Présenté mercredi 6 septembre en Conseil des ministres, le projet de loi relatif à l’interdiction de l’exploitation des hydrocarbures laisse ouverte la porte au gaz de couche.
Alors que le gouvernement veut fermer définitivement la porte au gaz de schiste, s’apprêterait-il, « en même temps », à ouvrir les vannes du gaz de couche ? C’est ce que craignent plusieurs associations environnementales, dont Attac, les Amis de la Terre et 350.org.
Le Conseil des ministres a examiné mercredi 6 septembre le projet de loi relatif à l’interdiction de l’exploitation des hydrocarbures, porté par Nicolas Hulot. Si les ONG saluent l’objectif ambitieux du ministre — mettre fin aux énergies fossiles d’ici 2040 — elles pointent le décalage entre la « prétention d’exemplarité climatique » et certains points du texte, notamment le flou entourant le gaz de couche.
Nicolas Hulot présentant son projet de loi sur les hydrocarbures dans une vidéo mise en ligne le 6 septembre.
Le gaz de couche (« coalbed methane », en anglais) n’est autre que du méthane piégé dans des couches de charbon jamais exploitées par l’homme. À l’inverse, le gaz de mine, plus communément nommé « grisou », est présent dans les veines de charbon autrefois exploitées. Si le premier reste prisonnier de la roche, le second, lui, peut s’échapper à travers les tunnels, avec des risques d’explosion et de pollution.
« Cette pratique nécessite aussi beaucoup d’eau, jusqu’à 7 millions de litres lors d’un forage »
Pour des raisons de sécurité, le gaz de mine est donc capté par les industriels, qui peuvent ensuite le valoriser. Quoiqu’inoffensif, le gaz de couche attise lui aussi la convoitise des compagnies gazières en quête de nouveaux gisements d’hydrocarbures. C’est ainsi que, depuis 2004, l’entreprise britannique European Gas Limited (EGL), rebaptisée La Française de l’énergie (LFDE), dispose de plusieurs permis exclusifs de recherche, notamment en Lorraine. Suscitant l’inquiétude des riverains. Et pour cause : « Les techniques de forage disponibles sont invasives et immatures », explique Anaëlle Lantonnois, membre d’Apel 57, un collectif contre l’exploitation du gaz de couche en Lorraine.
Car, pour extraire ce gaz des couches profondes de la roche-mère, il n’existe pas 36 solutions. Aux États-Unis, au Canada ou en Australie, les compagnies ont recours à la fameuse fracturation hydraulique, interdite en France depuis 2011. Cette technique consiste à injecter un liquide — de l’eau et des composés chimiques — sous haute pression afin de fissurer la roche et la rendre perméable, donc exploitable. En Lorraine, LFDE recourt à des drains horizontaux et à la « stimulation du massif rocheux », d’après ses explications. « Cette pratique nécessite aussi beaucoup d’eau, jusqu’à 7 millions de litres lors d’un forage, s’indigne Anaëlle Lantonnois. En plus des menaces de pollution des nappes phréatiques, ces forages ont lieu dans des sols déjà fragilisés, avec des risques d’affaissement et d’éboulement. » Et, cerise sur le gâteau, d’après elle, ces recherches coûteuses et polluantes ne serviront à rien : « Les ressources exploitables sont minimes, les puits explorés par LFDE se sont révélés des échecs, il s’agit juste d’une opération de spéculation financière ! »
« Schéma très simplifié, selon Wikipédia, présentant deux types d’exploitation du gaz de couche, 1) par pompage et mise en dépression du charbon, 2) par “cavitation” associée au pompage mise en dépression. En bleu : l’eau, en rose : le méthane qui était piégé dans le charbon (gaz de couche). »
Que dit le projet de loi de Nicolas Hulot sur cette question ? Il interdit de manière immédiate l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, définis comme « des hydrocarbures liquides ou gazeux qui sont piégés dans la roche-mère, à l’exception des hydrocarbures gazeux contenus dans les couches de charbon [gaz de mine et gaz de couche] ; les hydrates de méthane enfouis dans les mers ou sous le pergélisol [ou permafrost, partie d’un sol gelée en permanence] ».
« Le diable se niche souvent dans les détails »
« Le gaz de mine (grisou) n’est pas touché par la loi, car il est nécessaire de le capter, a indiqué Xavier Ploquin, le conseiller énergie de Nicolas Hulot, lors d’un point presse téléphonique mercredi. Le gaz de houille, aussi nommé gaz de couche, entre dans la catégorie des hydrocarbures conventionnels. » Autrement dit, d’après le projet de loi, aucun nouveau permis de recherche ne sera octroyé pour ce gaz. En revanche, si la société La Française de l’énergie, qui bénéficie d’un permis de recherche en Lorraine, trouve un gisement intéressant de gaz de couche, elle pourra demander à l’exploiter jusqu’en 2040… si elle n’utilise pas de fracturation hydraulique.
Une explication qui fait bondir Isabelle Lévy, du collectif du pays fertois : « Il n’y a pas d’hydrocarbures non conventionnels à proprement parler, il y a des techniques non conventionnelles, comme la fracturation hydraulique. Le gaz de couche, parce qu’il nécessite des pratiques dangereuses et polluantes, entre dans cette catégorie, et son exploration comme son exploitation doivent être interdites. » Les opposants craignent également que les lobbys ne poussent à l’abrogation de la loi Jacob au nom de la « simplification juridique » et en arguant que les gaz de schiste sont dorénavant interdits.
« Le diable se niche souvent dans les détails, ajoute Juliette Renaud, des Amis de la Terre. Le texte ne prévoit pour le moment aucun moyen de contrôle ni de sanction : comment être certain que la loi sera respectée, alors que les compagnies comme LFDE manient à la perfection l’à-peu-près et profitent des moindres failles législatives ? » Les associations écologistes se sont inquiétées de ces lacunes dans deux lettres ouvertes à Nicolas Hulot, restées sans réponse.
« Hulot et Macron disent vouloir envoyer un signal fort au reste du monde, ce projet de loi doit donc être exemplaire en tout point, dit l’économiste et membre d’Attac Maxime Combes. Au vu de l’urgence climatique, nous ne pouvons donc pas être dans la demi-mesure en laissant de côté certains projets gaziers ou pétroliers : tout nouveau projet d’exploitation d’hydrocarbures — conventionnel ou pas — doit être interdit. »
Lire aussi : Alerte au gaz de couche, source de pollution dans le Nord et en Lorraine
Source : Lorène Lavocat pour Reporterre
Photos :
. chapô : Le forage de gaz de couche de Lachambre, en Moselle, conduit par LFDE, en décembre 2016. Stop gaz de couche 57
. Hulot : capture d’une vidéo postée sur Youtube
. forage : Wikipedia (Lamiot/CC BY-SA 3.0)
Source : https://reporterre.net/La-loi-sur-les-hydrocarbures-laisse-la-porte-ouverte-au-gaz-de-couche