Publié le 24 août 2019 par werdna01 *
Nexus / magazine d’information indépendant – juillet/août 2019 –
Par Charles-Maxence Layet * A propos de l’auteur de l’article : Ethnologue de vocation et journaliste par passion, Charles-Maxence Layet explore depuis plus de vingt ans les nouvelles technologies de l’énergie, le cosmos électromagnétique et les influences invisibles. Auteur de plusieurs ouvrages et films documentaires, pionnier d’une information écologique et socialement responsable, il est à l’origine du « mook » arts et sciences Orbs, l’autre Planète, qui rassemble éclaireurs et visionnaires du monde entier (www.orbs.fr), et travaille à Bruxelles, au sein du Parlement européen.
Près d’un tiers des principaux produits chimiques commercialisés en Europe depuis 2010 sont potentiellement dangereux et en infraction avec la législation européenne. Tel est le sombre constat d’un vaste enquête menée autour de REACH. Cette règlementation d’enregistrement, d’évaluation et d’autorisation des produits chimiques dans l’Union européenne a fait l’objet d’un lobbying féroce et intensif avant d’être votée en 2006. Près de quinze ans après, le constat d’échec est flagrant et les ONG déchantent.
Des données escamotées ?
L’affaire éclate en septembre 2018, à la suite des résultats d’une étude de trois ans coréalisée par deux agences allemandes, l’une en charge de l’environnement, L’UBA (Umwelt Bundesamt, agence allemande de protection de l’environnement), et l’autre de l’évaluation des risques, le BfR (Bundesinstitute für Risikobewertung, institut fédéral allemand d’évaluation des risques). Cette étude, qui passe en revue les seules substances produites à des quantités supérieures à 1 000 tonnes par an et enregistrées entre 2015 et 2018, révèle que 31 % des dossiers sont conformes et complets, qu’un second tiers de ces substances sur le marché fait l’objet d’investigations complémentaires, et que 32 % sont non conformes, soit par manque pur et simple d’informations, soit par manque d’études scientifiques établissant l’innocuité de ces substances. Dans la majeure partie des cas, les informations manquantes portent sur les propriétés cancérigènes, mutagènes, neurotoxiques, reprotoxiques ou bioaccumulables… C’est-à-dire sur les données pouvant justifier le retrait du marché d’une substance ou son remplacement par une autre, estimée moins toxique.
Pas de données, pas de marché ?
Le constat est d’autant plus grave que ces substances chimiques sont sur le marché. Une fois le dossier d’enregistrement validé, l’autorisation de leur mise sur le marché est donc validée. Le principe premier de REACH était pourtant clair : pas de données, pas de marché (1). L’obligation de réaliser des tests d’innocuité était d’ailleurs le principal engagement de REACH, que les lobbys chimiques industriels ont ardemment combattu.Comment tous ces dossiers ont-ils pu être validés en étant incomplets ? Pourquoi ces produits sont-ils encore sur le marché ? Un ange passe. Un mystère entretenu par ce rapport UBA/BfR de 2018 (2), qui ne précise ni les 940 substances non conformes, ni les entreprises frauduleuses… N’affolons pas les marchés inutilement, l’argument est connu.
Même l’ECHA le dit
Les propres vérifications de l’Agence européenne des produits chimiques (plus connue sous son acronyme anglais ECHA, pour European Chemicals Agency), chargée de superviser les enregistrements de REACH, confirment ces défaillances. Parmi les 2 000 dossiers concernant 700 substances contrôlées par l’ECHA en dix ans (sur les 90 000 dossiers pour 22 000 substances comptabilisées au 31 ami 2018), 70 % se sont avérées non conformes aux obligations légales. La loi fixe à l’ECHA l’obligation de vérifier 5 % des dossiers. C’est-à-dire que 95 % des enregistrements ne sont pas vérifiés. Face à l’ampleur du problème, l’agence européenne basée en Finlande s’est engagée à contrôler jusqu’à 20 % des dossiers… Mais sans volonté politique de sanctions, les infractions peuvent se poursuivre en toute impunité.
Des évaluations qui s’enlisent
Une autre faille porte sur la durée des investigations complémentaires. Menées sous l’égide des États membres, ces vérifications visent à clarifier l’effet d’une substance. Un rapport de l’EEB (Bureau européen de l’environnement), une ONG de plus de 150 organisations de 30 pays européens, s’est penché sur ce problème (3). Parme les 352 substances concernées à ce jour, seules 94 évaluations ont été menées à leur terme. Durée de ces investigations : entre sept et neuf ans en moyenne, où une substance cancérigène avérée ou présumée continue d’être sur le marché. Et le pire, relève enfin l’EEB, est que parmi les 46 substances jugées préoccupantes, dans 74 % des cas, (34 substances sur 46), aucun avis n’a été suivi d’effet.
Des substances à la pelle
Prenons l’exemple du dioxyde de titane, utilisé sous forme de nanoparticules de titane. Le dossier d’enregistrement de cet allergène, mutagène et cancérigène ne contient aucune donnée sur son usage. Il a été placé parmi les substances à examiner en 2014, l’évaluation des risques étant assuré par la France, qui a proposé son classement comme cancérigène à l’ECHA en 2015, classement finalement adopté en 2017. Mais cette recommandation de l’ECHA est contestée par la Commission européenne et certains États membres européens, bloquant toute décision applicable. Six ans après une première recommandation de l’ECHA de classer le dioxyde de titane comme cancérigène suspecté par inhalation, l’exposition du public continue. Autre cas, le trichloréthylène. Cette substance chimique cancérigène, interdite depuis 2016, bénéficie de plusieurs dérogations et continue d’être utilisée pour des quantités dépassant les 10 000 tonnes par Bund füran.
Indignations publiques ?
Au-delà de l’impuissance de l’ECHA à faire reconnaître la dangerosité des produits chimiques présents sur le marché, l’EEB dénonce ces délais et cette opacité récurrente qui caractérisent l’inaction des pouvoirs publics. Non seulement les fabricants de produits chimiques ne respectent pas la loi, mais ils produisent et vendent des produits pouvant causer des cancers pendant que les consommateurs sont tenus dans l’ignorance.
Briser l’omerta
l’ONG allemande BUNd (Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, les Amis de la Terre Allemagne), membre de l’EEB, a continué lenquête du BfR et de l’UBA, répertoriant 41 substances parmi les 940 non conformes et, avec elles, les entreprises responsables. BUND a pu indentifier 502 entreprises différentes… La plupart sont allemandes (169). Suivent la Grande-Bretagne (80), les Pays-Bas (68), la France (56), l’Italie (49), l’Espagne (42) et la Belgique (38) (4).
Les firmes mises en cause sont connues et correspondent aux poids lourds de la chimie : BASF, Bayer, Dow Chemical, 3M, Solvay, DuPont, Michelin, ExxonMobil, BP. On y trouve aussi les laboratoires pharmaceutiques Merck. Et aussi l’Oréal, leader mondial des cosmétiques. Pour BUND et l’EEB, il ne s’agit bien sûr que de la partie émergée de l’iceberg… dans 124 dossiers d’enregistrement, le nom de l’entreprise était marqué « confidentiel ».
(1) REACH Compliance : Data avability in REACH registrations, part 2. https//www.umweltbundesamt.de/en/publikationen/reach-compliance-data-avaibility-in-reach
(2) Article 5 de la réglementation REACH
(3) Achievements, challenges and recommandations after a decade of REACH. https//eeb.org/chemical-evaluation-report-achievements-challenges-and-recommandations-after-a-decade-of-reach ; https//eeb.org/publications/31/chemicals/98474/report-substance-evaluation-under-reach-3.pdf
(4) Rapport BUND 2019 : Bund recherche REACH registrierung. https//www.bund.net/service/presse/pressemitteilungen/detail/news/bund-recherche-deckt-auf-grossunterehmen- vertossen- gegen-eu-chemikalienrecht-und-gefaehrden-damit-me/