Les écobuages sont au cœur d’une polémique entre les éleveurs et Su Aski. De son côté, la préfecture tente d’éteindre les braises à coup d’arrêtés
“Dans les zones liées à la transhumance, les écobuages sont nécessaires”
Beñat Molimos est agriculteur à Bunus, en Oztibarre. Président d'Euskal Herriko Laborantza Ganbara, il a accepté de répondre aux questions de MEDIABASK sur les écobuages. Une pratique qui se transmet de génération en génération dans sa famille mais qui reste décriée dans l'opinion publique.
AINHOA AIZPURU|28/02/2019 10:30|0 commentaires | Mis à jour à: 10:33
Quel est l’intérêt pour les agriculteurs de procéder à des écobuages ?
Beñat Molimos : L’intérêt est d'abord dans l’entretien des surfaces pastorales. Dans les montagnes de l'intérieur du Pays Basque, on pratique la transhumance et les feux pastoraux sont faits pour brûler les refus des animaux. C’est-à-dire, tout ce qui n'a pas été pâturé par le bétail. L'année suivante, les animaux peuvent ainsi disposer d’une herbe jeune. Cette pratique nous permet d'entretenir les parcelles. Si on ne pratiquait pas l'écobuage, la végétation se densifierait et empêcherait alors le passage des animaux. Laissés à l'abandon, les terrains en question seraient alors envahis par une végétation tellement dense qu'en cas d’incendie, le feu serait incontrôlable.
Selon vous, les écobuages ont-ils des effets néfastes sur l’environnement et la biodiversité ?
Cela dépend de la manière dont est pratiqué l'écobuage. Au Pays Basque, deux réalités existent. A l’intérieur des terres, nous avons des parcelles qui sont valorisées par les animaux. De fait, la végétation n'est pas très importante et l'impact environnemental sur la biodiversité est minime. Néanmoins, dans certains endroits, et en particulier dans les zones intermédiaires qui s’étendent de Bidarray jusqu'à la côte, les terrains sont de moins en moins valorisés par les animaux. La végétation est donc beaucoup plus dense et les impacts des écobuages peuvent être plus néfastes pour l’environnement. De jeunes pousses d'arbres risquent d’être brûlées.
Dans l’Hexagone, les pratiques d’écobuage sont-elles strictement réglementées ?
B. M : Oui, bien sûr. Elles sont règlementées et notamment dans le département, depuis l'accident sur les hauteurs d’Esterençuby en 2000. Des commissions locales d'écobuage ont été mises en place dans les communes. Tous les propriétaires fonciers, qu'ils soient agriculteurs ou même privés, s'y réunissent et décident des zones qui seront écobuées. Les parcelles particulièrement dangereuses, ou qui nécessitent un encadrement plus important, font l’objet d’une attention particulière. Parfois, les services de l’Office national des forêts (ONF) prennent même part à ces réunions et participent aux écobuages avec les paysans. L’objectif est de protéger un maximum les forêts. Il s'agit de prendre toutes les précautions nécessaires. Un travail important est réalisé dans ces commissions locales et cela me semble vraiment nécessaire pour que tout se déroule bien.
Si la réglementation n’est pas respectée, existe-t-il des sanctions ?
B. M : Oui, tout est contrôlé. Chaque fois que nous souhaitons mettre le feu, il est nécessaire d'obtenir une autorisation. Par ailleurs, il faut auparavant avertir les pompiers, la gendarmerie et la municipalité. Tout est encadré, et ceux qui sortent de ce cadre-là sont soumis à des sanctions.
Quel est le mode opératoire employé ? Quelles sont les conditions de réalisations nécessaires à tout chantier ?
B. M : Il faut être au minimum quatre personnes. On allume les feux en fin de matinée, quand la rosée a séché et plutôt par beau temps. Les écobuages se pratiquent après les gelées et alors que la végétation est totalement cramée. Le mois de février est la période la plus propice pour les réaliser. Il est nécessaire que la végétation ait le temps de repousser pour que les bêtes puissent profiter de la nouvelle herbe lorsqu’elles se rendront sur les parcelles en question.
On évite aussi de brûler les terrains par vent fort. Le vent peut être un bon allié car il aide à pousser le feu. Cependant, quand le vent est trop fort, cela peut devenir très dangereux. L’incendie risque de ne plus être contrôlé.
Cette année encore, il y a eu des dérives. 25 hectares sont partis en fumée à Ossès et presque 200 hectares à Sare. Cela est-il dû à un manque de formation des paysans ?
B. M : La pratique des feux pastoraux se transmet de génération en génération. Nos parents et grand-parents ne brûlaient jamais toute la montagne quand ils mettaient le feu. Une rotation était faite au niveau des parcelles et permettait d'éviter de brûler la même zone deux années de suite. Cela évitait aussi que toute la montagne prenne feu. Nous essayons de notre côté de suivre ces savoir-faire. Nous revenons sur la même parcelle tous les deux ou trois ans. Le problème est qu’étant donné les mauvaises conditions météorologiques de l’année dernière, nous n'avons pas pu pratiquer l'écobuage en 2018. Cette année, le temps est propice et par conséquent, nous avons dû brûler en plus les hectares prévus l'année dernière.
Les écobuages peuvent être dangereux et c’est pour cela qu’il ne faut pas faire n’importe quoi. Dans les zones liées à la transhumance, cette pratique est nécessaire. Dans les autres zones, celles où la végétation s’est densifiée, la question des écobuages se pose. Peut-être serait-il plus judicieux d'aller vers d'autres alternatives : la plantation d’arbres par exemple, ou du moins un entretien des parcelles de manière mécanique.
Aujourd'hui, nous sommes de moins en moins sur les fermes, le travail en collaboration avec les voisins tend à se perdre. On observe des changements, et je pense qu'il faudra qu'on arrive à évoluer, à retrouver ces savoir-faire ancestraux. C'est un peu l'objectif que se sont données les commissions locales d’écobuage : faire en sorte de travailler tous ensemble.
Existe-t-il des formations mises en place par le Département ou la Chambre d’agriculture ?
B. M : Cela pourrait être une idée. Je ne crois pas qu’il y ait de formations de ce type. Je pense que pour un nouveau venu, le plus adapté serait d'intégrer une commission locale d’écobuage afin d’apprendre et se faire aider des paysans locaux.
La Préfecture a interdit les écobuages durant tout le week-end pour des questions de qualité de l’air. Cette pratique entraîne-t-elle des dangers pour la population ?
B. M : A ma connaissance, aucune étude n'a été réalisée en ce sens. Nous ne connaissons pas exactement les effets néfastes que pourraient engendrer les fumées des écobuages sur la population. Le collectif Su Aski parle de particules fines, mais rien n'est prouvé. Certains chiffres indiquent que les particules fines émises par le secteur agricole sur l'Hexagone seraient de l’ordre de 8 %. Et sur ces 8 %, l'écobuage participerait à hauteur de 3 %. Il est vrai que l'écobuage est pratiqué sur une période courte, d'un mois à un mois et demi, durant laquelle les fumées peuvent être très importantes. Mais réparti sur l’année, ça ne représente pas une forte émission de pollution.
Les fumées de cheminée ou les gaz d'échappement des voitures semblent être des sources de particules fines bien supérieures. L’argument qui consiste à prendre la pollution engendrée par les écobuages pour demander l'interdiction des feux me parait peut solide et très radical.
Écobuage : le feu couve dans la société
Plus de 500 hectares de végétation sont partis en fumée il y a dix jours suite à des feux pastoraux sauvages. La mairie de Sare a décidé de porté plainte contre X. Une décision que n'a pas prise la prefecture dont un arrêté d'interdiction n'a pas été respecté.
Xan Idiart|28/02/2019 06:30|0 commentaires | Mis à jour à: 27/02/2019 07:05
Le Pays Basque. Ses paysages "de rêve", ses villages "typiques", ses champs "luxuriants"… et ses écobuages "traditionnels". Ce dernier sujet n'en finit pas de faire débat. Surtout cette année, où les agriculteurs ont profité du temps sec pour débroussailler par le feu une quantité impressionnante de mauvaises herbes dans les montagnes. Problème : tous les feux pastoraux n'ont pas été déclarés en mairie. Certains ont même été allumés il y a dix jours alors que la préfecture des Pyrénées-Atlantiques n'en avait pas donné l'autorisation à cause de vent violent. Plus de 500 hectares sont depuis illégalement partis en fumée sur tout le département. A Sare, ce qui s'apparente à un écobuage sauvage en a ravagé 190 sur les pentes de l'Ibanteli. La mairie a porté plainte contre X pour incendie criminel.
"L'enquête déterminera si oui ou non, ce feu est un écobuage sauvage", assure-t-on du côté du secrétariat général de la mairie. "Pour l'instant, nous ne pouvons en avoir la certitude. Une enquête est en cours". Feu pastoral non déclaré ou action d'un pyromane, cet incendie a en tout cas eu lieu en pleine période d'écobuage. Et les conséquences désastreuses sont à déplorer. La forêt touchée mettra au moins cinquante années à se régénérer. Certains Saratar ne la verront plus verdoyante de leur vivant. Un pottok est mort brulé, un autre gravement blessé, et un capteur d'eau lourdement détérioré. Les flammes se sont arrêtées à trois mètres du portail d'une habitation.
Ces pentes d'Ibanteli n'avaient quoi qu'il en soit pas besoin d'être débroussaillées. "Les terrains étaient propres, et appartiennent à la commune", certifie toujours le secrétariat général. La mairie n'a jamais déposé un dossier d'écobuage, et espère bien trouver la personne à l'origine du feu.
Santé et biodiversité mises à mal
Les écobuages ne font pas l'unanimité au sein de la société basque. A force de brûler les mauvaises herbes à droite et à gauche sur plusieurs versants de montagnes, le ciel bleu était souvent imperceptible ces derniers jours. Certains parlent même de pluie de cendres sur leur terrasse. Et respirer de la fumée toute la journée n'est pas vraiment recommandé pour rester en bonne santé.
Des raisons pour lesquelles le collectif Su Aski (Halte au feu en basque), demande à la préfecture des Pyrénées-Atlantiques de saisir la justice pour non respect de son arrêté du week-end dernier. "Les autorités judiciaires surveillent tout ça de près", fait-on juste savoir du côté de Pau. Façon de dire que porter plainte n'est pour l'instant pas à l'ordre du jour.
Car ce que condamne Su Aski dans la pratique intensive des feux pastoraux, ce sont aussi les destructions massives des habitats des insectes et des oiseaux. Plus que notre santé, la biodiversité (pourtant thème général du salon de l'agriculture Lurrama en 2017) est la grande perdante de cette pratique, même si elle est sensée régénérer les pâturages. Encore faut-il qu'à l'heure du dérèglement des saisons, l'hiver et le printemps continuent d'être pluvieux pour que la flore repousse comme il faut.
Non, le Pays Basque n'a pas fini de se disputer sur la nécessité ou pas des écobuages. Il faut rappeler qu'un drame avait eu lieu en 2000 où cinq personnes avaient perdu la vie, piégées par les flammes sur les hauteurs d'Esterençuby. Cette pratique, quoi qu'on en dise, reste dangereuse.
Source : https://mediabask.naiz.eus/fr/info_mbsk/20190228/ecobuage-le-feu-couve-dans-la-societe