22 janvier 2019
Menacés par l’agriculture industrielle, le labour et les épandages de produits phytosanitaires, les vers de terre jouent pourtant un rôle indispensable pour l’aération et le travail du sol ainsi que la dynamique des nutriments.
Agronome et auteur de plusieurs ouvrages, dont Éloge du ver de terre (Flammarion, 2018), Christophe Gatineau plaide que leur soit accordé un statut juridique particulier avant qu’ils ne disparaissent définitivement. Nous publions sa lettre à Emmanuel Macron.
Monsieur le Président,
Il y a urgence, le temps presse, les vers de terre disparaissent, et avec eux, les sols nourriciers. Pour résumer, les vers de terre nourrissent les sols, et les sols nourrissent les plantes qui nous nourrissent ; ou nourrissent les animaux que nous mangeons. Et si dans la Nature, comme dans la vie, personne n’est irremplaçable, aucune technologie ou bestiole ne peut remplacer le travail de ces animaux. Un fait rare, exceptionnel, en opposition avec celui de l’abeille à miel, puisque, rien qu’en France, un insecte sur 4 est un pollinisateur, 10 000 pollinisent dont 1 000 espèces d’abeilles !
Plaidoyer
À l’image du cycle de l’eau, c’est un cercle vertueux, un échange de bons procédés où chacun nourrit l’autre. Raison pour laquelle le ver de terre a toujours été le partenaire ancestral de l’agriculteur, son abondance signant la fertilité et la bonne santé des sols. Et plus une terre est fertile, plus elle est productive, plus notre nourriture est saine et riche.
Sans l’ombre d’un doute, le fond de ma lettre concerne donc l’alimentation de demain. Et ma requête doit être prise dans ce sens, car, même si pour l’heure, les rayons de nos supermarchés regorgent de nourriture comme jamais, rien n’est « jamais » acquis ou figé dans le marbre.
D’ailleurs, le célèbre astrophysicien, Hubert Reeves, ni connu pour être un catastrophiste et encore moins un fantaisiste, déclarait le 3 mai 2018 sur le plateau de France 2 : « La disparition des vers de terre est un phénomène aussi inquiétant que la fonte des glaces. »
Pourquoi M. Reeves a-t-il mis en perspective le ver de terre avec le bouleversement climatique ? Question de bon sens puisque les sols et les glaces fondent comme neige au soleil : un quart des sols européens étant aujourd’hui usés. En langage scientifique, on dit « victimes » d’érosion. Autrement dit, quand les sols sont lessivés de toute vie, usés, ils migrent vers les mers et les océans, via les sources et les rivières, laissant place à des champs de cailloux.
Pourquoi ?
Quand nous avons décidé de ne plus nourrir les vers de terre et toute la diversité biologique, il y a 50 ans, nous avons brisé le cycle. En effet, dans un système de cause à effet, où chacun nourrit ou se nourrit de l’autre, en cessant de nourrir les vers de terre, les sols ont cessé de nourrir les plantes…
Pourquoi les vers de terre sont-ils si importants ?
Parce qu’ils peuvent représenter jusqu’à 80 % de la masse des êtres vivants qui fabriquent la nourriture des plantes dans un sol cultivé. Et en cessant de les nourrir, c’est bien l’ensemble d’un agrosystème qui s’est effondré, mort de faim ou empoisonné. Et pour revenir à l’érosion, parce qu’il ne faut jamais se tromper de sens, c’est bien l’extinction du ver de terre qui cause l’érosion des sols, comme le réchauffement climatique cause l’érosion des pôles.
Une urgence absolue
Monsieur le Président, il y a urgence à sauver les sols, et, dans ce domaine, nous avons besoin d’initiatives fortes et innovantes. Mais pour les sauver, il faut commencer par sauver son fer de lance, cet infatigable laboureur qui les rajeunit en permanence, les oxygène, les fertilise…
Bref, le ver de terre bénéficie d’un beau capital sympathie dans l’opinion publique. Pour preuve, le projet que j’ai porté au printemps dernier, Sauvons le ver de terre, est arrivé en tête de la catégorie biodiversité lors de l’élection citoyenne organisée par votre ministère de la Transition écologique et solidaire.
Les Français ont donc choisi le ver de terre comme étant une priorité absolue dans la reconquête de la biodiversité.
Mais contre toute attente, et sans vouloir comparer ni opposer, votre gouvernement investit des millions d’euros pour réhabiliter l’ours et le loup, mais pas un seul centime sur la tête de notre allié le plus précieux pour une agriculture durable et économe en énergie. Mieux, l’État l’a carrément oublié puisqu’il ne bénéficie d’aucune protection, d’aucun plan d’action national ou européen, et d’aucune mesure dans la loi pour la reconquête de la biodiversité alors que l’arsenal juridique existe.
Aux yeux de la loi
Aux yeux de la loi, il n’existe pas, alors que, depuis Charles Darwin, nous savons que le lombric terrestre est un animal à part entière qui vit dans un terrier où il s’aménage une chambre. Une chambre dont il recouvre volontairement le sol de feuilles, de petites pierres ou de graines, à la seule fin de pouvoir s’y reposer en toute quiétude. Et nous savons aussi qu’avant de s’y enrouler, il a pris un soin infini à refermer l’entrée de sa galerie.
Monsieur le Président, sachant que notre futur dépend des sols, et les sols de l’avenir du ver de terre, je vous demande de lui accorder un droit à exister en lui offrant un statut juridique. L’ours et le loup ont des droits, rien ne justifie aujourd’hui que le lombric terrestre n’en ait pas.
Je vous demande
Monsieur le Président, il y a urgence à sauver le ver de terre, et, indirectement, à sauver toute la diversité biologique. Le ver de terre est le moteur de la transition écologique et solidaire, car, sans lui, sans eux, pas de sols nourriciers, pas de nourriture, pas de transition.
Aussi, en dehors de tout dogme politique, je demande audience pour vous exposer la cause du ver de terre, celle qui fonde l’alimentation de demain.
Dans l’attente, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, mes sentiments les plus distingués.
Texte de Christophe Gatineau, initialement publié sur son site lejardinvivant.fr et reproduit avec l’autorisation de l’auteur.