Posted on août 30, 2019 Author Nicolas Bérard Commentaires fermés sur Capgémini, juge et partie
Un document que L’âge de faire s’est procuré nous apprend que l’étude qui a permis le lancement de l’opération Linky a été réalisée par Capgémini, une entreprise qui a obtenu des contrats relatifs à ce déploiement.
Face à la résistance populaire à laquelle se heurte le déploiement du compteur Linky , Enedis a déployé une palette d’arguments pour convaincre les réfractaires. Parmi ces arguments, on trouve en première place celui de la directive européenne du 13 juillet 2009 qui obligerait les pays membres à s’équiper de compteurs communicants. Les Français·es n’auraient pas le choix : en déployant ses compteurs, Enedis ne ferait que se plier aux exigences européennes.
La directive précise pourtant que «la mise en place de tels systèmes peut être subordonnée à une évaluation économique à long terme de l’ensemble des coûts et des bénéfices pour le marché et pour le consommateur, pris individuellement». C’est assez clair : si l’opération n’est pas économiquement intéressante, l’État n’est pas tenu de la lancer. C’est pourquoi les Allemand·es, sur la base d’une étude réalisée par le cabinet Ernst&Young, ont décidé de n’installer que 30 % de compteurs communicants. Le Portugal, lui, a tout simplement choisi de ne pas s’en équiper du tout.
À l’inverse, la France a opté pour la généralisation du Linky à toutes les entreprises et tous les foyers. Avant de faire ce choix, elle s’est pliée au jeu de l’étude technico-économique. Elle a confié cette tâche à Capgémini, le leader français dans le domaine des services du numérique, avec plus de 13 milliards de chiffre d’affaires en 2018 (1).
En 2011, Capgémini rend sa copie. Verdict : l’opération serait économiquement intéressante. Sur la foi de ce document, la Commission de régulation de l’énergie (Cré) se prononce en faveur du lancement de l’opération. Dans sa délibération du 7 juillet 2011, la Cré précise que «l’analyse technico-économique suggère qu’une généralisation du projet Linky serait globalement neutre du point de vue financier.»
L’ÉTUDE A « CONVAINCU LA CRÉ DE POURSUIVRE L’OPÉRATION »
Par un tour de passe-passe, la Cré affirme également que la généralisation de ce compteur «bénéficiera aux consommateurs» (2). Et, ainsi, les rouages démocratiques semblent respectés. Puisque c’est bon pour l’usager·e et pour le distributeur, il faut lancer le déploiement.
Néanmoins, un élément a visiblement échappé à la Cré : dans le dossier des compteurs communicants, Capgémini n’est pas seulement juge, mais aussi partie. On peut en effet douter de la capacité d’une boîte spécialisée dans les services du numérique à mettre des bâtons dans les roues d’un projet à 5 milliards d’euros qui se trouve précisément dans son champ d’action. L’entreprise ne se targue-t-elle pas, en une de son site internet, d’œuvrer pour «l’automatisation intelligente dans le secteur de l’énergie» (3) ?
Et cela se vérifie, dans un document interne à l’entreprise, daté de 2011. Capgémini s’y réjouit du lancement de l’opération Linky, signalant que ses propres conclusions «ont convaincu la Cré de poursuivre l’opération sur une échelle industrielle. Sur la base des résultats de l ’expérimentation, le gouvernement a décidé la généralisation du déploiement des compteurs Linky.» Son étude est donc bien l’un des principaux déclencheurs de l’opération.
On apprend pourtant, quelques lignes plus loin sur ce même «magazine interne d’information», que «Capgémini est associé à ErDF [ex-Enedis, Ndlr], ST-Microelectronics, Sagem-com et Nexans dans la réponse à un appel à manifestation d’intérêt de l’Ademe (agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) visant à promouvoir des solutions innovantes pour les réseaux intelligents». En 2011, Enedis et Capgemini travaillaient donc déjà main dans la main au développement de compteurs communicants !
Et évidemment, ce consortium a remporté l’appel d’offres à travers le projet «Sogrid», qui se donne notamment pour mission de «tester en conditions réelles une architecture de communication CPLG3». Enveloppe accordée au projet : 26 millions d’euros, tout de même.
CAPGÉMINI EMPOCHE DEUX NOUVEAUX CONTRATS
Comme si cela ne suffisait pas, Capgmini profite aussi de l’opération Linky en solitaire. Cela est également confirmé par le document, sur lequel on peut lire que «ErDF a confié en 2011 deux nouveaux contrats sur Linky à la division i&d de Capgemini». La boîte s’est notamment vue attribuer «l’assistance à maîtrise d ’ouvrage pour l’architecture du si [système informatique ?, Ndlr] linky» et la «maîtrise d’œuvre du projet sge/linky [système de gestion des échanges ?, Ndlr]».
De quoi être très satisfait, comme le fait savoir le magazine interne : «Capgémini fait une percée remarquable sur le programme d’ErDF. […] Capgémini témoigne de références solides dans le cadre du déploiement de compteurs intelligents. Nul doute que ces nouveaux contrats ouvrent la porte à Capgémini pour participer de façon déterminante au déploiement des compteurs communicants et au réseau électrique intelligent en France dans les années à venir et pourquoi pas au-delà de nos frontières.» Dire que rien de cela n’aurait peut-être pu se faire si l’étude technico-économique s’était révélée négative… Contactée par L’âge de faire, l’entreprise répond laconiquement que «[son] rôle s’est cantonné à une mission d ’assistance à maîtrise d’ouvrage de cour te durée, en soutien d’Enedis».
Nicolas Bérard
1 – Et sans doute plus en 2019, puisque Capgémini a racheté, le 27 juin 2019, l’entreprise Altran pour 3,6 milliards d’euros.
2 – En arguant notamment que le dispositif permettra « la multiplication des offres tarifaires des fournisseurs pour répondre aux besoins spécifques de chacun ». Ce qui, en réalité, n’assure personne de voir baisser sa facture, bien au contraire.
3 – Site consulté le 5 juillet 2019.
Cet article est directement extrait du n° 144 du journal L’âge de faire. Monté en Scop (société coopérative), ce mensuel appartient à ses seul·e·s sept salarié·e·s (pas de Xavier Niel ni de Matthieu Pigasse parmi eux…), refuse la publicité et n’est affilié à aucun parti politique ou autres organisations. C’est cette indépendance qui lui permet de traiter aussi librement le sujet de l’électrohypersensibilité que celui des OGM ou du nucléaire. Pour permettre à cette presse libre et indépendante d’exister, deux possibilités :
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