Publié le 17 décembre 2019 par werdna01
Charlie Hebdo – Antonio Fischetti · le 13 décembre 2019 –
C’est une étude du bureau Arcadis qui l’affirme : les trottinettes électriques polluent plus qu’on ne pourrait le croire.
À première vue, c’est écolo, une trottinette électrique. C’est ce qu’ils paraissent tous clamer, ces usagers qui slaloment fièrement entre les voitures et les piétons, grillant les feux et encombrant les trottoirs, avec l’air assuré que donne la certitude d’avoir la morale écologique de son côté. Pourquoi douteraient-ils, puisqu’ils bénéficient de soutiens au plus haut niveau ? Élisabeth Borne, la ministre des Transports de l’époque, se réjouissait que les trottinettes « ne polluent pas », et le site Internet de la Mairie de Paris qualifie mignonnement ces engins de « mobilités douces et innovantes ». L’innovation, admettons, mais la douceur, c’est une autre affaire.
Le bureau d’études Arcadis vient de calculer l’empreinte carbone des trottinettes en libre service. Sa conclusion est qu’en moyenne, sur son cycle de vie, une trottinette émet 105 g d’équivalent carbone par kilomètre et par usager. C’est moins qu’une voiture transportant un seul passager (253 g/km/usager), mais nettement plus qu’un bus hybride (74 g), et quasiment autant qu’une voiture avec trois personnes (111 g). En se déplaçant en trottinette, on pollue certes deux fois moins qu’en roulant seul en voiture, mais un tiers de plus qu’en prenant le bus, et pratiquement autant qu’en partageant une bagnole à trois !
Un engin qui déplace la pollution dans un domaine invisible
Pour arriver à cette estimation, les ingénieurs d’Arcadis ont d’abord tenu compte de la fabrication des trottinettes. Le problème est qu’elles sont presque toutes fabriquées en Chine. Pour ça, il faut de l’aluminium et des composants de batterie. Et donc de l’énergie pour les produire. Or, en Chine, l’énergie est essentiellement issue du charbon, très crasseux comme on sait. À cela, ajoutez le transport maritime pour venir en France, lui aussi vorace en CO2. Et Arcadis a aussi tenu compte du rechargement électrique des trottinettes, qui sont récupérées par des camionnettes diesels, ou par des mecs en scooter qui les ramènent en brochettes sous le bras dans des entrepôts de banlieue. Là encore, carbone supplémentaire. Enfin, la faible durée de vie de ces engins est un facteur aggravant. Arcadis a estimé qu’elles étaient désossées et leurs composants jetés à la poubelle au bout de six mois – et encore, il y a eu du progrès, car cette année, une étude a évalué que leur durée de vie n’était que de vingt-huit jours. Pour être complet question pollution, il aurait fallu rajouter l’impact des déchets nucléaires – rappelons à ceux qui auraient tendance à l’oublier que c’est aussi le nucléaire qui fait rouler les trottinettes -, mais c’est un autre sujet, car Arcadis s’est limité au bilan carbone.
Enfin, il faut savoir que la trottinette ne se substitue pas à un moyen de transport plus polluant qu’elle – c’est plutôt l’inverse. Une étude menée en avril dernier (par le bureau d’études 6T) sur les usagers des trottinettes avait conclu que leurs utilisateurs s’en servent pour des trajets qu’ils auraient faits soit en bus (66 % des cas), soit à pied (19 %). Ce qui fait dire à Arcadis que « leur utilisation accroît donc le bilan carbone global des déplacements ».
En somme, la trottinette électrique déplace la pollution dans un domaine invisible. Seuls les enfants croient que ce qu’ils ne voient pas n’existe pas. Que les marchands de trottinettes entretiennent cette fable, c’est logique. Mais que la ministre des Transports ou la Mairie de Paris tombe dans le panneau, c’est nettement plus grave.