Publié le 24 septembre 2017
Concepcion Alvarez @conce1
Une étude de la Banque mondiale révèle la face cachée de la transition énergétique en détaillant l’ampleur des matériaux et métaux nécessaires pour construire les nouvelles infrastructures électriques. La demande en lithium par exemple pourrait bondir de plus de 1 000 % dans un scénario 2°C. Pour limiter leur impact, leur extraction doit être gérée de façon durable et intégrée dans une stratégie de long terme, prévient l'organisation.
Le gouvernement de la République démocratique du Congo vient de s’engager à mettre fin au travail des enfants dans les mines de cobalt d'ici 2025.Per-Anders Pettersson / Getty image / AFP
La Banque mondiale a passé au crible les trois principales technologies qui vont faire un monde bas-carbone dans les années à venir : le solaire, l’éolien et les batteries utilisées dans les véhicules électriques et plus globalement pour le stockage de l’énergie renouvelable (ENR). Il apparaît qu’elles pourraient en fait consommer "significativement plus de ressources que les systèmes traditionnels basés sur les énergies fossiles", estime l’organisation dans un rapport publié à la mi-juillet et intitulé The Growing Role of Minerals and Metals for a Low-Carbon Future (1).
En effet, le recours à ces énergies vertes censées nous conduire vers un réchauffement global limité à 2°C d’ici la fin du siècle, pourrait faire exploser la demande de minéraux et métaux, tels que l’acier, l’aluminium, l’argent, le cuivre, le plomb, le lithium, le manganèse, le nickel et le zinc, ainsi que certaines terres rares.
Demande de métaux engendrée par la transition énergétique en 2050 dans un scénario de réchauffement limité à 2°C comparé à un scénario business as usual où le réchauffement global atteint 4°C.
L’exemple le plus significatif concerne les accumulateurs électriques. L’augmentation de la demande de métaux (aluminium, cobalt, fer, plomb, lithium, manganèse et nickel) pourrait atteindre plus de 1 000 % dans un scénario 2°C alors qu’elle serait relativement faible dans un scénario où le réchauffement climatique serait de 4°C.
Une intensité matérielle plus forte pour les renouvelables
Au niveau européen, le Joint Research Center (JRC) avait déjà publié en 2016 des projections de variation de la demande annuelle en matières premières pour 2030 afin d’assurer le déploiement des énergies renouvelables (ENR). À titre d’exemple, l’éolien impliquerait une augmentation de la demande d’un facteur 7 à 20 en certaines terres rares, le photovoltaïque d’un facteur 3 en étain, argent, ou plomb, et le développement du réseau électrique d’un facteur 3 en cuivre et plomb.
La quantité cumulée d’acier, cuivre et aluminium nécessaire en 2050 pour générer les infrastructures de production électrique à partir d’ENR (éolien, solaire et hydraulique) atteindrait ainsi 6 à 11 fois la production mondiale totale de 2010. Ceci dans un scénario où les énergies vertes représenteraient respectivement 42% et 100% du mix électrique.
Intensité matérielle de différentes technologies de production électrique (en tonnes d’acier par MW de capacité installée), Rio Tinto Seminar 2011, Sydney et Géosciences n°15
Dans une note de position publiée en mai dernier, le Comité des métaux stratégiques (Comes) confirme que "les besoins en matières premières pour construire les infrastructures de production d’ENR sont sensiblement plus élevés par kWh produit que ceux des installations actuelles de production d’électricité à partir d’énergies fossiles ou nucléaire".
Travail des enfants et pollution
Si le lithium a fait couler beaucoup d’encre récemment, un autre matériau inquiète davantage les industriels. Il s’agit du cobalt qui, comme son nom ne l’indique pas, est l’un des principaux composants des batteries lithium-ion, indispensables aux véhicules électriques. Or son approvisionnement est considéré comme "critique" en raison notamment de la forte concentration de la production minière de cobalt en République Démocratique du Congo (65 % de la production mondiale).
Outre le problème de la disponibilité du matériau, se pose la question de ses conditions d’extraction. L’ONG Amnesty International a plusieurs fois alerté sur le travail d’enfants âgés parfois de moins de sept ans dans les mines congolaises. Le gouvernement de la République démocratique du Congo vient de s’engager à y mettre fin d'ici 2025.
Autre composant important des batteries, le nickel. Son extraction a des conséquences importantes sur la santé et l’environnement, à tel point que les Philippines ont ordonné la fermeture de près de la moitié des mines du pays cette année.
L'eldorado chinois
"Toute l’ambiguïté de la transition bas-carbone, censée être vertueuse, réside dans le fait qu’elle exige que cette exploitation de minerais et de métaux soit effectuée de manière durable" explique Riccardo Puliti, directeur en charge de l’énergie et des industries extractives à la Banque mondiale. "S’ils développent leur secteur minier de façon durable, les pays qui disposent des capacités et des infrastructures pour fournir les minéraux et les métaux nécessaires aux technologies propres auront une occasion unique de dynamiser leur économie", ajoute-t-il.
D’après les tendances actuelles, la Banque mondiale table sur le Chili et le Pérou pour l’offre de cuivre et de lithium, tandis que la Nouvelle-Calédonie dispose de gigantesques réserves de nickel. Mais c’est bel et bien la Chine qui restera un acteur de premier plan, tant sur la production qu’au niveau des réserves, pour quasiment tous les métaux.
Du côté des industriels, plutôt que de recourir à de nouvelles ressources, on préfère miser sur le recyclage des batteries. Renault se targue ainsi de pouvoir recycler 70 % du poids total de la batterie de son modèle Zoé, voiture électrique la plus vendue en Europe en 2016. Et Tesla affirme que 100 % du nickel utilisé dans ses batteries est réutilisable.
(1) voir le rapport de la Banque mondiale