Publié le 9 août 2018 par kozett
Au prétexte que des outils nous rendent la vie plus « commode », nous laissons notre esprit sombrer dans la paresse.
Ouest-France 08/08/2018 par Jean-Pascal Gayant,
Depuis quelques mois, les spécialistes de la santé et du comportement des jeunes enfants tirent la sonnette d’alarme face à l’utilisation trop intensive des écrans (illustration).© STOCK ADOBE.
Depuis 2013, une série d’études a mis en évidence une baisse du Quotient intellectuel (QI) moyen des Occidentaux. La France n’est pas épargnée : en 2017, une étude quantifiait à 3,8 points la baisse du QI des Français sur les dix dernières années. L’abus de temps passé devant la télévision pourrait avoir un rôle dans cette dégradation : les personnes qui regardent la télévision plus de trois heures par jour auraient ainsi un QI plus faible que la moyenne.
La place considérable des smartphones
Les tests de QI ne sont pas infaillibles. Ils ne sont pas non plus une mesure pleinement satisfaisante de l’intelligence humaine. Néanmoins, cette tendance à la baisse du QI nous questionne sur les conséquences de la généralisation des outils technologiques qui « simplifient » la vie, et en particulier sur la place considérable qu’ont pris les smartphones, ces merveilles connectées qui nous dispensent de chercher notre chemin, de chercher dans notre mémoire le nom d’un peintre ou la date d’un événement historique, de mémoriser un schéma ou un croquis (que nous aurons pris en photo), de nous souvenir des numéros de téléphone de nos proches…
Même quand il s’agit de faire un créneau pour se glisser sur une place de stationnement, notre esprit se voit libéré de l’obligation d’évaluer convenablement les distances (les radars ou caméras le font à notre place) ou même de réaliser la manœuvre dans son intégralité. Pire encore, nous pouvons maintenant nous dispenser de l’écrit et interroger une espèce de cylindre combinant microphone et haut-parleur à qui nous sommes invités à poser directement des questions et qui se fera un « devoir » de nous apporter les bonnes réponses.
Au prétexte que ces outils nous rendent la vie plus « commode », nous laissons notre esprit sombrer dans la paresse. Les plus optimistes objecteront que cela offre, au contraire, plus de disponibilité à notre esprit pour se concentrer sur des activités plus nobles. Mais pour atteindre ce degré d’aptitude dans l’abstraction, encore faut-il avoir atteint et dépassé le stade de l’intelligence concrète, celle des essais et des erreurs qui forgent notre compréhension des mécanismes de toutes natures.
Sonnette d’alarme
Depuis quelques mois, les spécialistes de la santé et du comportement des jeunes enfants tirent la sonnette d’alarme face à l’utilisation trop intensive des écrans (tablettes, smartphones…) : des retards intellectuels et relationnels peuvent être la conséquence de cet abus. Il n’est pas interdit de se poser également la question de la possible dégradation des capacités intellectuelles des adultes dans un environnement d’assistanat de l’esprit.
L’intelligence se forge par mille détours, mille égarements et mille erreurs. Quand on se trompe de chemin après avoir mal interprété une carte routière ou quand on rate un créneau après avoir mal accompli une manœuvre, notre esprit en tire des enseignements bénéfiques. L’intelligence s’appuie aussi sur la mémoire et celle-ci doit être continuellement sollicitée pour demeurer performante.
Les nouvelles technologies rendent la vie plus commode, rendent l’accès à l’information (y compris pertinente) plus rapide et facilitent la coordination de certaines tâches. Mais elles engourdissent aussi notre esprit. L’intelligence humaine peut à la fois être assistée, bonifiée par les outils technologiques mais aussi se désagréger sous le joug de la technologie ; la frontière est mince entre l’intelligence assistée et l’assistanat de l’esprit. »
Jean-Pascal Gayant, professeur de Sciences Economiques Ouest-France