Cet article est extrait du livre "Transition énergétique. Ces vérités qui dérangent ! " sorti en mars 2018 aux éditions De Boeck.
Certaines compagnies d’électricité vendent une électricité soi-disant uniquement produite à partir de sources renouvelables. J’estime que c’est à la limite de la publicité mensongère. D’abord, parce que l’électricité correspond à un flux d’électrons qui se mélangent dans les câbles interconnectés : imaginons un fleuve alimenté par plusieurs affluents, et dans lequel certains pomperaient en affirmant que leur eau ne provient que de tel ou tel affluent… D’autre part ces compagnies achètent effectivement chaque année autant d’énergie électrique d’origine renouvelable qu’elles en vendent, mais pas en temps réel : la puissance appelée par les consommateurs est bien souvent supérieure à la capacité de production des moyens renouvelables. Il est donc faux de penser qu’on ne consomme pas d’électricité nucléaire ou fossile parce qu’on est abonné chez un fournisseur d’électricité verte.
Le seul moyen d’être certain de consommer de l’électricité renouvelable locale serait de ne pas être raccordé au réseau et de stocker son électricité. Mais vu la difficulté du stockage, ce type d’installation n’est actuellement pas compatible avec une consommation « normale ». Certains refuges de montagne non raccordés au réseau électrique stockent dans des batteries l’électricité des panneaux photovoltaïques. Cela permet de s’éclairer quelques heures le soir mais aucunement de faire fonctionner des lave-linge, téléviseurs, ordinateurs, plaques de cuisson, fours, cafetières… On peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence écologique de l’autonomie étant donné l’impact environnemental des batteries. D’autre part, le « chacun pour soi » est-il préférable à la solidarité des échanges ?
Dans cette logique, certains territoires, comme certaines maisons, prétendent être « à énergie positive ». On confond souvent alors énergie et électricité : si un territoire peut produire plus d’électricité qu’il n’en consomme, cela ne signifie pas qu’il est à énergie positive puisque l’électricité représente moins du quart de la consommation d’énergie. D’autre part on retrouve le problème de l’intermittence et du stockage : à moins de disposer d’une géographie très favorable permettant une production d’électricité renouvelable pilotable par des moyens comme l’hydroélectricité ou des centrales au bois, des échanges d’électricité sont nécessaires pour assurer la disponibilité de la puissance électrique à chaque instant. Ces territoires ou maisons peuvent produire en moyenne plus qu’ils ne consomment grâce à des éoliennes ou panneaux solaires, mais ils absorbent à certains moments de l’électricité produite ailleurs. Dans un de sces rapports, Réseau de Transport de l’Electricité prend l’exemple d’une ville qui réussirait à produire chaque année autant d’électricité qu’elle en consomme grâce à l’éolien et au photovoltaïque et précise que "bien que la puissance installée renouvelable soit pratiquement le triple de la puissance consommée à la pointe, cette ville aura cependant besoin de la même capacité de réseau pour sécuriser son alimentation (sauf à lui substituer un stockage local, une production de secours locale ou organiser des effacements) " [RTE].
Symbolique, l’île d’El Hierro aux Canaries est présentée comme énergétiquement autonome grâce aux énergies renouvelables. Là encore, on confond électricité et énergie, les avions, bateaux et voitures fonctionnant très peu grâce à l’électricité… Cette île à faible densité de population a la chance de bénéficier d’une géographie très favorable : beaucoup de vent pour les éoliennes, et surtout du relief permettant un stockage par STEP grâce à deux énormes bassins de rétention d’eau de 150 000 m3 séparés par 650 mètres de dénivelé. En réalité, durant le deuxième semestre 2015, c’est le fioul qui a assuré en moyenne 70 % de la production d’électricité. Sur les deux premières années de fonctionnement, l’île n’a réussi à se passer de fioul pour la production d’électricité que pendant vingt-quatre heures. C’est déjà un exploit, et il est possible que les performances futures s’améliorent. Mais cette technologie n’est absolument pas généralisable à des territoires plus densément peuplés, moins ventés, et surtout ne disposant pas de collines ou de montagnes pour y créer d’immenses bassins de rétention d’eau.