Denis Sergent, le 25/04/2017 à 17h57
La découverte d’une larve capable de dévorer le polyéthylène, l’une des matières plastiques les plus résistantes, ouvre la perspective de bio-dégrader rapidement ce polluant qui s’accumule dans l’environnement.
« Les déchets plastiques sont un problème environnemental mondial, surtout le polyéthylène, particulièrement résistant et qui est très difficilement dégradable naturellement », explique Federica Bertacchini, une biologiste au Centre espagnol de la recherche nationale (CSIC), auteur de la découverte de cette larve de la « fausse teigne de la cire » (Galleria mellonella), un « papillon des ruches » très répandu en Europe (1).
Un insecte à la fois nuisible et utile
À l’état sauvage, ce papillon de nuit parasite les ruches où il se nourrit du miel et de la cire d’abeille, une substance chimique (esters d’acides gras et d’alcools) ressemblant beaucoup au polyéthylène. Encore appelée « ver de cire » ou « ver miel », la larve atteint 3 cm de long et vit 6 à 7 semaines en sécrétant des galeries et un cocon en soie. Mais, élevée par l’homme, sa larve sert d’appât pour la pêche ou de nourriture pour les collectionneurs de reptiles.
Une découverte due au hasard
Également apicultrice amateur, Federica Bertacchini a observé que les sacs en plastique dans lesquels elle plaçait la cire des ruches infectées par ce parasite étaient rapidement criblés de trous. Au même moment et sans le savoir, au Royaume-Uni, Paolo Bombelli et Chris Howe, chercheurs à l’Université de Cambridge, avaient observé la même chose et commencé à tester scientifiquement les capacités de la bestiole : une centaine de larves pouvaient percer le plastique d’un sac à provisions en moins d’une heure. Des trous commençaient à apparaître après seulement 40 minutes et au bout de 12 heures, la masse de plastique était réduite de 92 milligrammes, ce qui est considérable, expliquent les chercheurs.
Dégradation très rapide du plastique
Ce taux de dégradation est « extrêmement rapide », par rapport à celui de la bactérie Ideonella sakaiensis découvert en 2016 par des chercheurs de l’université de Kyoto, qui peut dégrader un plastique proche (polyéthylène polytéréphtalate), mais seulement au rythme de 0,13 milligramme par jour.
Les chercheurs pensent que la larve de la fausse teigne de la cire coupe les liaisons chimiques unissant entre eux des centaines de monomères pour en faire une longue chaîne de polymère, le polyéthylène, au moyen de « ciseaux chimiques » produits par les glandes salivaires. « L’une des prochaines étapes sera de tenter d’identifier ce processus moléculaire et de déterminer comment isoler l’enzyme responsable », expliquent-ils. S’il s’agit d’une simple enzyme, on pourra alors la fabriquer à une échelle industrielle grâce à la biotechnologie, estime Paolo Bombelli. Cette découverte pourrait être un outil important pour éliminer les déchets de plastique polyéthylène qui s’accumulent dans les décharges et les océans. »
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Le polyéthylène, un produit chimique ubiquiste
Chaque année, quelque 80 millions de tonnes de polyéthylène sont produites par l’industrie pétrochimique dans le monde. Surtout utilisé pour l’emballage, le polyéthylène compte pour 40 % de la demande totale des produits plastiques en Europe, dont 38 % se retrouvent dans des décharges. Chaque année, mille milliards de sacs plastiques sont utilisés dans le monde et chaque individu utilise en moyenne plus de 230 de ces sacs, produisant plus de 100 000 tonnes de déchets.
Actuellement, la dégradation de ces déchets plastiques se fait par voie chimique, dans des usines, avec des produits très corrosifs comme l’acide nitrique et peut prendre plusieurs mois. Laissés dans la nature, il faut environ un siècle pour que ces sacs plastiques se décomposent complètement.
Pour les plastiques les plus résistants comme le polyéthylène, ce processus peut prendre jusqu’à 400 ans. Environ 8 millions de tonnes de plastique sont déversées tous les ans dans les mers et océans du globe, selon une étude publiée en 2015 dans la revue américaine Science. Les scientifiques pensent qu’il pourrait y avoir jusqu’à 110 millions de tonnes de déchets en plastique dans les océans. Incomplète, la dégradation des plastiques produit de petits fragments et des nanoparticules qui peuvent être absorbés par toute la faune aquatique, depuis le zooplancton jusqu’à la baleine bleue, le plus gros animal vivant actuellement en passant par les crustacés, les mollusques, les poissons et les tortues marines.
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(1) Publié dans Current Biology du 24 avril 2017.