaque épisode de crise lié à l’environnement, la culpabilité générale face aux pollutions anthropiques tend à faire remonter des discours fautifs,teintés de mysticisme Gaïa, et justifiant ces calamités par une vengeance de la Terre contre les humains. La crise sanitaire du Covid-19 n’échappe pas à la règle et même si les médias expliquent le danger de personnifier cette Terre, ils ne précisent pas les déterminismes de ces crises, contribuant à laisser planer le doute. Pire, tout en cherchant à y échapper , ils amplifient cette confusion en parlant le plus souvent de dérèglement climatique et de dysfonctionnement écosystémique. Très loin des vengeances divines bibliques, ces crises ne sont pourtant liées à aucun dysfonctionnement. Bien au contraire, elles sont la conséquence logique et prévisible des interrelations complexes entre l’inerte et le vivant. Non, la Terre ne se venge pas, elle ne dysfonctionne même pas, elle n’est que le domaine des possibles qui suit des règles déterminées. Ce n’est que par la connaissance intime de ces déterminismes que nous trouverons notre liberté et une capacité renouvelée à vivre dans des sociétés solidaires et pacifiées avec la nature.

« Ni rire, ni pleurer, mais comprendre », Spinoza.

Il y a trois grands systèmes de pensées inadéquates qui nous écartent d’une juste compréhension du monde. En premier lieu, la confusion entre raison et affects. « Maman, la vague, elle m’a fait mal ». Deleuze avait donné cette exemple pour définir le premier genre de connaissance spinoziste, celui des idées inadéquates. C’est le domaine des passions et des affects, pour faire simple, du « j’aime, je n’aime pas ». Je n’aime pas attraper une maladie émergente, c’est dangereux et ça fait peur ; la vague m’a fait mal, elle est dangereuse et elle fait peur. Certes, elle l’est, mais tout d’abord il est possible d’en comprendre le rythme et la puissance pour se détacher de l’affect ressenti. Il n’est également pas interdit d’apprendre à nager. De même qu’il n’est pas interdit de se préparer à une pandémie.

Le mysticisme est une autre forme d’idée inadéquate, de connaissance du premier genre. Il consiste à personnifier l’incompréhensible. La vague devient alors un événement fâcheux dirigé volontairement, délibérément, en toute liberté, contre nous. Un virus inconnu devient une peste biblique créé par une Nature agressée pour se défendre. Or, le virus comme toutes les autres formes de vivant n’a qu’une seule option, déterminée, celle de persévérer dans son être, de se développer, de croitre et d’appliquer a ce développement toute son énergie. Rien de mystique ici, juste une logique biologique.

Une troisième forme d’idée inadéquate est celle de la simple incompréhension de ce déterminisme. C’est cette forme qui fait parler de « dérèglement climatique » ou qui fait dire à nos gouvernements que la crise du Covid-19 était impossible à prévoir. Cela reviendrait exactement à dire que la vague nous a pris par surprise alors que l’ondulation marine, là encore, est déterminée par le vent, les courants, la marée. Dépasser ces idées inadéquates, c’est comprendre les mécanismes implacables, déterminés et donc prévisibles qui font apparaître des évènements qui peuvent nous mettre en danger et donc limiter notre liberté mais seulement si nous en restons à cette incompréhension. Non, le climat n’est pas déréglé. Il suit même des règles très précises qui permettent aujourd’hui d’en modéliser les changements en fonction du niveau d’émission des gaz à effet de serre. Et oui, la crise sanitaire était possible à prévoir tout simplement parce que nous en connaissons depuis longtemps les mécanismes, les causes et les conséquences.

« déterminisme des zoonoses »

Depuis les années 1980, l’apparition des maladies émergentes n’a cessé de s’accélérer. Alors bien entendu, il a fallu aller au-delà du simple avis d’expert des écologues, médecins et infectiologues. L’étude sans doute la plus complète a été finalisée en 2014. Cette étude globale parue dans le Journal of the Royal Society confirme par une approche statistique mondiale l’augmentation progressive durant ces dernières années des maladies infectieuses touchant l’homme. Cela permettait de valider définitivement les efforts d’organisation de l’OMS et des différents Etats déjà engagés pour se protéger du risque pandémique, notamment via le concept de « maladie X » lancé en 2018.

Pour aller plus loin, de nombreuses équipes se sont attachées à comprendre les mécanismes de transmission de ces maladies émergentes mais également leur relation avec les modifications environnementales.

Une première étape a été de définir les réservoirs biologiques pour ces maladies. Ils commencent à être connus : chauve-souris, tiques, rongeurs, gastéropodes, la liste est longue et concerne pratiquement tout le règne animal. Une partie de ces réservoirs sont eux-même sensibles à la maladie, mais de nombreuses espèces sont porteuses saines. Il est évident que la diversité des virus et autres pathogènes à l’échelle globale est bien loin d’être connue et que le stocks de maladies avec lesquelles nous n’avons encore jamais été en contact est plus qu’important. Ce stock était jusqu’à maintenant majoritairement dormant et n’attendait que de nouvelles possibilités de contacts pour se déclarer.

« Une large palette de pandémies potentielles »

Dans le cadre d’une étude de risque complète, il faut qu’il y ait un danger (le virus), il faut un vecteur (les réservoirs), mais il faut surtout qu’il y ait une mise en contact. Or, avec une influence anthropique sur les milieux préservés de plus en plus intense, nous sommes aujourd’hui face à une augmentation continue du risque pandémique. Le risque est donc avéré. Et là encore, les exemples de liens entre impacts environnementaux et maladies émergentes sont légions.

 

Baisse de la biodiversité :
La maladie de Lyme est transmise par les tiques. Elles contaminent les animaux qu’elles piquent et se font elles-même contaminées en piquant des animaux malades. Dans un écosystème diversifié, le risque de contamination est régulé et la proportion de tiques infectées reste modéré. Aux Etats-Unis, une étude a montré que la chute de la biodiversité des mammifères forestiers entraînait de facto une augmentation de la proportion de tiques porteuses de la maladie. De fait, en parasitant des espèces moins nombreuses, elles ont plus de chances d’être infectées.

Intrusions anthropiques profondes et déforestation :
La maladie particulièrement virulente a été décrite pour la première fois en 1976. Ce virus est létal pour l’homme dans 50 à 90% des cas et à un taux de transmission R0 de 2 (2personnes contaminées par malade) . Il y a encore des doutes sur le réservoir biologique mais il semble bien que ce soit un enfant en contact avec des déjections de chauve-souris frugivores au sein d’un village en pleine forêt équatoriale guinéenne qui soit le patient zéro. Les chauve-souris s’étaient concentrées sur un des derniers arbres encore présents sur le site, à proximité du village. D’autres hypothèses parlent également de la capture d’un singe par des enfants, toujours au sein de la forêt, et ramené au village. Il s’agirait là d’un cas d’intrusion anthropique profonde au sein d’un milieu jusqu’à maintenant préservé.

 

Perturbation mécanique des milieux :
A Bornéo, la folie des exploitations d’huile de palme est en train de ravager l’île. Dans ces grands champs ouverts et pour la plupart mécanisés, sont apparues des ornières, des trous dans lesquelles s’accumulent l’eau. C’est là que les moustiques se reproduisent et ont introduit une nouvelle forme de malaria.

Favoriser les espèces porteuses de maladies:
Au Panama également la déforestation est une plaie. Elles génèrent des zones de friches immenses dans lesquelles les campagnols locaux prolifèrent. Pas de chance, ce sont également des porteurs de l’encéphalite équine qui est devenue une maladie récurrente de la région de Darién. Cette maladie est mortelle dans 30% des cas et présente des séquelles neurologiques pour 50% des personnes atteintes. Aucun traitement n’est aujourd’hui connu.
On peut également citer le cas du virus du Nil, présent chez les oiseaux. Le problème est qu’il infecte principalement les corvidés Or, ces espèces s’accommodent très bien des zones anthropisées et ont tendance à fréquenter les abords des villes. En 2018, une épidémie sans précédent a touché tout le pourtour méditerranéen dont la France.

 

Élevages industriels fragilisés :
Les grippes aviaires et porcines ont permis de mettre en évidence la fragilité des élevages industriels face à ce type de pandémie. Des surdensités d’animaux génétiquement homogènes, élevés dans des conditions qui fragilisent leur santé présentent un terrain extrêmement favorable pour des flambées épidémiques. Il est donc normal que cette augmentation du risque nous touche également, les zoonoses ayant alors beaucoup plus de chances de contaminer également les éleveurs ou les consommateurs. Les élevages industriels de porcs de la région de Wuhan sont à ce titre une des pistes étudiées pour expliquer l’apparition du Covid-19, en concurrence avec les marchés de frais et la consommation de pangolin.

Et demain ? Les prochaines pandémies !

Ces déterminismes couplant maladies émergentes, réservoirs biologiques, et exposition anthropique étaient, sont et seront toujours à l’œuvre. Il ne faut pas imaginer que la crise du Covid-19 nous donne la moindre immunité pour les prochaines pandémies. Au mieux nous y prépare-t-elle, mais pour combien de temps ? Le temps que les politiques libérales oublient cet incident de parcours et recommencent à faire des économies sur les dispositifs de santé publique. Quelle sont alors les origines possibles des prochaines pandémies ?

Un risque identifié depuis longtemps est celui du réchauffement climatique. Outre son impact sur la biodiversité, qui comme on l’a vu favorise l’apparition de maladies, le changement climatique va également avoir un impact sur des milieux tels que le permafrost. Le dégel progressif de ce milieu est particulièrement alarmant. On y a découvert des virus géants dans des carcasses de mammouths dont on ne sait absolument pas s’ils peuvent se réactiver et quelles en seraient les conséquences. Plus alarmant, des maladies comme l’anthrax ont réapparu en Sibérie suite au dégel du pergélisol qui a permis de réactiver la bactérie dormante dans les glaces. Cette maladie n’a pas atteint que l’homme, mais également les populations de rennes locales qui ont été décimées.

Autre risque majeur, le réservoir biologique à coronavirus constitué par les petits rhinolophes asiatiques (chauve-souris) qui sont déjà considérés comme une bombe à retardement par les spécialistes. Entre élevage industriel, marché au frais et contacts de plus en plus fréquents avec des animaux chassés des zones les plus sauvages par la dégradation de leur environnement, tous les ingrédients restent aujourd’hui réunis pour relancer une autre forme de grippe type SRAS.

Mais ce n’est pas suffisant. Nous créons actuellement toutes les conditions pour recréer des foyers épidémiques à maladies émergentes notamment en Amazonie. Il y existe de très nombreux réservoirs, et la déforestation intensive associée à des incendies incontrôlés présentent tous les facteurs de risques pour nous mettre en contact avec des maladies jusqu’à maintenant inconnues. En 1998, les incendies de déforestation en Indonésie s’étaient ainsi couplés avec l’apparition du virus Nipah. A l’origine, c’est le contact d’animaux d’élevage avec les déjections des petites roussettes chassées de la forêt qui ont permis la transmission à l’homme. Avec un taux de morbidité de 40 à 70%, il est depuis endémique de cette région.

Vers une écologie spinoziste

Comprendre ces déterminismes a une première utilité. Tout d’abord, cela permet ne pas tomber dans le panneau de la propagande officielle actuelle qui explique que la « crise était impossible à prévoir ». Bien sûr qu’elle était prévisible et nombreux sont les rapports et études qui alertaient sur ce risque qualifié de « certain » (voir notre article à ce sujet). Loin d’être incapables, nos gouvernements le savaient, bien entendu. Mais le soutien de l’hôpital public et le financement de stocks stratégiques ne rentraient pas dans les dogmes néo-libéraux qu’ils appliquent depuis des années.

Une fois passée cette première étape de compréhension de notre absence de choix, de la nécessaire apparition de plus en plus fréquente de maladies émergentes et de notre fragilité sanitaire, il devient alors possible d’imaginer des solutions. Apprendre à nager, en quelque sorte. Tout d’abord sortir de ces dogmes libéraux pour se préparer aux prochaines vagues pandémiques, soutenir un vrai service public de santé, disposer des stocks de lits et de matériel d’urgence. Mais également changer notre rapport à la nature. Jusqu’à maintenant, l’humanité se considérait toute-puissante et hors-sol. Or, il y a une forme d’utilité à préserver l’environnement : pour limiter les impacts du changement climatique catastrophique qui s’annonce, pour se protéger des maladies émergentes, pour vivre mieux tout simplement sur des terres qui ne sont pas contaminées et toxiques.

Mais pour une écologie spinoziste, il faut aller encore plus loin que cette approche strictement utilitaire, dépasser ce 2ème genre de connaissance, certes adéquat puisqu’il nous fait admettre la nécessité et le déterminisme de nos modes de fonctionnement, mais insuffisant pour nous réaliser pleinement en tant qu’être humain. Une lecture fautive de Spinoza voudrait que l’homme, s’il est déterminé et voué à « persévérer dans son être », s’il est voué à trouver bon ce qui répond à ses besoins et à ses affects, serait alors voué à se conduire en ogre égotique. Or, il est clairement énoncé tout d’abord qu’« il n’y a rien de plus utile à l’homme que l’homme » et surtout que le dernier genre de connaissance du sage permet d’accéder à la vertu, la béatitude. Cette béatitude n’est pas le prix de la vertu, mais la vertu elle-même. Pour cela, il nous fait être pleinement conscient.es de nous-mêmes, mais également de la nature, de ce qui la compose et de ses règles. Certes, nous sommes déterminé.es, mais il y a une forme de liberté à accepter ce déterminisme pour comprendre notre monde et réduire nos appétits sensuels (cf. consumériste) afin de construire une société qui n’exclue pas mais inclus l’autre, en intégrant également l’ensemble du vivant. Certains mouvements de pensée actuelle prêchent pour une nouvelle cosmologie (Descola, Pignocchi, Barreau) avec plus ou moins de bonheur. Cette cosmologie nouvelle laisse cependant planer l’ombre du mysticisme qui ne permet pas la connaissance, et surtout qui clive, qui ne permet pas de faire société selon le même Spinoza (voir le TTP). Elle est enfin importée, imposée, sur-imprimée de façon assez artificielle à nos sociétés. Une société de la connaissance, consciente et formée à l’écologie, solidaire et ouverte aux autres est possible. Elle se débarrasserait alors naturellement de cette obnubilation consumériste pour tendre vers une vie meilleure en harmonie avec nos territoires. De toute façon, nous n’avons pas le choix, si nous ne réagissons pas assez tôt dans ce sens, il y a toutes les chances pour que le système libéral actuel devienne de plus en plus violent et autoritaire pour imposer sa survie dans un système fautif, hors-sol et égotique.

 

 

Source : https://ecologuesenrages.home.blog/2020/05/25/la-terre-ne-se-venge-pas-ou-un-premier-pas-vers-une-ecologie-spinoziste/

 

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